60 ans de copropriété | Quelle est selon vous, la place du droit de la propriété au sein de la loi de 1965 ?

par Patrick BAUDOUIN, Avocat à la cour, Diplômé de l’Institut d’études politiques de Paris
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Patrick BAUDOUIN
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Le Code civil ne comportait que le seul article 664 pour évoquer la situation des immeubles dont la propriété était fractionnée, prévoyant simplement une répartition des charges relatives au toit et aux gros murs entre tous les copropriétaires en proportion de la valeur de l’étage appartenant à chacun. La copropriété était ainsi considérée comme une simple juxtaposition de propriétés individuelles. Mais cette conception initiale devait peu à peu céder la place à une notion d’indivision forcée et à la nécessité d’établir des règles de fonctionnement.

Ce fut d’abord la loi du 28 juin 1938, comportant l’apparition du terme «copropriété». Cette loi prévoyait ainsi que pour un immeuble en étages appartenant à divers copropriétaires, ceux-ci, en l’absence de titres contraires, seraient présumés être copropriétaires du sol et des parties de bâtiment non affectées à l’usage exclusif de l’un deux, et que sauf organisation contraire, les différents propriétaires seraient de plein droit, groupés dans un syndicat des copropriétaires. Mais cette loi, privilégiant encore la notion de bien personnel, comportait plusieurs insuffisances, notamment son contenu lacunaire, son caractère supplétif, et son absence de prise en compte des copropriétés horizontales.

La loi du 10 juillet 1965 a parachevé l’évolution entamée en consacrant la coexistence, au sein d’un même immeuble, de parties privatives qui appartiennent en pleine propriété à chaque copropriétaire et de parties communes dont la propriété est répartie indivisément entre l’ensemble des copropriétaires. Ce qu’organise la loi du 10 juillet 1965, ce n’est pas un droit de propriété collectif, conçu pour tenir compte de la pluralité des copropriétaires d’un même immeuble, mais bien un droit de copropriété, statut original et spécifique, dans lequel les titulaires du droit sont copropriétaires et non propriétaires (I). Cependant il existe dans ce statut des éléments qui, précisément, caractérisent le droit de propriété (II).

1.- Le statut de la copropriété est distinct du droit de propriété 

Dans le principe même.- Il s’agit d’un système dualiste comme l’exprime très clairement l’article 1 de la loi dans sa version actuelle qui, après avoir mentionné son caractère applicable «à tout immeuble bâti ou groupe d’immeubles bâtis à usage total ou partiel d’habitation dont la propriété est répartie par lots entre plusieurs personnes», souligne que : «Le lot de copropriété comporte obligatoirement une partie privative et une quote-part de parties communes, lesquelles sont indissociables». Cette notion de lot est au cœur d’un régime légal qui institue ainsi un droit de propriété sur la partie privative réservée à l’usage exclusif d’un copropriétaire et un droit indivis sur les parties communes affectées à l’usage ou l’utilité d’un ensemble de copropriétaires avec une quote-part qui sera exprimée en tantièmes.

Dès lors que les copropriétaires sont propriétaires indivis des parties communes, ils ne peuvent en jouir et disposer que sous le couvert d’une personne morale, le syndicat des copropriétaires. C’est ainsi que doit être prise en assemblée générale la décision de cession par le syndicat d’une partie commune. De même il est impossible de demander le partage tant qu’il existe au moins deux copropriétaires, l’article 6 de la loi disposant que «les parties communes et les droits qui leur sont accessoires ne peuvent faire l’objet, séparément des parties privatives, d’une action en partage ni d’une liquidation forcée».

Dans ses modalités de fonctionnement.- L’existence d’un syndicat des copropriétaires implique que les titulaires des lots composant la copropriété ne peuvent exercer leurs droits que dans ce cadre collectif et sous réserve des dispositions du règlement de copropriété. La limitation du droit de propriété en résultant est d’autant plus opérante que la plupart des dispositions de la loi sont impératives et d’ordre public, outre que le caractère contractuel du règlement de copropriété lui confère aussi force obligatoire. Si l’article 9 de la loi stipule que chaque copropriétaire use et jouit librement des parties privatives et des parties communes, c’est ainsi «sous la condition de ne porter atteinte ni aux droits des autres copropriétaires ni à la destination de l’immeuble». Le copropriétaire ne pourra ainsi par exemple réaliser librement certains travaux et devra, à l’inverse, supporter certaines interventions sur ses parties privatives.

En corollaire les décisions régissant la vie de la copropriété ne peuvent être prises que dans le cadre de l’assemblée générale des copropriétaires. Ces décisions relèvent dans la très grande majorité des cas du principe majoritaire, celui-ci se trouvant aujourd’hui affaibli par des réductions successives des majorités applicables. En effet, la tendance législative a constamment été celle d’un assouplissement progressif des conditions de majorité, et ce de façon à faciliter les prises de décisions. A titre d’exemple, la double majorité initiale de l’article 26 de plus de la moitié des copropriétaires en nombre représentant plus des trois quarts des voix a vu cette seconde condition ramenée à deux tiers avec au surplus possibilité de recours désormais à l’article 26-1. La même logique prévaut pour les décisions relatives à l’adoption de travaux comportant transformation, addition ou amélioration relevant initialement de l’article 26, et désormais de l’article 25, voire de la majorité simple de l’article 24 par le biais de la passerelle de l’article 25-1. Cette évolution tend à limiter la liberté des copropriétaires dès lors que les minoritaires sont tenus de subir la loi de la majorité.

 

2.- La présence dans le droit de la copropriété, d’éléments qui caractérisent le droit de propriété

Les copropriétaires ne peuvent être déchus de leur titre de propriété sur le lot de copropriété à titre de sanction de fautes éventuellement commises.- Alors que diverses dispositions législatives et réglementaires impératives, de même que le règlement de copropriété à valeur contractuelle imposent aux copropriétaires le respect de nombreuses obligations, leur éventuelle violation, par exemple pour des nuisances occasionnées, ne permet d’agir à l’égard des contrevenants qu’aux fins de cessation des infractions commises, sans possibilité de les priver de leur propriété, hormis l’exception de poursuites aux fins de vente sur saisie immobilière dans l’hypothèse d’un défaut de paiement des charges de copropriété.

Le principe d’égalité des droits des copropriétaires a pour conséquence que celui qui n’a qu’un nombre réduit de tantièmes a les mêmes droits sur les parties communes.- Les copropriétaires ont un droit égal d’accès aux parties communes et aux éléments d’équipement commun. En vertu de cette règle il a ainsi pu être jugé que l’assemblée générale ne peut valablement prendre une décision réservant à certaines catégories de copropriétaires l’usage de certains accès à l’immeuble. Au nom de ce même principe, la jurisprudence fait prévaloir l’égalité de traitement dans l’attribution des places de stationnement, par exemple lorsqu’elles se trouvent attribuées au même copropriétaire moyennant un loyer toujours identique. 

Le droit de contestation des décisions de l’assemblée reconnu aux copropriétaires ne nécessite pas de justifier d’un préjudice.- Pour pouvoir agir en nullité d’une décision de l’assemblée, le copropriétaire n’a pas à justifier d’un grief. Le copropriétaire requérant est en effet fondé à exiger le respect de la légalité, ce qui lui confère un droit légitime à agir. Ainsi, la simple absence de respect du délai de convocation de 21 jours, même à un jour près, sans aucun préjudice démontré, suffit au demandeur pour obtenir l’annulation de l’intégralité de l’assemblée générale. Cette possibilité étendue de contestation peut s’avérer exagérément protectrice des droits des copropriétaires en générant parfois des procédures nuisibles au fonctionnement d’une copropriété.

La loi prévoit sous certaines conditions la faculté pour un copropriétaire de se retirer de la copropriété.- L’article 28 de la loi de 1965 prévoit que le propriétaire d’un ou plusieurs lots correspondant à un ou plusieurs bâtiments peut demander que ce ou ces bâtiments soient retirés du syndicat initial pour constituer une copropriété séparée. Il doit formuler sa demande auprès de l’assemblée générale qui statue à la majorité des voix de tous les copropriétaires, et se prononce également à la même majorité sur les conditions matérielles, juridiques et financières nécessitées par la division. La possibilité de retrait -et c’est là sa limite- n’est donc pas unilatérale mais suppose un accord de l’assemblée seule compétente pour se prononcer. En cas de refus le tribunal ne peut se substituer à celle-ci pour donner une autorisation judiciaire, ayant simplement le pouvoir de vérifier si la décision de refus est ou non constitutive d’un abus de majorité.

La destination de l’immeuble définie au règlement de copropriété joue un rôle protecteur pour le copropriétaire.- Si l’acquéreur de locaux en copropriété est lui-même tenu à un respect de la destination de l’immeuble, cette notion qui s’impose aussi à tous les autres copropriétaires n’en est pas moins largement protectrice de ses droits. Selon que l’immeuble sera à destination bourgeoise, commerciale, ou mixte, le copropriétaire sera fixé sur les conditions d’occupation dont il est en droit d’exiger le respect. L’obligation de respecter la destination de l’immeuble préserve aussi les intérêts du copropriétaire en ce qu’elle limite les pouvoirs de l’assemblée, par exemple pour les décisions relatives à certains travaux ou actes de disposition nécessitant l’unanimité dès lors qu’il y a atteinte à la destination de l’immeuble. Cette même unanimité des voix de tous les copropriétaires est également requise pour la modification des stipulations du règlement de copropriété relatives à la destination de l’immeuble.

Si cette destination de l’immeuble est distincte de celle des parties privatives, il doit tout de même en complément être souligné qu’une protection supplémentaire est instaurée par l’article 26 de la loi qui dispose que l’assemblée ne peut à quelque majorité que ce soit imposer à un copropriétaire une modification à la destination de ses parties privatives ou aux modalités de leur jouissance telles qu’elles résultent du règlement de copropriété.

La possibilité existe au sein d’une copropriété de faire jouer la prescription acquisitive, selon un mécanisme juridique similaire à celui applicable pour le droit de propriété.- Selon le droit commun, résultant de l’article 2261 du Code civil, il faut pour pouvoir prescrire justifier d’une possession continue et non interrompue, paisible, publique et non équivoque. C’est cette même caractérisation de la possession qui s’applique pour que la prescription acquisitive puisse jouer au profit d’un copropriétaire qui s’est approprié une partie commune. Après quelques hésitations la jurisprudence considère qu’il n’y a pas d’obstacle de principe si toutes les conditions sont remplies pour l’acquisition par prescription, ainsi par exemple lorsqu’un copropriétaire a construit sur une partie commune appropriée depuis plus de trente ans.

 

En conclusion, il apparait clairement que tous ces éléments de protection du copropriétaire illustrent bien la place d’une présence demeurée importante du droit de la propriété dans celui de la copropriété telle que résultant de la loi du 10 juillet 1965, nonobstant les multiples modifications de celle-ci intervenues depuis sa promulgation.

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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 709 de juin 2025