60 ans de copropriété | Quelles sont les principales tendances et évolutions du contentieux du droit de la copropriété ?

par Pascaline DÉCHELETTE-TOLOT, Avocat au barreau de Paris
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Pascaline DÉCHELETTE-TOLOT
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L‘ensemble des litiges susceptibles d’être soumis aux tribunaux laisse apparaître une part significative des procédures en règlement de charges de copropriété, en augmentation plus sensible encore aujourd’hui, conséquence logique du contexte économique actuel, de la paupérisation des copropriétaires, de l’augmentation du coût de l’énergie qui se répercute sur le montant des charges.

Les contraintes liées à la rénovation énergétique induisent des travaux structurels souvent lourds, en dépit des aides dont la mobilisation n’est pas aisée.

Les contestations d’assemblées générales représentent une proportion stable qui, dans la période 2007/2017, avait augmenté de 8 %.

Globalement on peut considérer que plus des deux tiers des contentieux de la copropriété sont générés par les impayés de charges, ces actions sont pour la plupart portées devant les tribunaux d’instance et concernent des sommes inférieures à 10 000 €.

On note que le contentieux relatif aux droits et obligations des copropriétaires (paiement de charges, atteinte au règlement de copropriété, atteinte à la propriété ou à la jouissance d’un lot, réparation d’un préjudice causé par des travaux…) représente le double des litiges portant sur l’organisation et l’administration des copropriétés (application du règlement de copropriété, désignation de syndic, désignation d’un administrateur provisoire, mise en cause la responsabilité du syndicat ou du syndic…).

Nous avons retenu parmi les arrêts rendus ces dernières années par la Cour de cassation en droit de la copropriété, le rôle fondateur du règlement de copropriété dont il convient de ne pas s’écarter (I), la primauté du syndicat des copropriétaires sans lequel certaines actions judiciaires ne sont pas recevables (II). Le contrôle de proportionnalité en droit de la copropriété (III).

 

I.- le règlement de copropriété, un contrat qui s’impose à chaque copropriétaire

L’arbitre des parties communes ou des parties privatives.- Il convient de se rapporter au règlement de copropriété lorsque la nature d’un lot est contestée. La jurisprudence depuis longtemps considère que le règlement de copropriété a force de loi entre tous les copropriétaires. La Haute juridiction juge que les stipulations du règlement de copropriété s’imposent et qu’elles sont exclusives de l’application de l’article 2 et de l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965 qui définissent les parties privatives et les parties communes.

La Cour de cassation réfute l’interprétation de l’état descriptif de division alors même que le tableau de division de l’ensemble immobilier est inséré dans le corps du règlement de copropriété.

En cela la décision rendue est conforme à la jurisprudence établie en la matière qui juge que l’état descriptif de division n’a pas de caractère contractuel.

Lorsqu’une clause valide du règlement de copropriété exige que le bureau de l’assemblée générale soit composé de deux scrutateurs, l’assemblée générale est annulée si elle n’a désigné qu’un scrutateur.

 

La clause réputée non écrite.- La répartition des charges figurant au règlement de copropriété ne correspondait plus à la configuration actuelle des lieux. La clause du règlement de copropriété qui ne respecte pas le critère légal de répartition des charges doit être réputée non écrite. En application de l’article 43 de la loi du 10 juillet 1965, le juge procède à leur nouvelle répartition.

La jurisprudence réserve à la clause résultant du vote d’une décision d’assemblée générale la même sanction qu’à la clause d’un règlement de copropriété. La décision d’assemblée générale qui modifie la répartition des charges est jugée non écrite car en contradiction avec les dispositions de l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965. La Cour de cassation sanctionne la cour d’appel qui n’a pas procédé à une nouvelle répartition des charges conformément à l’article 43 de la loi.

 

Les parties communes spéciales identifiées dans le règlement de copropriété.- Lors de l’assemblée générale des copropriétaires appelée à se prononcer sur la cession de parties communes spéciales, seuls les copropriétaires, propriétaires de celles-ci, peuvent décider de leur aliénation. Cette décision s’inscrit dans le prolongement d’une décision rendue en novembre 2014 par la Cour de cassation qui avait précisé que quand le règlement de copropriété prévoit des parties communes spéciales à chaque bâtiment, il crée une propriété indivise entre les copropriétaires de chaque bâtiment, de sorte que les autres copropriétaires n’ont aucun droit de propriété indivis sur ces parties d’immeuble.

Plusieurs décisions réaffirment le droit des copropriétaires concernés sur les parties communes spéciales. En application de l’article 27 de la loi du 10 juillet 1965, les propriétaires de lots d’un syndicat secondaire autonome décident seuls de sa constitution dans le cadre d’une assemblée générale spéciale à laquelle le syndicat principal n’est pas convoqué.

 

II.- Le syndicat des copropriétaires, partie incontournable à la procédure

Le caractère non écrit d’une clause du règlement de copropriété ne peut être demandé en justice que si le syndicat des copropriétaires est partie à la procédure.

La Cour de cassation juge irrecevable l’action d’un copropriétaire visant à déclarer non écrite une clause du règlement de copropriété en raison de l’absence du syndicat des copropriétaires dans la procédure en application de l’article 15, alinéa 1, de la loi du 10 juillet 1965. Le caractère imprescriptible de l’action visant à réputer non écrite une clause du règlement de copropriété est réaffirmé.

Le copropriétaire n’a pas qualité à agir en paiement du coût de travaux de remise en état de parties communes rendues nécessaires par une atteinte portée à celle-ci par un tiers à la copropriété, seul le syndicat des copropriétaires peut agir.

La Cour de cassation fait référence expresse à la décision de la troisième chambre civile du 8 juin 2023 précitée. Elle juge que «si un copropriétaire peut, lorsque l’atteinte portée aux parties communes par un tiers à la copropriété lui cause un préjudice propre, agir seul pour la faire cesser, il n’a pas qualité à agir en paiement du coût des travaux de remise en état rendus nécessaires par cette atteinte, qu’il revient au seul syndicat des copropriétaires de percevoir et d’affecter à la réalisation de ces travaux».

La Cour de cassation sanctionne la cour d’appel et juge qu’un syndicat des copropriétaires a qualité pour agir en réparation de dommages ayant leur origine dans les parties communes et affectant les parties privatives d’un ou plusieurs lots. Il n’est pas nécessaire, en ce cas, que le préjudice, qu’il soit matériel ou immatériel, soit subi de la même manière par l’ensemble des copropriétaires. Dans sa décision la Haute juridiction fait référence expresse à une décision de la même chambre par laquelle l’action syndicale avait été déclarée recevable en dépit du fait que les réparations des préjudices sollicitées affectaient les parties privatives de quarante et un des copropriétaires et non pas de la totalité de ceux-ci.

L’action personnelle de remise en état des lieux introduite par un copropriétaire est irrecevable à l’encontre d’un autre copropriétaire qui a réalisé des travaux sans autorisation si le syndicat des copropriétaires n’est pas partie à la procédure.

 

III.- Le contrôle de proportionnalité

La sanction de travaux irréguliers n’est pas toujours la démolition.- Lorsque des travaux affectant les parties communes ou l’aspect extérieur de l’immeuble sont réalisés par un copropriétaire sans autorisation de l’assemblée générale, la demande de remise en état est fréquemment présentée par le syndicat ou par un copropriétaire, la Cour de cassation exerce son contrôle sur la proportionnalité entre les irrégularités commises et la sanction prononcée avant de prononcer la démolition.

Depuis quelques années, la sanction de remise en état, de démolition, peut paraître disproportionnée par rapport à l’atteinte portée aux parties communes. La Cour de cassation a sanctionné une cour d’appel qui avait ordonné la démolition de bâtiments édifiés sur un lot transitoire sans rechercher si les atteintes aux parties communes et parties privatives justifiaient cette démolition.

Cependant, la Cour de cassation réfute les conséquences disproportionnées d’une démolition alors que celui qui l’invoquait ne démontrait pas l’impossibilité de se reloger dans son lot, la démolition portait sur la surélévation d’un appentis.

La Cour de cassation reconnaît le bien-fondé de la décision d’une cour d’appel qui rejette la demande de démolition d’un bâtiment comportant six logements, en violation du cahier des charges du lotissement. 

Dans une affaire récente la Cour de cassation sanctionne la cour d’appel qui a retenu le caractère disproportionné de la remise en état d’un jardin attribué à un copropriétaire avec jouissance exclusive, sur lequel avait été édifiée sans autorisation une loggia. Le contrôle de proportionnalité est assuré par la Cour de cassation, les parties n’ayant pas été appelées à s’expliquer sur le caractère disproportionné de la sanction.

 

La sécurisation du fonctionnement des copropriétés (notification du procès-verbal d’assemblée générale).- La notification du procès-verbal d’assemblée générale par lettre recommandée fait courir le délai de recours, le copropriétaire soutenait n’avoir jamais reçu la notification du procès-verbal.

Pour éviter qu’un copropriétaires puisse, en s’abstenant de retirer un courrier recommandé, empêcher le délai de recours de courir et fragiliser l’exécution des décisions d’assemblées générales, la cour d’appel déduit exactement qu’en l’absence de disproportion avec le droit d’un copropriétaire de pouvoir contester les décisions prises par l’assemblée générale, la décision ne porte pas une atteinte injustifiée au droit d’accès à un tribunal garanti par l’article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.

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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 709 de juin 2025