L’acquisition par voie de prescription d’un droit de jouissance exclusif sur les parties communes est souvent litigieuse. La Cour de cassation a clarifié les règles applicables lorsque le détenteur d’un lot de copropriété, pour revendiquer un droit d’usage exclusif, invoque aussi la possession exercée par son prédécesseur. L’arrêt ne doit pas forcément être interprété comme une révolution excluant l’usucapion sur les parties communes en copropriété.
Cass. 3e civ., 18 janvier 2018, n° 16-16.950, inédit.
LA COUR DE CASSATION, TROISIÈME CHAMBRE CIVILE, a rendu l’arrêt suivant :
Sur le moyen unique :
Vu l’article 2265 du code civil ;
Attendu, selon l’arrêt attaqué (Colmar, 25 février 2016), que M. et Mme X..., propriétaires d’un lot donnant sur des jardins, parties communes d’un immeuble soumis au statut de la copropriété, et M. Z... A..., d’une part, M. B... et Mme Stéphanie A..., d’autre part, respectivement usufruitier et nus-propriétaires d’un lot donnant sur les mêmes jardins, ont assigné le syndicat des copropriétaires de la Résidence [...] en revendication de l’acquisition par prescription du droit de jouissance exclusif de la partie de ce jardin attenante à leur lot ;
Attendu que, pour accueillir cette demande, l’arrêt retient que la règle selon laquelle l’acquéreur ne peut joindre sa possession à celle de son vendeur pour prescrire la propriété d’un bien ne faisant pas partie de la vente n’est pas applicable, dès lors, d’une part, qu’il ne s’agit pas de prescrire sur des biens distincts, mais sur des parties communes dont une quote-part est attachée indissociablement aux parties privatives de chaque lot, d’autre part, que la cession incluait nécessairement le droit de jouissance sur les jardins attenants aux lots des revendiquants sur lesquels ils disposent d’un accès privatif direct ;
Qu’en statuant ainsi, alors que la jouissance des parties communes attachée à la qualité de copropriétaire est distincte du droit de jouissance exclusif attaché à un lot, la cour d’appel a violé le texte susvisé ;
PAR CES MOTIFS :
CASSE ET ANNULE, mais seulement en ce qu’il dit que les époux X... ont acquis par voie d’usucapion un droit réel et perpétuel de jouissance exclusive sur la partie commune dénommée «jardins (...)» (…), que M. B... A... et Mme Stéphanie A... ont acquis par voie d’usucapion un droit réel et perpétuel de jouissance exclusive sur la partie commune dénommée «jardin (…)» (…), l’arrêt rendu le 25 février 2016, entre les parties, par la cour d’appel de Colmar ; remet, en conséquence, sur ces points, la cause et les parties dans l’état où elles se trouvaient avant ledit arrêt et, pour être fait droit, les renvoie devant la cour d’appel de Nancy (…)
Observations
Une dépêche AFP, citée en ligne le 29 janvier 2018, a indiqué qu’il ne pouvait désormais plus y avoir d’usucapion, c’est-à-dire d’appropriation par prescription, des parties communes en copropriété. Cette dépêche faisait référence à l’arrêt commenté.
Une lecture précise de cette décision de jurisprudence oblige à une position plus nuancée. Des détenteurs de lots de copropriété donnant sur un jardin qualifié de partie commune dans le règlement de copropriété, ont assigné leur syndicat. Ils revendiquaient l’acquisition par prescription du droit de jouissance exclusif sur des parties du jardin, attenantes à leurs lots respectifs. Même s’ils étaient copropriétaires depuis moins de 30 ans, ils considéraient que la possession des parties de jardin concernées par leurs prédécesseurs devait également être prise en compte pour faire jouer la prescription acquisitive. La cour d’appel de Colmar leur a donné raison. C’est sur ce seul point que la Cour de cassation a cassé l’arrêt et a renvoyé l’affaire devant la cour d’appel de Nancy.
La position de la haute juridiction ne peut donc pas s’interpréter comme rejetant, par principe, l’usucapion des parties communes en copropriété. À moins qu’un autre arrêt n’intervienne ensuite, la position antérieure de la Cour de cassation ne paraît pas modifiée. Elle permet toujours la prescription acquisitive (I). En revanche, la décision commentée induit bel et bien une évolution, d’ailleurs opportune, des règles applicables lorsque plusieurs détenteurs d’un lot se succèdent (II).
I.- Une révolution sans doute improbable
La possibilité pour un copropriétaire d’obtenir un droit de jouissance exclusive sur une partie commune après une possession trentenaire a été soulignée dans un important arrêt du 24 octobre 2007. Cet arrêt avait été publié. Ladite décision juridictionnelle de 2007 avait été prise au visa des articles 2229 et 2262 du Code civil.
L’article 2229 est devenu, à la suite de la réforme de 2008, l’article 2261. Il dispose que, pour pouvoir prescrire, il faut une possession continue et non interrompue, paisible, publique, non équivoque et à titre de propriétaire. L’article 2262, devenu l’article 2272 en 2008, fixe à trente ans le délai de la prescription acquisitive en matière immobilière.
Ainsi, un copropriétaire ayant publiquement, continument et paisiblement joui sans équivoque d’une partie commune comme s’il en était propriétaire, peut réclamer un droit d’usage exclusif sur cette partie commune. Il importe de rappeler que tout bénéficiaire d’une acquisition au titre de la prescription trentenaire peut faire établir un acte de notoriété pour obtenir une inscription à la conservation des hypothèques (aujourd’hui service de la publicité foncière).
Le message clair envoyé par la Cour de cassation en 2007 a été parfaitement perçu par la doctrine avant d’être confirmé, notamment dans un arrêt récent.
La position de la Cour de cassation a été d’autant mieux acceptée qu’elle n’implique pas la transformation automatique d’une partie commune en partie privative. Pour un copropriétaire bénéficiaire d’un droit d’usage exclusif sur une partie commune grâce au règlement de copropriété, la possession induite est toujours considérée comme équivoque, car le règlement de copropriété continue de définir l’espace concerné comme une partie commune. Même dans le silence du règlement de copropriété, des toilettes uniquement accessibles par la cage d’escalier commune et qualifiées de «communs» sur les plans, restent des parties communes et ne peuvent être transformées en parties privatives. Une utilisation exclusive trentenaire par un copropriétaire précis n’y change rien.
Un équilibre clair a donc été trouvé. La Haute juridiction peut, évidemment, soudainement changer d’avis, mais un revirement dans un tel contexte serait surprenant.
On note d’ailleurs que l’arrêt commenté ici n’a pas été pris au visa des actuels articles 2261 et 2272 du Code civil qui concernent les conditions et le délai de la prescription acquisitive en matière immobilière. Il serait donc curieux que cet arrêt, non destiné au bulletin, renverse la solution prise par un arrêt publié. Cet arrêt antérieur, de surcroît, visait des articles non évoqués dans la décision commentée.
Concernant l’affaire tranchée le 18 janvier 2018, seul l’article 2265, anciennement article 2235 du Code civil, est visé. Cet article dispose que «pour compléter la prescription, on peut joindre à sa possession celle de son auteur, de quelque manière qu’on lui ait succédé, soit à titre universel ou particulier, soit à titre lucratif ou onéreux».
Rien n’indique donc que la Cour de cassation modifie sa position sur la possibilité d’acquérir un droit d’usage exclusif sur les parties communes par usucapion. L’arrêt du 18 janvier 2018 ne semble affecter que les règles permettant à un nouveau copropriétaire d’invoquer le fait que son prédécesseur ait possédé la partie commune dont l’usage exclusif est revendiqué.
II.- Une évolution sans doute opportune
Dans l’arrêt commenté, la cour d’appel de Colmar avait donné raison aux copropriétaires en estimant qu’il y avait eu possession ininterrompue depuis plus de 30 ans. En effet, des aménagements sur les parties du jardin revendiquées avaient été opérés en 1978 avec des délimitations et un dallage. Les propriétaires requérants avaient acquis leurs lots pour les uns en avril 1980, pour les autres en 1999. Ils ont continué à entretenir ces parties de jardin jusqu’à ce que, par un courrier de 2009 et une sommation de mars 2010, le syndic leur demande de cesser cet usage privatif.
Le syndicat des copropriétaires soulignait qu’il ne pouvait pas y avoir de possession ininterrompue sur plus de 30 ans puisque les copropriétaires concernés étaient détenteurs des lots depuis 29 ans au plus. La cour d’appel de Colmar, quant à elle, a considéré que la possession des parties de jardin par les copropriétaires précédents devait être prise en compte. Pour la cour d’appel, les actes ayant opéré le transfert de propriété des lots avaient emporté aussi le transfert des droits nés de la possession des parties communes concernées.
La position de la cour d’appel était conforme à certains arrêts de la Cour de cassation. Cette dernière a pu estimer que lorsque les détenteurs d’un lot de copropriété et ceux qui le leur ont transmis ont successivement agi comme des propriétaires au su et au vu de tous durant au total plus de trente ans, la prescription acquisitive créant un droit d’usage exclusif était intervenue.
L’interprétation antérieure posait un problème par rapport aux règles appliquées en dehors de la copropriété. Lorsqu’un bien immobilier est légué ou vendu et que le nouveau propriétaire revendique le bénéfice de la prescription trentenaire sur un élément incorporé à ce bien, il faut que la donation ou l’acte de vente fasse, au moins implicitement, référence à cette incorporation.
Si un terrain a été agrandi par le propriétaire précédent qui a empiété sur une parcelle voisine, il faut que le terrain ait été cédé avec la parcelle empiétée pour que le nouveau propriétaire soit en droit d’ajouter le temps d’empiètement de l’ancien propriétaire avec son propre temps d’empiètement. Si les actes de vente font référence au terrain global, empiètement compris, les temps d’empiètement des propriétaires successifs peuvent donc effectivement se cumuler. Le nouveau propriétaire peut «joindre sa possession» à celle de son «auteur», c’est-à-dire de son prédécesseur. Toutefois, si la parcelle litigieuse ne figure pas dans les actes de vente, aucun cumul ne peut être opéré entre les temps de possession des propriétaires successifs.
En copropriété, l’acquéreur d’un lot dispose rarement d’un droit de jouissance exclusif sur une partie commune lorsque ce droit n’est pas indiqué soit dans le règlement, soit dans un acte de notoriété joint à l’acte de vente. La jurisprudence antérieure de la Cour de cassation était donc bien plus généreuse avec les copropriétaires qu’avec les propriétaires ordinaires. L’arrêt du 18 janvier 2018 semble juste mettre fin à cette anomalie.
On peut donc être convaincu par le constat opéré par la troisième chambre civile dans l’arrêt commenté. Selon elle, le droit de jouissance des parties communes attaché à la qualité de copropriétaire est distinct du droit de jouissance exclusif attaché à un lot. Or, effectivement, le simple fait d’acquérir un lot de copropriété ne donne pas droit à la jouissance exclusive sur des parties communes, sauf si un élément sans équivoque visé dans l’acte de vente transfère aussi cet usage exclusif.
Cet arrêt oblige donc les copropriétaires à la vigilance. Désormais, l’acheteur d’un lot, qui pense utiliser seul un jardin qualifié de partie commune dans le règlement de copropriété ou dans l’état descriptif de division, a des vérifications à opérer. L’usage exclusif de la parcelle concernée doit avoir été reconnu dans le règlement de copropriété ou bien avoir fait l’objet d’un acte de notoriété à la suite d’une acquisition par prescription. Les professionnels qui entourent acquéreurs et vendeurs ont l’obligation d’en aviser leurs clients.