[N°637] - Copropriétaires successifs, usucapion et parties communes - II.- Une évolution sans doute opportune

par Thierry POULICHOT - Directeur général de l’IGCHF, (Institut des Garanties Citoyennes pour l’Habitat en France)
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II.- Une évolution sans doute opportune

Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel de Colmar avait donné raison aux copropriétaires en estimant qu’il y avait eu possession ininterrompue depuis plus de 30 ans. En effet, des aménagements sur les parties du jardin revendiquées avaient été opérés en 1978 avec des délimitations et un dallage. Les propriétaires requérants avaient acquis leurs lots pour les uns en avril 1980, pour les autres en 1999. Ils ont continué à entretenir ces parties de jardin jusqu’à ce que, par un courrier de 2009 et une sommation de mars 2010, le syndic leur demande de cesser cet usage privatif.

Le syndicat des copropriétaires soulignait qu’il ne pouvait pas y avoir de possession ininterrompue sur plus de 30 ans puisque les copropriétaires concernés étaient détenteurs des lots depuis 29 ans au plus. La cour d’appel de Colmar, quant à elle, a considéré que la possession des parties de jardin par les copropriétaires précédents devait être prise en compte. Pour la cour d’appel, les actes ayant opéré le transfert de propriété des lots avaient emporté aussi le transfert des droits nés de la possession des parties communes concernées.

La position de la cour d’appel était conforme à certains arrêts de la Cour de cassation. Cette dernière a pu estimer que lorsque les détenteurs d’un lot de copropriété et ceux qui le leur ont transmis ont successivement agi comme des propriétaires au su et au vu de tous durant au total plus de trente ans, la prescription acquisitive créant un droit d’usage exclusif était intervenue.

L’interprétation antérieure posait un problème par rapport aux règles appliquées en dehors de la copropriété. Lorsqu’un bien immobilier est légué ou vendu et que le nouveau propriétaire revendique le bénéfice de la prescription trentenaire sur un élément incorporé à ce bien, il faut que la donation ou l’acte de vente fasse, au moins implicitement, référence à cette incorporation.
Si un terrain a été agrandi par le propriétaire précédent qui a empiété sur une parcelle voisine, il faut que le terrain ait été cédé avec la parcelle empiétée pour que le nouveau propriétaire soit en droit d’ajouter le temps d’empiètement de l’ancien propriétaire avec son propre temps d’empiètement. Si les actes de vente font référence au terrain global, empiètement compris, les temps d’empiètement des propriétaires successifs peuvent donc effectivement se cumuler. Le nouveau propriétaire peut «joindre sa possession» à celle de son «auteur», c’est-à-dire de son prédécesseur. Toutefois, si la parcelle litigieuse ne figure pas dans les actes de vente, aucun cumul ne peut être opéré entre les temps de possession des propriétaires successifs.

En copropriété, l’acquéreur d’un lot dispose rarement d’un droit de jouissance exclusif sur une partie commune lorsque ce droit n’est pas indiqué soit dans le règlement, soit dans un acte de notoriété joint à l’acte de vente. La jurisprudence antérieure de la Cour de cassation était donc bien plus généreuse avec les copropriétaires qu’avec les propriétaires ordinaires. L’arrêt du 18 janvier 2018 semble juste mettre fin à cette anomalie.

On peut donc être convaincu par le constat opéré par la troisième chambre civile dans l’arrêt commenté. Selon elle, le droit de jouissance des parties communes attaché à la qualité de copropriétaire est distinct du droit de jouissance exclusif attaché à un lot. Or, effectivement, le simple fait d’acquérir un lot de copropriété ne donne pas droit à la jouissance exclusive sur des parties communes, sauf si un élément sans équivoque visé dans l’acte de vente transfère aussi cet usage exclusif.

Cet arrêt oblige donc les copropriétaires à la vigilance. Désormais, l’acheteur d’un lot, qui pense utiliser seul un jardin qualifié de partie commune dans le règlement de copropriété ou dans l’état descriptif de division, a des vérifications à opérer. L’usage exclusif de la parcelle concernée doit avoir été reconnu dans le règlement de copropriété ou bien avoir fait l’objet d’un acte de notoriété à la suite d’une acquisition par prescription. Les professionnels qui entourent acquéreurs et vendeurs ont l’obligation d’en aviser leurs clients.