Sans doute n’est-ce point l’apanage du seul statut de la copropriété, mais notre législateur ne se montre guère émule de Boileau, prescrivant que «ce qui se conçoit bien s’énonce clairement, et les mots pour le dire arrivent aisément». Le droit de la copropriété, à l’aune des autres branches, tentaculaires, de notre ordonnancement juridique, ne «se conçoit plus» aisément.
La loi du 10 juillet 1965, publiée au Journal Officiel du 11 juillet 1965, signée par le Président de la République Charles de Gaulle, et Jean Foyer, Garde des sceaux et ministre de la justice, son principal rédacteur, comprenait 48 articles, dont la fluidité de lecture rend amer sur la beauté des temps passés, époque déjà lointaine où les textes étaient rédigés par des juristes.
La loi, telle que revisitée par tant de réformes, en compte désormais 160, le législateur, prolixe, oubliant qu’une loi à une vocation générale et ne doit pas chercher à régler tous les détails, telle l’installation d’une prise électrique dans les garages d’une copropriété, instituant pour cette simple opération une complexité telle que le statut semble quitter le monde du droit pour rejoindre celui de la technique. Cette orientation, délétère, laisse sur le côté du chemin de la justice tant les magistrats que les avocats.
Sans doute, la faute en revient-elle, en partie, à cette dichotomie entre le postulat politique en vogue depuis des décennies, celui de la simplification de notre droit, prôné par tous les candidats aux élections présidentielles et le constat d’une inflation législative qui ne cesse d’être dénoncée, à défaut de pouvoir être enrayée.
Une loi bienvenue, celle du 23 novembre 2018, dite ELAN, texte de clarification car inspiré des travaux du Groupement de recherche sur la copropriété présidé par le Professeur Hugues Périnet-Marquet, a été suivie de l’ordonnance du 30 octobre 2019, le rapprochement des dates laissant un doute sur la cohérence de la démarche, puis par une avalanche de textes, la loi du 22 août 2021 portant lutte contre le dérèglement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets, intitulé presque poétique, la loi du 10 mars 2023 relative à l’accélération de la production d’énergies renouvelables, dont on peut bien se demander ce que la copropriété vient y faire, la loi du 9 avril 2024 visant à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitât dégradé et des grandes opérations d’aménagement….
Accélération, simplification, credo de notre époque que l’accumulation des normes rend vain, surtout lorsqu’il s’agit encore de «renforcer les outils de régulation des meublés de tourisme à l’échelle locale» que sous-tend la loi du 19 novembre 2024.
L’article 34 de la Constitution française édicte que la loi «détermine les principes fondamentaux». Force est de constater que l’exercice législatif consiste désormais à s’attacher aux petites subtilités des cas particuliers, probablement en réception de la modification du Code civil par l’ordonnance du 10 février 2016 faisant prévaloir le texte spécial sur le texte général comme en décide le nouvel article 1105 du susdit code, reprenant l’adage «speciala generalibus derogant».
De fait, la loi du 10 juillet 1965 est devenue un texte très spécial, se préoccupant des prises électriques autant que des vide-ordures dans les immeubles soumis au statut de la copropriété, les normes y afférentes se glissant de surcroît dans le Code de la construction et de l’habitation ou le Code de l’environnement, sans prétention à l’exhaustivité.
Dès lors, se pose la question, avant même d’imaginer une simplification qui jamais ne surviendra, de connaître le droit de la copropriété pour être à même de l’appliquer correctement.
I.- Connaître le droit de la copropriété
L’immatriculation des copropriétés voulue par la loi du 14 mars 2014, dite ALUR, devait permettre de connaître, enfin, le nombre d’immeubles en copropriété sur le territoire national. S’il en était compté 532 500 par l’ANAH en 2022, une autre source en voyait 572 450 en 2024, lorsque la revue Le Revenu croyait savoir, la même année que 888 000 copropriétés étaient en difficulté. Somme toute, la prétention à la simplification n’aura guère été probante et assez loin d’une démarche scientifique.
Pour autant, une très grande partie de la population urbaine française vit en copropriété. Or, le statut de la copropriété n’est pratiquement pas enseigné dans nos facultés de droit, à l’exception de la filière notariale, en cinquième année, et de quelques heures, lorsqu’il reste du temps, en droit des biens, généralement en fin de licence.
C’est dire qu’une législation qui intéresse des millions de personnes n’est pas connue des professionnels qui se doivent de l’appliquer, au principal les magistrats et les avocats. Les praticiens, essentiellement les syndics sont mieux pourvus, notamment lorsqu’ils ont suivi les enseignements de l’Institut de la construction et de l’habitation du Conservatoire national des arts et métiers, la première institution à avoir proposé une formation de haut niveau peu après la promulgation de la loi de 1965.
Les magistrats sont tenus d’une obligation de formation continue depuis un décret du 4 mai 1972, à l’instar des avocats qui doivent suivre vingt heures de formation par année civile. Mais, la formation continue n’a de sens que si les principes fondamentaux d’une matière sont acquis. Tel est loin d’être le cas, avec tout le respect légitimement dû à ces praticiens.
Un simple exemple, en guise d’illustration. Un ensemble immobilier, composé de quatre bâtiments, représente selon des actes clairs, 100.000/100.000e, ce qui témoigne sans coup férir de l’existence d’une seule et même copropriété. Il est pourtant jugé que «la question de l’unicité de la copropriété apparaît sérieusement contestable» (TJ des Sables d’Olonne, 8 nov. 2024, RG 24/00195).
Dans une autre décision, parmi tant d’autres, un copropriétaire, acquéreur d’un lot à vocation commerciale, reçoit un appel de charges laissant apparaître des charges «commerces» qui ne figurent pas dans le règlement de copropriété, entre autres anomalies, et sollicite la désignation d’un expert judicaire dans le seul but de clarifier la situation. Il lui est répondu que «l‘exemplaire [du règlement de copropriété] produit par le demandeur est l’exemplaire publié, et que l’exemplaire du défendeur n’est qu’une copie non signée et non publiée», ce qui «n’enlève pas le fait que les grilles [de répartition de charges] existent » (TJ Albertville, 7 mars 2025, RG 24/00443). La valeur contractuelle du règlement de copropriété, résultant des dispositions de l’article 8 de la loi du 10 juillet 1965 est ainsi passée par perte et profit, au bénéfice d’un document émergé d’on ne sait où.
Ainsi donc, avant d’envisager, dans un improbable futur, une simplification du droit de la copropriété, faut-il militer pour un meilleur apprentissage des professionnels du droit qui y sont confronté, surtout lorsqu’ils doivent encore l’interpréter.
II.- Interpréter le droit de la copropriété
Au titre des principes directeurs du procès civil, l’article 12 du Code de procédure civile décide, en ses deux premiers alinéas, que «le juge tranche le litige conformément aux règles de droit qui lui sont applicables. Il doit donner ou restituer leur exacte qualification aux faits et actes litigieux sans s’arrêter à la dénomination que les parties en auraient proposée».
Lorsque la loi est nouvelle, et qu’elle s’inscrit dans une complexité certaine, cet exercice de qualification peut s’avérer ardu. Mais, pour autant, faut-il simplifier ?
Prenons le cas des copropriétés à deux, qui n’avait pas été organisé par la loi de 1965, dans ses dispositions originelles. Est intervenue l’ordonnance du 30 octobre 2019, fixant un régime particulier à ce type de copropriétés aux articles 41-13 et suivants, nouveaux, de la loi du 10 juillet 1965.
Selon l’article 41-16, «indépendamment du nombre des voix dont il dispose, chaque copropriétaire peut prendre les mesures nécessaires à la conservation de l’immeuble en copropriété, même si elles ne présentent pas un caractère d’urgence». Cette mesure, bienvenue, est complétée par la règle posée à l’article 41-17 selon lequel «le copropriétaire décisionnaire est chargé de leur exécution» et «chaque copropriétaire est tenu de contribuer aux dépenses au titre de ces décisions et mesures proportionnellement aux quotes-parts de parties communes afférentes à ces lots». A priori, rien de plus simple. Pour autant, si les travaux dont il s’agit sont relatifs à l’entretien de l’immeuble, une demande en justice du prix de leur exécution, auquel se refuse l’autre copropriétaire, doit être faite au nom du syndicat des copropriétaires, lequel subsiste, même s’il ne comprend que deux copropriétaires. Il a pourtant été répondu «qu’il n’entre pas dans le pouvoir juridictionnel de la cour d’autoriser un copropriétaire à réaliser tels ou tels travaux». C’est «ainsi au copropriétaire intéressé qu’il incombe de s’entendre pour convenir des travaux d’intérêt commun» (Caen, 14 févr. 2023, RG : 22/02511). Autrement exprimé, le juge dénie toute portée à la réforme du régime des copropriétés à deux proposant une solution en situation de désaccord entre eux.
Enfin, ce qui contrarie toute velléité de simplification tient à l’incomplétude du statut, lequel est renforcé au fil des réformes pour combler certains vides juridiques, indiquant, par exemple, la date de naissance d’une copropriété, anniversaire que le régime originel n’avait pas entendu fêter (V. art. 1er- 1, loi du 23 novembre 2018). Mais, il demeure encore de nombreuses zones d’ombre. Il est acquis depuis 1965, qu’une copropriété ne peut être gérée que par un seul syndic. Cependant, les textes ne prévoient pas les conséquences de la présence de deux syndics sur une même copropriété, et il a été jugé «qu’il est difficile, a priori, de faire application des dispositions de l’article 47 du décret du 17 mars 1967 dès lors qu’il vise la seule hypothèse où il n’y a pas de syndic» (TJ des Sables d’Olonne, 8 nov. 2024, préc.). Dont acte.
Est-il encore possible d’intégrer un terrain nu, propriété d’un tiers, contigu d’une copropriété existante ? Un arrêt de la Cour de cassation du 8 avril 1970, rendu certes sous l’empire de la loi du 28 juin 1938, avait jugé «que la copropriété d’un immeuble divisé par étages ou par appartements n’existe qu’entre les propriétaires de ces étages ou appartements», refusant une telle intégration, décision qui s’inscrit dans les dispositions des articles 71-1 et suivants du décret du 14 octobre 1955 portant réforme de la publicité foncière, envisageant le modificatif d’un état descriptif de division préalablement inscrit, «en cas de division ou de réunion de copropriétés existantes…» (art. 71-4). Il a été récemment jugé que «la constitution de cette copropriété horizontale, par absorption d’une propriété au départ étrangère à celle-ci, n’est absolument pas prohibée par la loi du 10 juillet 1965» (Rennes, 6 mars 2025, RG : 24/03816). Pour le juge, ce qui n’est pas expressément interdit est donc autorisé, même à l’encontre de textes d’ordre public qui limitent la possibilité de modifier un état descriptif de division. Question d’interprétation qui pourrait être évincée, non pas par une simplification, qu’il serait vain de rechercher, mais par une clarification, elle-même simple, de règles complexes.
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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 709 de juin 2025