Copropriété | L’avènement du droit de la consommation - III.- Encadrement des professionnels de l’immobilier

par Pierre-Edouard Lagraulet, Docteur en droit, avocat au barreau de Paris et David RODRIGUES, Juriste à l'Association consommation, logement et cadre de vie (CLCV), membre du CNTGI
Affichages : 209
Pierre-Edouard Lagraulet et David Rodrigues, auteurs des informations rapides de la copropriété
©Sébastien Dolidon / Edilaix

Index de l'article

III.- Encadrement des professionnels de l’immobilier

La loi Hoguet du 2 janvier 1970 a établi les bases de la régulation des professions immobilières. Ce faisant, elle poursuit deux objectifs, l’un de professionnalisation d’encadrement administratif, l’autre de protection des clients. Tel est le sens des mesures visant à imposer des conditions de diplôme, la détention d’une carte professionnelle, ou encore la souscription obligatoire de garanties et autres assurances. Il s‘agit ainsi de protéger le consommateur en s’assurant que le professionnel dispose des connaissances et des garanties lui permettant de mener à bien sa mission, tout en sécurisant les fonds qu’il détient. Toutefois, en 2010, un évènement va pousser le législateur à mettre en place un véritable encadrement de la profession : le scandale Urbania.

A cette occasion, le public découvre la pratique dite des «comptes reflets». Concrètement, il s‘agit d’un arrangement entre un syndic et un établissement bancaire permettant d‘ouvrir un compte, au nom du syndic, d’un montant égal à celui du compte sur lequel sont déposés l’ensemble des fonds des copropriétés gérées. L’argent des copropriétaires n’est donc pas investi directement dans différents placements mais sert de garantie à la banque qui se prête à l’exercice. Cela jusqu’au jour où Urbania se retrouve dans l’incapacité de rembourser les sommes empruntées, soit plusieurs centaines de millions d’euros, sauf à piocher dans l’argent des copropriétaires. La Société Générale va alors déposer plainte contre le groupe pour abus de confiance. Le rachat du cabinet et les arrangements avec différents créanciers permettront d’éviter la catastrophe, de sorte que les copropriétaires ne seront pas pénalisés financièrement. Néanmoins, ce scandale va marquer les pouvoirs publics.

Un projet de texte est rédigé par la Chancellerie, prévoyant notamment la création d’un Conseil de l’entremise et de la gestion immobilière, la mise en place d’une obligation de formation continue ou encore l’instauration du principe de rémunération forfaitaire des syndics, avec une définition limitative des prestations exceptionnelles. Surtout, des Commissions régionales de contrôle sont créées, au sein desquelles les représentants des professionnels seront minoritaires. Si ce projet de texte ne sera jamais déposé devant le Parlement, la loi ALUR de 2014 va en reprendre la plupart des propositions, adoptant ainsi un virage résolument consumériste. Car si les réformes antérieures impactant la loi de 1965 avaient surtout comme objectif d’améliorer le fonctionnement des organes de la copropriété (instauration obligatoire du conseil syndical par la loi Bonnemaison de 1985, réforme budgétaire et comptable avec la loi SRU de 2000…), la loi ALUR cherche avant tout à protéger le syndicat et, à travers lui, les copropriétaires, perçus comme la partie faible qu’il convient de protéger dans le cadre des relations avec le syndic.

Ainsi, un Conseil national, non plus de l’entremise mais de la transaction et de la gestion immobilières (ou CNTGI), va être créé, avec pour mission de «veiller au maintien et à la promotion des principes de moralité, de probité et de compétence nécessaires au bon accomplissement des activités des professionnels de l’immobilier». Un Code de déontologie est instauré et une Commission de contrôle mise en place, non pas au niveau local comme envisagé initialement, mais au niveau national. Si elle se voit dotée d’un pouvoir disciplinaire allant du simple avertissement à l’interdiction définitive d’exercice, ses prérogatives vont être considérablement amoindries par la loi ELAN de 2018 qui, après une tentative de suppression pure et simple, va lui ôter tout pouvoir disciplinaire et circonscrire son champ d’application aux seules pratiques commerciales trompeuses ou abusives définies aux articles L. 511-5 à L. 511-7 du Code de la consommation. Par ailleurs, si la Commission était initialement indépendante, elle est depuis la loi ELAN une composante du CNTGI.

Sur le papier, cette instance demeure atypique. En effet, elle concerne une profession qui, bien que règlementée, n’est pas ordinale. Ensuite, la limitation de son champ de compétences ne lui permet pas d’investiguer l’ensemble des litiges relevant de la violation de règles déontologiques. Enfin, il s’agit d’une instance, paritaire, avec en nombre égal des représentants des professionnels et des associations de consommateurs. Du jamais vu au sein d’une instance disciplinaire, ce que d’aucuns contestent, estimant que les clients n’y ont nullement leur place. Une position, peut-être d’arrière-garde, qui n’est pas unanime, d’autant qu’en l’espèce certains rappelleront qu’il ne s’agit pas de simples «clients» mais des «mandants» des syndics et autres administrateurs de biens. Pour autant, plus de dix ans après sa création, cette commission de contrôle n’est toujours pas mise en place, même si les évènements semblent s’accélérer depuis peu.

Enfin, se pose la question de la création d’un Conseil de l’ordre. Véritable outil permettant d’améliorer la compétence et la discipline des professionnels ou simple démonstration d’un hybris jalousant l’organisation d’autres professions tels les avocats et notaires ? Si un Conseil de l’ordre devait être créé, se poserait alors la question des conséquences sur le CNTGI. Cette instance pourrait perdurer à l’identique, avec comme fonction de donner son avis sur des textes impactant les professionnels de l’immobilier. Mais sa suppression pourrait également être envisagée puisqu’une partie de son champ de compétences serait dévolue au Conseil de l’ordre.

Par ailleurs, la création d’un ordre professionnel se ferait-elle au détriment de la protection des consommateurs ? Là est toute la question. D’aucuns affirmeront que l’amélioration de la professionnalisation des syndics et autres agents immobiliers ne pourra qu’être positive pour les consommateurs. Mais au-delà de cet aspect, la présence même des associations au sein du conseil de l’ordre, actée pourtant dans le cadre de la Commission de contrôle, sera très certainement remise en cause. Un risque de voir l’entre-soi prédominer et un défaut de transparence qui n’est pas forcément opportun au regard du caractère extrêmement jeune de cette profession.