60 ans de copropriété | Au fil des réfo rmes, la loi de 1965 n’a-t-elle pas  perdu sa cohérence originelle ?

par Jean-Robert BOUYEURE, Docteur en droit Avocat honoraire à la cour
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Jean-Robert Bouyeur
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Index de l'article

Le statut résultant de la loi du 10 juillet 1965, par le caractère impératif de son application et de ses principales dispositions, a véritablement imposé un cadre de vie collective à ceux qui étaient «copropriétaires».

C’était un profond changement par rapport au statut antérieur, résultant de la loi du 28 juin 1938, qui était de nature contractuelle et ne comportait pas de dispositions impératives.

Le nouveau statut, portant tout à la fois sur «une structure immobilière et une structure de gestion», procède d’une grande cohérence par sa conception, par sa parfaite adéquation aux exigences de l’époque, par ses règles de fonctionnement et par les garanties apportées à l’ensemble des copropriétaires et spécialement aux copropriétaires minoritaires.

Ainsi, l’exigence de très fortes majorités pour prendre les décisions les plus importantes, les dispositions concernant l’information des copropriétaires, le caractère impératif des règles relatives aux assemblées générales, la référence à la «destination de l’immeuble» apportaient effectivement à l’ensemble des copropriétaires d’importantes garanties pour le respect de leurs droits et des caractéristiques de l’immeuble.

Soixante ans ont passé et le temps du «grand questionnement» est venu.

Pendant toutes ces décennies, de profondes modifications sont survenues dans l’ensemble de la société et notamment dans la démographie et l’urbanisme. Le nombre d’immeubles en copropriété a explosé (il serait actuellement compris entre 700 000 et 800 000), de nouveaux besoins, de nouvelles techniques, de nouvelles technologies sont apparus. Il a fallu entreprendre de lutter contre le réchauffement climatique et de répondre à de nouvelles contraintes, par exemple la lutte contre le handicap.

Les modifications, voire les bouleversements, qui se sont ainsi produits dans l’organisation sociale ne pouvaient pas ne pas entraîner de conséquences quant au statut de la copropriété. Un nombre considérable de lois sont venus le modifier. Certaines d’entre elles ont constitué de véritables réformes (notamment la loi SRU du 13 décembre 2000, la loi ALUR du 24 mars 2014, la loi ELAN du 23 novembre 2018, l’ordonnance du 30 octobre 2019).

Plus de trente articles de la loi d’origine ont été modifiés ; des dizaines y ont été ajoutés et certains nouveaux articles comportent eux-mêmes plusieurs dizaines de subdivisions.

La lecture de la loi est, de ce fait, devenue beaucoup plus difficile alors au surplus que nombre de dispositions relatives au droit de la copropriété se situent aujourd’hui dans d’autres textes que la loi de 1965 et de son décret d’application du 17 mars 1967. Ainsi, d’importantes dispositions se trouvent dans le Code de l’énergie (notamment celles relatives aux charges de chauffage) et dans le Code de la construction et de l’habitation (notamment pour les différents diagnostics).

 

Plusieurs nouveaux décrets ont par ailleurs été promulgués.

De cet enchevêtrement de textes, parfois contradictoires, résulte une confusion de nature, par elle-même, à porter une atteinte à la cohérence formelle de la loi de 1965.

Reste la question de savoir si les modifications ainsi apportées sont de nature à entraîner une telle conséquence en ce qui concerne le fond même du droit.

La réponse à apporter, on le verra, ne peut être que nuancée. Nombre de ces modifications n’ont, en effet, porté que sur des adaptations nécessaires et des améliorations opportunes sans pour autant porter atteinte à la cohérence d’origine.

D’autres, en revanche, ayant entraîné un véritable bouleversement, paraissent avoir une telle conséquence.

A cet égard, et sans qu’il soit possible d’être exhaustif, on retiendra les quatre points suivants :

modifications relatives aux assemblées générales (I),

- modifications relatives aux pouvoirs du syndicat (II),

- modifications relatives à la structure du syndicat (III),

- il conviendra par ailleurs de faire mention du statut des copropriétés en difficulté (IV).


 

I.- Les modifications relatives aux assemblées générales

 

La tenue de l’assemblée.- Ce point est essentiel et l’atteinte portée à la cohérence d’origine est certaine.

On rappellera que, selon la loi de 1965, les décisions du syndicat ne peuvent être prises qu’en assemblée générale. Les votes écrits n’ont aucune valeur et pour s’exprimer les copropriétaires doivent donc participer aux assemblées ou à tout le moins s’y faire représenter.

Or, aujourd’hui, les copropriétaires peuvent voter par correspondance si bien que, d’une part, ils ne peuvent apporter aucune explication à l’appui de leur vote et d’autre part et surtout ils se trouvent privés, au moment de prendre leur décision, de la connaissance des débats qui se dérouleront lors de l’assemblée et des explications qui y seront fournies.

On ajoutera qu’ils ne peuvent voter sur les questions procédant d’une candidature exprimée lors de l’assemblée : ainsi
la désignation du président et des scrutateurs et la désignation des membres du conseil syndical.

Il y a là une véritable dénaturation de la notion même d’assemblée, conçue à l’origine pour réunir les copropriétaires, et ce avec le risque de voir apparaître deux catégories de copropriétaires, ceux qui viennent aux assemblées et ceux qui n’y viennent jamais mais qui, au lieu de s’y faire représenter, s’expriment par correspondance.

On ajoutera que dans certaines situations, il est vrai, marginales, (les petites copropriétés), la loi nouvelle prévoit la possibilité de prendre des décisions par écrit.

 

Les majorités applicables.- Sur ce point, il y un véritable abîme entre ce que prévoyait la loi de 1965 et la situation actuelle.

Non seulement, au fil des décennies, les majorités définies à l’origine ont été progressivement réduites mais à ce jour il y a, même pour des décisions très importantes, une quasi-disparition de toute majorité qualifiée.

Ainsi, pour les travaux d’amélioration, là où en 1965 il fallait obtenir la double majorité, celle-ci comprenant les 3/4 des voix de l’ensemble des copropriétaires, le vote peut se faire en deuxième lecture, à la majorité relative.

Quant aux décisions les plus importantes qui relèvent toujours de l’article 26, on sait que la majorité n’est plus celle des 3/4 mais la majorité absolue des voix et qu’il existe une possibilité de vote en deuxième lecture à des conditions moins contraignantes.

Ces deux nouveaux éléments (vote par correspondance, et réduction drastique des majorités applicables) viennent apporter une atteinte notable à la cohérence de la loi de 1965.

Celle-ci se caractérisait notamment, comme indiqué ci-dessus, par le souci de protéger les minorités. Or, une telle protection a volé en éclats ; elle se trouve du moins très affaiblie.


 

II.- Les modifications relatives aux pouvoirs du syndicat

La loi de 1965 était, à cet égard, particulièrement restrictive et ce de façon à limiter les risques financiers susceptibles d’être encourus. Sur ce point également des modifications substantielles sont intervenues.

 

Surélévation de l’immeuble.- Dans le texte d’origine la surélévation ou la construction de bâtiments, par les soins du syndicat, aux fins de créer de nouveaux locaux à usage privatif ne pouvaient être décidées qu’à l’unanimité.

La loi voulait ainsi interdire au syndicat de jouer un rôle de promoteur et ce de façon à éviter les risques, notamment financiers, susceptibles de résulter de telles réalisations.

Or, aujourd’hui, les mêmes décisions relèvent de la majorité de l’article 25.

Le souci de favoriser la construction de nouveaux locaux privatifs par la surélévation de l’immeuble ou par emprise sur le sol commun s’explique à l’évidence par le désir de remédier à la pénurie des terrains constructibles dans les villes.

Mais il est significatif de l’abandon par le législateur de la conception restrictive qui était celle de la loi de 1965, ce que confirment les deux dispositions suivantes.

 

Objet du syndicat et amélioration de l’immeuble.- Le nouvel article 14, alinéa 3, insère dans l’objet du syndicat défini par le nouvel article 14 de la loi l’amélioration de l’immeuble alors que, s’agissant de travaux, cet objet était limité à la conservation de celui-ci.

 

Possibilité de souscrire un emprunt.- Il est aujourd’hui permis au syndicat de souscrire un emprunt en son nom, si cet emprunt a pour seul objet le préfinancement de subventions publiques, mais aussi lorsque l’emprunt, bien que souscrit au nom du syndicat l’est au bénéfice des seuls copropriétaires décidant d’y participer.


 

III.- Les modifications relatives à la structure du syndicat

Ici, l’atteinte qui peut être portée à la cohérence d’origine procède de considérations totalement différentes.

 

Création d’un syndicat secondaire.- On sait qu’à l’origine la possibilité de créer un syndicat secondaire était limitée au cas où l’immeuble comporte plusieurs bâtiments.

Aujourd’hui, le nouvel article 27 autorise une telle création également lorsque l’immeuble comporte «plusieurs entités homogènes susceptibles d’une gestion autonome».

Outre qu’il est très difficile de définir la notion «d’entités homogènes», aussi bien que celle de «gestion autonome», force est de constater que la création en pareille hypothèse d’un syndicat secondaire, qui se trouve doté de la personnalité morale, peut susciter au sein d’un même bâtiment ou entre des bâtiments différents des conflits d’intérêts entre les copropriétaires faisant partie du syndicat secondaire et ceux qui lui restent étrangers.

Sur ce point également la cohérence d’origine peut être quelque peu malmenée.

 

Scission de la copropriété.- Dans cette hypothèse, l’article 28 permet désormais une division en volumes, notamment lorsque l’immeuble comporte «plusieurs entités homogènes affectées à des usages différents».

Sans doute il n’est pas permis de recourir à cette technique de division s’il existe un bâtiment unique. Mais la création d’une division en volumes peut susciter des difficultés entre le syndicat d’origine et les parties qui se sont retirées.


 

IV.- Les copropriétés en difficulté

Les difficultés ainsi visées sont les difficultés financières auxquelles les syndicats peuvent se trouver confrontés en raison notamment de la défaillance des copropriétaires. Elles peuvent, dans un premier temps, exposer le syndicat au risque de désignation d’un mandataire ad hoc (article 29-1A et s.) et ensuite à la désignation d’un administrateur provisoire ayant les pouvoirs les plus étendus (article 29-1).

On sait que dans les cas où les difficultés en cause sont insolubles un tel processus peut aboutir à la disparition du syndicat.

Il est difficile de parler ici d’une perte de cohérence par rapport à la loi de 1965 dans la mesure où cette dernière ne comportait aucune disposition en la matière. Mais il a bien fallu, en raison de l’évolution des risques, que les lois postérieures viennent définir les solutions à apporter.

Par voie de conséquence, il y a bien, en la matière, une véritable novation par rapport à la situation d’origine.

 

On constatera, en guise de conclusion, que certains des fondamentaux de la loi de 1965 demeurent inchangés malgré l’avalanche des textes postérieurs.

Il en va ainsi notamment de l’application obligatoire du statut, à tout le moins pour les immeubles d’habitation, si les conditions prévues à l’article 1er sont remplies, et du caractère impératif de la plupart de ses dispositions.

Mais sur plusieurs points l’atteinte à une telle cohérence est certaine ; elle est particulièrement grave en ce qui concerne la tenue des assemblées générales et les règles de majorité qui y sont applicables.

Là où le faible était protégé, c’est maintenant, dans la plupart des cas, la loi du plus fort qui s’applique.

Réformes sans doute nécessaires pour permettre aux assemblées de prendre plus facilement des décisions alors que les syndicats se trouvent déjà confrontés et le seront encore plus à l’avenir, de gré ou de force, à l’obligation de statuer.

On pense bien sûr aux dispositions à prendre pour lutter contre le réchauffement climatique.

 

Il n’empêche. Il est permis, à défaut de pouvoir dénoncer avec une pertinence suffisante une perte de cohérence sans doute nécessaire, d’éprouver un peu de nostalgie et de regret, même si ce regret est vain, pour le cadre rassurant et protecteur de la loi du 10 juillet 1965. Mais son temps est à l’évidence révolu.

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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 709 de juin 2025