60 ans de copropriété | Le rôle et la perception de l’état descriptif de division ont-ils changé depuis 1965 ?

par Denis BRACHET Géomètre-expert, expert judiciaire, Vice-président de la Chambre nationale des experts en copropriété
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Denis BRACHET
©Sébastien Dolidon / Edilaix

Le décret du 4 janvier 1955 portant réforme de la publicité foncière a posé les bases du système de la publicité foncière en France. Ce texte, et son décret d’application du 14 octobre 1955, organise les rapports entre les services du cadastre et ce qui s’appelait jusqu’en 2013 la conservation des hypothèques, devenue depuis Service de la publicité foncière (SPF).

Le cadastre a la charge de décrire et d’évaluer chaque immeuble, de lui attribuer une référence cadastrale unique, d’identifier le propriétaire débiteur de l’impôt et de dresser et tenir à jour le plan parcellaire et la matrice cadastrale.

Le service de la publicité foncière quant à lui est chargé de tenir, pour chaque commune, un fichier immobilier sur lequel, au fur et à mesure des dépôts, sont répertoriés, sous le nom de chaque propriétaire, et, par immeuble, des extraits des documents publiés, avec référence à leur enregistrement. C’est la publicité des actes qui en assure l’opposabilité aux tiers. Le lien entre ces deux services est fait par le décret du 4 janvier 1955 qui impose, pour chaque acte, d’identifier les biens par leurs seules références cadastrales.

Mais il était nécessaire de pouvoir disposer d’un document descriptif de la propriété bâtie divisée non plus en sol, mais en élévation.

C’est l’article 7 du décret du 4 janvier 1955 qui instaure l’établissement d’un état descriptif de division «à chaque fois qu’il s’agit de créer des fractions d’un immeuble sur lesquelles pourront s’exercer des droits réels distincts». Un bien immobilier situé dans un immeuble collectif est identifié sous la forme d’un lot numéroté accompagné de sa quote-part des parties communes.

La quote-part des parties communes représente la fraction de propriété indivise des parties communes. Cette fraction est de libre établissement, mais la loi du 10 juillet 1965 prévoit en son article 5 les modalités du calcul des quotes-parts des parties communes qui restent toutefois d’application supplétives.

 

Créé pour les besoins de la publicité foncière, l’état descriptif de division est souvent présenté comme un simple document technique sans valeur juridique. Document autonome, distinct du mode d’appropriation des biens, l’état descriptif de division est en principe limité à l’identification du lot et de son propriétaire et de sa quote-part de la propriété indivise des parties communes.

La loi du 10 juillet 1965 confirme cette perception de l’état descriptif de division :

l’article 8 de la loi précise que le règlement de copropriété est un document conventionnel qui inclut, ou non, un état descriptif de division,

- l’article 3 du décret du 17 mars 1967 dispose que si le règlement de copropriété venait à comprendre un état descriptif de division, celui-ci devrait être rédigé de manière à éviter toute confusion entre ses différentes parties et que seules les stipulations relatives à la destination des parties privatives et des parties communes, aux conditions de leur jouissance et de leur administration, ainsi que l’état de répartition des charges constituent l’objet du règlement de copropriété.

 

Mais paradoxalement, la loi confère aussi un rôle central à l’état descriptif de division :

- l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965 corrèle la représentativité en assemblée aux quotes-parts des parties communes. C’est donc l’état descriptif de division qui établira les poids relatifs entre les différents copropriétaires en assemblée générale.

- le montant de l’indemnité reçue en cas de disparition de l’immeuble à la suite de la décision des copropriétaires de ne pas le reconstruire après un sinistre et suite sera réparti en fonction des quotes-parts de propriété des parties communes.

 

Si le rôle de l’état descriptif de division semble fixé dans les textes, il reste encore largement débattu dans les faits.

Dans les premiers temps de la loi du 10 juillet 1965 la Cour de cassation semblait conférer à l’état descriptif de division la même valeur contractuelle que le règlement de copropriété. Puis, la position de la Haute juridiction s’est inversée. Dans plusieurs arrêts, la Cour de cassation a confirmé que l’état descriptif de division n’avait pas de caractère contractuel, et qu’il constituait un simple document technique uniquement dressé pour les besoins de la publicité foncière. Ces arrêts visaient essentiellement des litiges relatifs à des changements d’usage des lots et considéraient qu’il n’était pas possible d’opposer la description des lots portée à l’état descriptif de division pour interdire un changement d’usage et que ces descriptions «ne sauraient, à elles seules, déterminer la destination des parties tant privatives que communes».

Certaines juridictions ont tempéré ce raisonnement en admettant que dans l’hypothèse où le règlement de copropriété ne serait pas suffisamment clair et précis quant à l’affectation des lots, il pourrait être tenu compte par les juges du fond, dans le cadre de leur pouvoir souverain d’appréciation, des mentions complémentaires de l’état descriptif de division.

Actuellement, la position de la Cour de cassation s’est nuancée et tend à reconnaître une valeur conventionnelle à l’état descriptif de division dès lors que le règlement de copropriété y fait expressément référence et apporte des précisions qui ne sont pas en contradiction avec les mentions de portée plus générale du règlement de copropriété.

La fonction de l’état descriptif de division a donc évolué avec le temps. S’il reste un document technique, il est devenu peu à peu un corollaire indispensable du règlement de copropriété car lui seul décrit, pour chaque lot, l’assiette des droits et des obligations qui en découlent. L’état descriptif de division apporte des précisions bienvenues qui sont à même de compléter ou d’illustrer les mentions du règlement de copropriété qui s’avèrent souvent incomplètes ou contradictoires.

La documentation littérale de la copropriété est utilement complétée par des plans. Le plus souvent annexés à l’état descriptif de division, ils en ont la même portée et leur opposabilité est elle aussi débattue.

 

L’établissement des plans de division est une faculté et non une obligation. Ils doivent être établis dès lors que la description de la localisation des lots dans l’immeuble s’avère impossible ou imprécise. Ce faisant, deux questions se posent :

1- bien que facultatifs, les plans de division qui représentent des propriétés, communes et privatives, peuvent-ils à eux seul avoir force probante ?

2- si les plans de division sont une représentation de la propriété foncière, leur établissement relève-t-il de la seule délégation de service public de l’Ordre des géomètres-experts ?

À ce jour, les plans annexés à l’état descriptif de division constituent un élément de simple présomption de la propriété qui concoure à la qualification d’un espace dans les conditions des articles 2 et 3 de la loi du 10 juillet 1965.

Le GRECCO, groupe de travail réunissant des professionnels de la copropriété placé sous la direction du professeur Hugues Périnet-Marquet proposait, dans son projet de réécriture de la loi du 10 juillet 1965, que le règlement de copropriété puisse comprendre «un document graphique déterminant la limite des parties communes et des parties privatives» nécessairement contenu dans le règlement de copropriété et qui en aurait donc la même valeur conventionnelle. Cette proposition n’a pas été reprise par le rédacteur de la loi ELAN, mais rien ne semble empêcher sa mise en œuvre.

L’Ordre des géomètres-experts met en avant le rôle essentiel des plans établis par un géomètre-expert dans la définition des droits de propriété de chaque copropriétaire. Il soutient que l’établissement de ces documents relève de l’office exclusif du géomètre-expert. Cette position a trouvé un écho dans un arrêt rendu par la première chambre civile de la Cour de cassation qui considère que ces plans permettent de fixer les limites des droits fonciers des copropriétaires, «et qu’il ressort des articles 1 et 2 de la loi n° 46-942 du 7 mai 1946, modifiée, que seuls les géomètres-experts peuvent dresser les plans de division des biens fonciers», ces plans doivent être établis par un géomètre-expert, à défaut, ils sont inopposables.

Cet arrêt vient contrebalancer une décision de l’Autorité de la Concurrence qui dans un avis rendu le 28 février 2018 analysait qu’ «aucun droit exclusif ne semble avoir été octroyé par la loi ou le règlement aux géomètres-experts en matière de réalisation d’un plan ou d’une esquisse annexé à un état descriptif de division de copropriété».

Il est essentiel pour chaque syndicat de copropriétaires de pouvoir disposer d’une documentation graphique claire, précise et à jour qui puisse permettre d’identifier avec certitude non pas le détail des lots privatifs, mais leurs limites, et de pouvoir identifier clairement et facilement les différentes qualifications des parties communes. En ce sens, la proposition du GRECCO paraît pertinente.

 

Souvent bien plus complet et précis que le règlement de copropriété, l’état descriptif et surtout les plans qui y sont annexés offrent une représentation très fine de l’immeuble et localisent en les qualifiant ses différentes composantes, qu’elles soient privatives ou communes. Initialement conçu comme un simple document technique, un cadastre de l’immeuble bâti, son rôle s’est progressivement élargi car c’est la seule source documentaire qui permette une identification et une qualification précises des différentes composantes de l’immeuble. Il constitue donc un document essentiel au rôle et à la portée encore mal définis même si en raison du respect de la hiérarchie des normes, l’état descriptif de division sera toujours assujetti au règlement de copropriété.

Peut-être serait-il opportun de fixer la valeur exacte de l’état descriptif de division, d’en définir la nature des plans et les conditions de sa modification afin de l’adapter aux enjeux de la copropriété.

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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 709 de juin 2025