60 ans de copropriété | Le droit de la copropriété est-il encore une branche du droit des biens ?

par Béatrice BALIVET, Maître de conférences, Directrice de l’IDPI, Université Jean Moulin Lyon 3
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Béatrice BALLIVET
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Si, contrairement au Code civil québécois, la copropriété n’est plus définie dans le Code civil français, en tant que modalité de la propriété (art. 1009, C. civ. queb.), la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 met en exergue, dès son article 1er, ce mode original d’appropriation. La propriété d’un immeuble bâti ou d’un groupe d’immeubles bâtis, plus précisément à destination au moins partielle d’habitation, est répartie, entre plusieurs personnes, par lots.

Ce bien immobilier composite est constitué, indissociablement, des parties privatives, faisant l’objet d’un droit de propriété exclusif, et une quote-part de parties communes, générales et/ou spéciales, propriétés indivises de tous les copropriétaires ou de certains d’entre eux. Regrettant cette absence «fâcheuse» du Livre II du Code civil : Des biens et des différentes modifications de la propriété, liée à l’abrogation de l’article 664 du Code civil par la loi du 28 juin 1938, la commission présidée par le Professeur honoraire H. Périnet-Marquet, dans son offre de réforme de droit des biens, a proposé d’intégrer au sein dudit livre, un chapitre V portant sur les propriétés collectives, incluant une section 2 sur les copropriétés par lots (art. 571du Code civil de la proposition de réforme).

La copropriété, que ce soit en droit positif dans le texte non codifié de 1965 ou en droit prospectif, est donc introduite par le droit des biens. Pour autant, le droit de la copropriété est-il encore une branche du droit des biens ? L’affirmer paraîtrait réducteur. Le réfuter semble dangereux. Les évolutions du droit de la copropriété, depuis la loi du 10 juillet 1965, conduisent en effet à apporter une réponse nuancée. Le prisme de lecture de la copropriété par le droit des biens doit être dépassé pour saisir le projet de vie (I) et le «projet de ville» (II) que représentent les copropriétés, sans être écarté.

1.- La copropriété, un projet de vie

Le droit de la copropriété, s’il est encore une branche du droit des biens, ne saurait faire oublier le droit des obligations. Il relève alors plus du droit civil, voire, dans ses plus récentes évolutions, du droit privé.

Le projet de vie mené au sein de la copropriété est défini dans le règlement de copropriété, dans le respect des dispositions impératives de la loi de 1965 (art. 43, loi de 1965). Cet instrument conventionnel organise les relations entre les copropriétaires, que ce soit, à titre d’illustrations, en fixant la destination de l’immeuble, et les restrictions licites aux droits des copropriétaires qu’elle induit, y compris sur leurs parties privatives, ou en répartissant les charges entre eux. Sans glisser d’un modèle propriétaire vers un modèle contractuel, être copropriétaire consiste à être titulaire de droits, mais aussi débiteur d’obligations. La différence entre un propriétaire et un copropriétaire est si sensible que le législateur, depuis la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, a renforcé le formalisme informationnel, en particulier pour les ventes de lots dans les immeubles à destination au moins partielle d’habitation, pour que le candidat à l’acquisition consente, en connaissance de cause, à ce qu’implique la qualité de copropriétaire (mentions obligatoires pour l’annonce de vente : art. L. 721-1, CCH [Code de la construction et de l’habitation] ; Informations pour les ventes : art. L. 721-2, CCH), assurant aussi la protection du syndicat en évitant des engagements pris avec légèreté.

Toute l’originalité du droit de la copropriété est que ce projet de vie est mis en œuvre par le syndicat des copropriétaires, qui a, depuis 1965, la personnalité juridique, pour imprimer «un esprit plus communautaire à l’organisation de la copropriété». Il a des prérogatives étendues sans être propriétaire d’aucune partie, prenant ses décisions, à des majorités ayant été régulièrement abaissées. Plus que des restrictions aux droits des copropriétaires liés aux spécificités de cette organisation collective, la copropriété n’est-elle pas devenue un modèle de gouvernance, comparable à celui d’une entreprise ? Le traitement des copropriétés en difficultés depuis les années 1990 accentue cette orientation. Lorsque le projet de vie est menacé, par des difficultés conjoncturelles ou structurelles, un corps de règles s’applique calquées sur le droit des entreprises en difficultés. La réforme opérée par l’ordonnance du 30 octobre 2019, en excluant du statut impératif les immeubles à destination totale autre que d’habitation, met aussi en avant des alternatives au modèle de gouvernance par le syndicat, en recourant volontairement à d’autres personnes morales, telles des associations (ASL…) ou des sociétés. Aux droits réels des propriétaires se substituent des droits personnels de jouissance.

2.- La copropriété, un «projet de ville»

Le droit de la copropriété ne peut plus être considéré comme une seule branche du droit des biens, voire du droit privé, car la copropriété est devenue, selon les termes du Professeur honoraire H. Périnet-Marquet, un «projet de ville». Le droit de la copropriété est «confronté à une augmentation sensible des incursions des autorités publiques (Etat, collectivités territoriales, EPCI…) dans la sphère de la propriété privée». Le préfet, le maire, le président de l’organe délibérant de l’EPCI sont désormais présents au sein de la loi de 1965 dans le dispositif de gestion des copropriétés en difficultés, voire dégradées. En outre les enjeux environnementaux, de même que la densification urbaine, ont centré l’attention des acteurs publics sur les copropriétés, leur rénovation énergétique, leur réhabilitation, avec des enjeux de mixité sociale. Dépassant le cadre du droit privé, la copropriété s’inscrit comme un élément incontournable de l’aménagement du territoire et de la gouvernance locale, devenant un levier de l’action urbaine. Les décisions prises en assemblée générale ne concernent plus seulement les relations internes à la copropriété, mais aussi les interactions avec les acteurs publics avec des objectifs de territoire (éco-quartier, smart cities…).

La copropriété, en tant que projet de ville, implique une approche plus collaborative du droit de la copropriété. Un changement de paradigme s’impose, sans exclure le prisme du droit privé et celui du droit des biens. Pour que la copropriété puisse être un maillon de gouvernance locale efficace, un dialogue doit s’instaurer entre les acteurs publics, les copropriétaires et le syndicat représentant l’intérêt collectif. Un nouvel équilibre entre l’intérêt collectif et l’intérêt individuel des copropriétaires doit être recherché et retenu au sein des copropriétés. Cela suppose que l’intérêt collectif soit énoncé et protégé. Le syndic, acteur incontournable de la réussite de ce dialogue, doit aussi avoir les moyens de ses actions. Devenu professionnel multi-services, il doit être recentré sur un positionnement d’homme/femme orchestre, œuvrant pour la protection de cet intérêt collectif. La confiance doit être rétablie, ce qui passe inévitablement par réouvrir des sujets, tels que la discipline organisée par la profession, des programmes de formation adaptés à de la gestion du complexe dans un monde en transition et adaptés aux réalités du territoire.

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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 709 de juin 2025