[N°657-658] - La crise du COVID-19 dans la copropriété

par Jean-Marc ROUX - Directeur scientifique des éditions Edilaix
Affichages : 11340

Index de l'article

La crise sanitaire que traverse la France a de nombreuses répercussions sur notre vie quotidienne. Parmi toutes les difficultés que traversent nos concitoyens, il en est un certain nombre qui concernent les immeubles soumis au statut de la copropriété.

De nombreuses interrogations sont apparues. Elles ont trait à des situations tant juridiques que pratiques qui touchent à la fois les gestionnaires et les copropriétaires eux-mêmes.

L’occasion nous est donnée d’aborder les principales d’entre elles, à savoir les assemblées générales (et avec elles la question de la désignation du syndic, mais aussi celle du conseil syndical) (I), la gestion du personnel du syndicat (II), l’administration des parties communes au sein de l’immeuble (III) ainsi que le paiement des charges (IV).


I.- Le syndic et l’assemblée générale

Au lendemain des mesures annoncées par les pouvoirs publics impliquant, de facto, l’annulation des plusieurs milliers d’assemblées générales, mais aussi de réunions de conseils syndicaux, à raison de l’état d’urgence sanitaire et de l’une de ses conséquences majeures, c’est-à-dire le confinement, des revendications diverses ont fleuri (adoption urgente de l’arrêté relatif au vote par correspondance ; rédaction d’un décret prolongeant la durée des mandats en cours ; report de l’entrée en vigueur de la réforme du statut de la copropriété…). Certaines mesures ont aussi été préconisées par les pouvoirs publics (cf. circulaire du 14 mars 2020 sur la désignation d’un administrateur provisoire, voir infra).

Quelles sont les solutions envisageables et celles effectivement adoptées par des mesures dérogatoires ? Comment adapter les réponses aux différentes hypothèses auxquelles sont confrontés copropriétaires et administrateurs de biens ?

Pour les assemblées générales d’ores et déjà convoquées, quelle est l’attitude à tenir sachant que les réunions sont proscrites ?

La solution semble évidente : un ajournement (la FNAIM a évoqué le report de 350 000 réunions de copropriétaires, ndlr). Mais comment ?

Une lettre recommandée avec demande d’avis de réception ne parait pas nécessaire. Un courrier simple, voire une communication électronique pourrait suffire eu égard aux circonstances.

Une précaution cependant : un procès-verbal de carence dressé par le syndic relatant les conditions justifiant l’absence de tenue de l’assemblée. Il a été signalé avec raison que cette modalité n’était pas prévue par les textes. Certains ont indiqué que l’on ne pouvait pas parler de «procès-verbal» faute de réunion de l’organe délibérant. Au demeurant, l’expression peut -selon nous- être employée afin de se préconstituer une preuve du constat que la réunion de l’assemblée était impossible faute de participants. Ce procès-verbal (qui ne vaudra qu’à titre probatoire, rappelons-le) sera porté au registre prévu à l’article 17, alinéa 4, du décret du 17 mars 1967. Il ne s’agit que d’acter l’impossibilité de tenir l’assemblée qui avait été programmée pendant la période de confinement.

Pour les assemblées générales qui se tiendraient malgré tout (on peut l’imaginer, par exemple, dans une toute petite copropriété familiale composée d’un très petit nombre de lots entre des personnes vivant ensemble en confinement), des précautions élémentaires sont à respecter, telles que la mise à disposition de gel hydroalcoolique aux participants, le respect d’une distance minimale entre les participants, l’émargement de la feuille de présence et la signature du procès-verbal avec son propre stylo… Les décisions qui découleraient de cette assemblée auront la même valeur que les précédentes réunions et, comme telles, exécutoires, mais contestables dans les conditions du droit commun (cf. L. 1965, art. 42, al. 2 -sur le report du point de départ du délai ou la suspension de celui-ci, voir infra). Il faudra néanmoins tenir compte des dysfonctionnements (compréhensibles) des services postaux, tout comme de l’impossibilité de saisir la justice durant la période de confinement (voir infra).

 

Pour les assemblées générales à venir mais non encore convoquées, un syndic peut-il les prévoir à une date relativement éloignée ?

Le projet se justifie par l’idée qu’au jour de la réunion, l’organe délibérant puisse se tenir dans de bonnes conditions, et ce même si le mandat du syndic est expiré.

Effectivement, il n’est pas nécessaire que le syndic soit en poste pour que l’assemblée générale puisse valablement statuer. Le statut de la copropriété impose seulement que celui qui convoque l’organe délibérant soit en exercice au moment où il procède à l’envoi des convocations. Partant, il importe peu que le mandat eût expiré le jour de l’assemblée générale ou celui auquel les copropriétaires eussent réceptionné cette convocation. La circonstance selon laquelle le syndic n’est plus en fonction au jour de la réception du courrier recommandé est indifférente à la validité de ladite convocation.

Par ailleurs, il n’est aucunement requis que le syndic soit présent lors de la réunion des copropriétaires. Si le représentant légal du syndicat est, en principe, le secrétaire de la séance, et en application des dispositions de l’article 15, alinéa 2, du décret du 17 mars 1967, l’assemblée générale est libre de nommer qui elle souhaite en cette qualité, à l’exception du président de séance. Il est donc loisible aux copropriétaires de choisir l’un d’entre eux pour assurer le secrétariat sans que cela influe sur la validité de l’assemblée générale. Une fois le syndic désigné à la majorité requise par la loi, il pourra assumer la fonction de secrétaire de la séance.

Il existe un inconvénient à cette solution : une fois son mandat arrivé à son terme, le syndic ne pourra plus administrer le syndicat jusqu’à ce qu’il soit à nouveau désigné par l’assemblée générale. La notion de syndic de fait n’a jamais été consacrée par la jurisprudence et il n’est pas possible pour l’ancien syndic d’invoquer la possibilité d’administrer les affaires courantes ou de mettre en avant la gestion d’affaires pour justifier son maintien en tant qu’administrateur des biens d’autrui. La solution semble aujourd’hui réglée en grande partie par l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 (voir ci-après).

 

La visioconférence est-elle une solution ?

Une assemblée générale «à distance» a été envisagée par la loi ELAN qui a introduit un article 17-1 A dans la loi de 1965 : «les copropriétaires peuvent participer à l’assemblée générale par présence physique, par visioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique permettant leur identification».

Le décret n° 2019-650 du 27 juin 2019 a complété le dispositif par les articles 13-1 et suivants dans le décret du 17 mars 1967 (le texte évoque la visioconférence, l’audioconférence ou tout autre moyen de communication électronique).

En vertu de l’article 13-1 du décret de 1967, l’assemblée générale décide des moyens et supports techniques permettant aux copropriétaires de participer aux assemblées générales par visioconférence, par audioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique ainsi que des garanties permettant de s’assurer de l’identité de chaque participant. La décision est prise sur la base de devis élaborés à cet effet à l’initiative du syndic ou du conseil syndical. Le syndicat des copropriétaires en supporte les coûts.

Afin de garantir la participation effective des copropriétaires, ces supports doivent, au moins, transmettre leur voix et permettre la retransmission continue et simultanée des délibérations (D. 1967, art. 13-1, al. 2, nouveau).

Par ailleurs, le copropriétaire qui souhaite participer à l’assemblée générale par visioconférence, par audioconférence ou par tout autre moyen de communication électronique doit en informer par tout moyen le syndic trois jours francs au plus tard avant la réunion de l’assemblée générale (D. 1967, art. 13-2, nouveau).

Encore faut-il qu’une assemblée générale ait préalablement décidé cette modalité de tenue de la réunion des copropriétaires.

Si tel est le cas, il sera tenu une feuille de présence, pouvant comporter plusieurs feuillets, qui indiquera les nom et domicile de chaque copropriétaire ou associé, présent physiquement ou représenté ou participant à l’assemblée générale par visioconférence, par audioconférence ou par un autre moyen de communication électronique (D. 1967, art. 14, al. 1er). Par exception, l’émargement n’est pas requis pour les participants à l’assemblée par visioconférence, par audioconférence ou par un moyen électronique de communication.

Les incidents techniques ayant empêché le copropriétaire ou l’associé qui aura eu recours à la visioconférence, à l’audioconférence ou à tout autre moyen de communication électronique de faire connaître son vote seront mentionnés dans le procès-verbal (D. 1967, art. 17, al. 4).

Une question demeure : une assemblée générale peut-elle se dérouler sans aucune présence physique des copropriétaires ? Ne faudrait-il pas au moins un copropriétaire qui assurerait la présidence de la séance et un secrétaire qui serait, comme à l’accoutumé, le syndic ?

 

L’impossible tenue d’une assemblée n’est-elle pas l’occasion de recourir au vote par correspondance ?

La loi ELAN a créé un article 17-1 A, alinéa 2, aux termes duquel les copropriétaires peuvent voter par correspondance avant la tenue de l’assemblée générale, au moyen d’un formulaire établi conformément à un modèle fixé par arrêté, comme l’a précisé l’ordonnance ELAN du 30 octobre 2019 (initialement un décret en Conseil d’Etat avait été prévu).

La réforme opérée par l’ordonnance ELAN est venue corriger certaines imperfections de rédaction qui figuraient dans le texte de la loi de 1965 (les modifications qui suivent entreront en vigueur le 1er juin 2020). Ainsi, si l’article 17-1 A, alinéa 2, modifié, ne revient pas sur la possibilité pour les copropriétaires de voter par correspondance avant la tenue de l’assemblée générale au moyen d’un formulaire, toute référence à l’abstentionniste est supprimée. Ce dernier, qu’il soit présent ou qu’il ait envoyé un formulaire, reste un copropriétaire qui ne s’est pas exprimé lors de la votation. Par ailleurs, si la résolution objet du vote par correspondance est amendée en cours d’assemblée générale -sans que l’on ait une quelconque distinction à faire à cet égard-, le votant par correspondance ayant voté favorablement est assimilé à un copropriétaire défaillant pour cette résolution (il faut admettre que les auteurs de l’ordonnance n’ont pas voulu trahir la volonté du copropriétaire qui vote par correspondance). La rédaction nouvelle autorise ainsi l’intéressé à saisir le juge aux fins d’annulation de la décision dans les conditions de l’article 42, alinéa 2, de la loi de 1965.

De nombreux praticiens appellent aujourd’hui de leurs vœux le texte règlementaire qui prend tout son sens en cette période trouble [ce texte règlementaire n’est pas encore paru à l’heure où nous écrivons ces lignes - ndlr].

Une fois l’arrêté promulgué, une question pourra alors se poser : peut-on imaginer que tous les copropriétaires puissent voter par correspondance ? Là encore, ne faudrait-il pas au moins un copropriétaire qui assurerait la présidence de la séance et un secrétaire qui serait, comme à l’accoutumé, le syndic ?

 

Les solutions de l’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020

«Par dérogation aux dispositions de l’article 1102 et du deuxième alinéa de l’article 1214 du code civil et de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis, le contrat de syndic qui expire ou a expiré pendant la période définie à l’article 1er est renouvelé dans les mêmes termes jusqu’à la prise d’effet du nouveau contrat du syndic désigné par la prochaine assemblée générale des copropriétaires. Cette prise d’effet intervient, au plus tard six mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire mentionné à l’article 1er.

Les dispositions du précédent alinéa ne sont pas applicables lorsque l’assemblée générale des copropriétaires a désigné, avant la publication de la présente ordonnance, un syndic dont le contrat prend effet à compter du 12 mars 2020».

La période définie à l’article 1er de l’ordonnance du 25 mars susvisé est celle «comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclarée», dite «période juridiquement protégée» (la date d’expiration de l’état d’urgence est, sauf prorogation, le 24 mai).

Compte tenu des dispositions applicables au jour où nous rédigeons ces lignes (17 mars 2020 - ndlr), la mesure concernent donc les syndics dont le mandat arrive à expiration entre le 12 mai et le 24 juin 2020.

Ils pourront ainsi continuer de gérer les syndicats dont ils ont la charge et convoquer l’assemblée générale qui se tiendra au plus tard le 24 novembre 2020.

L’emploi des vocables «renouvelé dans les mêmes termes» à propos du contrat de syndic ne traduit pas seulement une prorogation du mandat initial mais la conclusion d’une nouvelle convention identique dans ses modalités au contrat précédent. D’où la problématique de la rémunération du gestionnaire eu égard à la durée du contrat, laquelle est, par hypothèse, beaucoup plus courte si l’on en croit la date limite de prise d’effet du contrat adopté dans des conditions classiques, «au plus tard six mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire». Ne peut-on pas alors compter sur le pragmatisme et le bon sens de chacun ? Toujours est-il que la rédaction de l’ordonnance n’est pas exempte de questionnement.

 

La question des mandats arrivés à leur terme avant le 12 mars 2020

L’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 prévoit que «le contrat de syndic qui expire ou a expiré pendant la période définie à l’article 1er » (comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré) est renouvelé dans les mêmes termes jusqu’à la prise d’effet du nouveau contrat du syndic désigné par la prochaine assemblée générale.

Quid alors des mandats qui ont expiré avant le 12 mars ? En effet, certains syndics appliquant le principe de précaution, avaient déjà annulé la tenue de plusieurs assemblées qui devaient statuer sur le renouvellement de leur mandat préalablement à cette date.

Le report de ces assemblées générales peut avoir une conséquence radicale. Beaucoup de syndicats peuvent se retrouver dépourvus de syndics lorsque l’ordre du jour prévoyait la désignation du syndic. A défaut de vote en ce sens, le mandat du syndic prendra fin à la date prévue par son contrat ; on l’a dit, la jurisprudence refuse catégoriquement qu’un syndic sortant puisse gérer les affaires courantes en attendant la prochaine assemblée générale. Il faut alors considérer que le syndicat est dépourvu de représentant légal.

C’est -en partie- la raison d’une circulaire du 14 mars 2020 émanant du ministère de la justice (circulaire «relative à l’adaptation de l’activité pénale et civile des juridictions aux mesures de prévention et de lutte contre la pandémie COVID-19»), laquelle a rappelé aux magistrats que sur le site intranet de la DACS, une fiche détaille les conditions et la procédure de désignation d’un administrateur provisoire.

En effet, dans tous les cas, autres que celui prévu par l’article 46 du décret de 1967, où le syndicat est dépourvu de syndic, le président du tribunal judiciaire, statuant par ordonnance sur requête, à la demande de tout intéressé, désigne un administrateur provisoire de la copropriété qui est notamment chargé, dans les délais fixés par l’ordonnance, de se faire remettre les fonds et l’ensemble des documents et archives du syndicat et de convoquer l’assemblée en vue de la désignation d’un syndic. Les fonctions de cet administrateur provisoire cesseront de plein droit à compter de l’acceptation de son mandat par le syndic désigné par l’assemblée générale (D. 1967, art. 47). L’administrateur provisoire sera donc chargé non seulement de gérer le syndicat mais aussi, et surtout, de convoquer (lorsque cela sera possible) l’assemblée générale afin de désigner le syndic.

Au demeurant, la crise affecte également le service public de la justice et on peut craindre que de nombreux plaideurs ne pourront avoir accès au juge afin de solliciter la désignation d’un administrateur provisoire. La mesure ne pourrait être effective qu’une fois le plus gros de la crise derrière nous.

 

Quid de l’initiative d’un copropriétaire ?

Outre le recours à un administrateur provisoire, l’article 17, alinéa 4, de la loi de 1965 dispose que si le syndicat est dépourvu de syndic, l’assemblée générale des copropriétaires peut être convoquée par tout copropriétaire, aux fins de nommer un syndic.

Une opportunité que peut saisir, notamment, un membre du conseil syndical qui, en collaboration avec l’ancien syndic, et grâce à la liste (mise à jour) qu’il détient, procèdera à la convocation de l’assemblée générale visant à désigner le syndic. Les frais y afférents lui seront remboursés par le syndicat puisqu’il s’agit de sommes qui ont été employées dans l’intérêt de la collectivité des copropriétaires.

Bien entendu, cette modalité pourra utilisée lorsque l’organe délibérant pourra, à nouveau, se réunir.

 

La question des mandats arrivant à terme après le délai d’un mois suivant la cessation de l’état d’urgence

L’ordonnance n° 2020-304 du 25 mars 2020 prévoit que «le contrat de syndic qui expire ou a expiré pendant la période définie à l’article 1er» (comprise entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai d’un mois à compter de la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire déclaré) est renouvelé dans les mêmes termes jusqu’à la prise d’effet du nouveau contrat du syndic désigné par la prochaine AG.

Or, il existe un grand nombre de syndics dont le mandat prend fin le 30 juin, donc hors champ d’application de l’ordonnance. Dès lors, si l’état d’urgence prend fin à la date prévue [24 mai à l’heure où nous rédigeons le présent article], une sérieuse difficulté va se poser.

Pour les AG qui ont dû être reportées et, qui plus est, compte tenu du délai de vingt-et-un jours, il sera quasiment impossible de toutes les tenir dans le temps du mandat qui reste à courir.

Dès lors, soit les syndics concernés convoquent à des dates plus éloignées que le 30 juin (avec l’inconvénient que le syndicat sera, un temps, dépourvu de représentant légal – cf. nos remarques ci-avant), soit ils réduisent au strict minimum l’ordre du jour de ces assemblées (approbation des comptes, vote du budget prévisionnel et renouvellement du mandat) pour en réunir le plus possible dans un délai réduit. Un allongement du délai prévu initialement par les pouvoirs publics est évoqué au moment où nous rédigeons mais il n’est, pour l’heure, pas encore intervenu.

 

Et pour les recours à l’encontre des résolutions des assemblées générales antérieures à l’état d’urgence ?

Lorsqu’un copropriétaire a intenté (ou souhaitait intenter) une action tendant à l’annulation d’une résolution adoptée en assemblée générale avant le confinement, et eu égard à la paralysie des institutions judiciaires sur notre territoire, comment résoudre la difficulté ?

La solution est apportée par l’ordonnance n° 2020-306 du 25 mars 2020 relative à la prorogation des délais échus pendant la période d’urgence sanitaire et à l’adaptation des procédures pendant cette même période (JO 26 mars). Il s’est agi de faire application du principe général selon lequel la prescription ne court pas contre celui qui ne peut agir. A ce titre, l’article 2 de ladite ordonnance dispose que «tout acte, recours, action en justice, formalité, inscription, déclaration, notification ou publication prescrit par la loi ou le règlement à peine de nullité, sanction, caducité, forclusion, prescription, inopposabilité, irrecevabilité, péremption, désistement d’office, application d’un régime particulier, non avenu ou déchéance d’un droit quelconque et qui aurait dû être accompli pendant la période mentionnée à l’article 1er sera réputé avoir été fait à temps s’il a été effectué dans un délai qui ne peut excéder, à compter de la fin de cette période, le délai légalement imparti pour agir, dans la limite de deux mois».

Concrètement, les délais pour agir, ainsi que les procédures d’ores et déjà engagées, voient leurs échéances repoussées de deux mois à compter de l’expiration de l’état d’urgence sanitaire.


Dernière heure : prolongation des mandats

L’ordonnance n° 2020-460 du 22 avril 2020 (JO 23 avr.) vise les contrats de syndic qui expirent ou ont expiré «entre le 12 mars 2020 et l’expiration d’un délai de deux mois à compter de la date de la cessation de l’état d’urgence sanitaire». Leur prise d’effet doit intervenir «au plus tard huit mois après la date de cessation de l’état d’urgence sanitaire». «La rémunération forfaitaire du syndic est déterminée selon les termes du contrat qui expire ou a expiré, au prorata de la durée de son renouvellement». Le mandat des conseillers syndicaux, qui expire ou a expiré dans la période susvisée, est renouvelé jusqu’à la tenue de la prochaine AG, qui interviendra au plus tard dans le même délai des huit mois. Ces dispositions ne s’appliquent pas lorsque l’AG a désigné le conseil syndical avant la publication de l’ordonnance n° 2020-304.


Et le conseil syndical ?

L’ordonnance n° 2020-304 est restée muette à propos de l’expiration des mandats des conseillers syndicaux. S’il faut espérer une mesure qui visera expressément le conseil syndical, à l’image de ce qui a été adopté pour le syndic -mesure qui n’est toujours pas intervenue au jour où nous rédigeons cet article-, il est possible de souligner deux points.

Le premier concerne précisément les mandats de conseillers syndicaux arrivés à terme pendant la période de confinement, faute d’avoir pu réunir l’assemblée générale. Il est presqu’évident que si, juridiquement, la copropriété est dépourvue de conseil syndical, ses (anciens) membres continuent, en pratique, d’exercer leur rôle et participent à une bonne gestion de l’immeuble et, sauf cas très particulier, il ne viendrait à personne l’idée de remettre en question ce qui a été mis en place à l’initiative de ces conseillers «de fait».

Le second point est de souligner, en ces temps compliqués, l’intérêt d’un conseil syndical dans les copropriétés. Plus que jamais, son avis est précieux. Le conseil syndical peut pleinement constituer le trait d’union entre le syndic et les copropriétaires, notamment afin de faire circuler l’information parmi les occupants de l’immeuble, expliquer les mesures qui ont été mises en place et faire remonter au syndic les doléances de certains comme les difficultés constatées au sein de l’immeuble.

 


II.- La gestion du personnel employé par le syndicat

En vertu de l’article 31, alinéa 1er, du décret du 17 mars 1967, le syndic fixe les conditions de travail du personnel employé par le syndicat suivant les usages locaux et les textes en vigueur ; donc en conformité avec les règles édictées par le droit du travail.

Plusieurs points relatifs aux concierges, gardiens et employés d’immeuble ont été soulevés par la crise sanitaire. En voici quelques-uns.

 

Le salarié et le droit de retrait

Aux termes de l’article L. 4131-1 du Code du travail, «le travailleur alerte immédiatement l’employeur de toute situation de travail dont il a un motif raisonnable de penser qu’elle présente un danger grave et imminent pour sa vie ou sa santé ainsi que de toute défectuosité qu’il constate dans les systèmes de protection. Il peut se retirer d’une telle situation. L’employeur ne peut demander au travailleur qui a fait usage de son droit de retrait de reprendre son activité dans une situation de travail où persiste un danger grave et imminent résultant notamment d’une défectuosité du système de protection».

On imagine aisément qu’un salarié ayant des antécédents cardiaques ou pulmonaires perçoive la présence d’un copropriétaire atteint du COVID-19 dans l’immeuble comme un danger grave et imminent au sens de ce texte. D’où la crainte ressentie par ce salarié en cette hypothèse.

 

De surcroît, l’article L. 4131-3 du Code du travail prescrit qu’«aucune sanction, aucune retenue de salaire ne peut être prise à l’encontre d’un travailleur ou d’un groupe de travailleurs qui se sont retirés d’une situation de travail dont ils avaient un motif raisonnable de penser qu’elle présentait un danger grave et imminent pour la vie ou pour la santé de chacun d’eux».

Précisons, cependant, qu’un document intitulé Point d’étape relatif au travail des gardiens et employés d’immeubles dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus COVID-19, réalisé par des organisations patronales estime que «dès lors que les consignes gouvernementales sont appliquées par l’employeur ou son représentant et par le salarié, sous réserve de l’appréciation souveraine des tribunaux, il n’y a pas lieu de considérer qu’il existe un motif raisonnable pour que le salarié exerce son droit de retrait».

De son côté, le ministère chargé de la ville et du logement a indiqué le 25 mars 2020 que «les gardiens, concierges d’immeubles peuvent continuer à travailler en respectant les consignes sanitaires, et notamment les mesures barrière et les mesures de distances sanitaires avec les habitants de l’immeuble».

 

Les obligations du syndic

Confronté à un risque professionnel auquel est exposé le salarié et à raison de sa mission envers les concierges, gardiens et employés d’immeuble, le syndic doit, à tout le moins, adopter des mesures prophylactiques. Il s’agit de concilier l’exercice des fonctions du salarié (et, par-là, le maintien de l’entretien de l’immeuble et la préservation de la sécurité des personnes occupant la copropriété) et la limitation du risque de contamination.

Pour cela, les « gestes barrières » prônés par les autorités publiques et sanitaires doivent être rappelés par les syndics (se laver très régulièrement les mains ; tousser ou éternuer dans son coude ou dans un mouchoir ; utiliser des mouchoirs à usage unique et les jeter ; saluer sans se serrer la main, éviter les embrassades).

La protection de la santé du salarié implique qu’il lui faudra également fournir à ce dernier les moyens d’effectuer ses tâches dans les meilleures conditions (gants, gel hydroalcoolique, masque, visière de protection, etc.). Grâce à cela, pourront être accomplies les missions de nettoyage dont certaines seront liées à la nécessité d’endiguer la propagation du virus (nettoyage des poignées de porte et d’ascenseur, sonnettes, boîtes aux lettres), mais encore la manipulation des déchets ménagers que l’on peut difficilement différer, ou la réception et/ou la remise du courrier et des colis.

Le syndic veillera aussi à l’information constante des copropriétaires et des membres du conseil syndical sur les gestes de prudence et les comportements adaptés aux circonstances (affichage dans les parties communes, courrier, messages sur l’extranet…). En outre, s’il a connaissance d’un ou plusieurs cas de coronavirus dans la copropriété, il appartient au syndic d’en alerter à tout le moins les copropriétaires, voire les autorités sanitaires.

 

Le recours au chômage partiel

Face à la diminution parfois importante de l’activité de certains concierges, gardiens ou employés d’immeuble, les syndics s’interrogent sur la possibilité de recourir au chômage partiel tel que le droit du travail l’organise.

Selon l’article L. 5122-1 du Code du travail, les salariés sont placés en position d’activité partielle, après autorisation expresse ou implicite de l’autorité administrative, s’ils subissent une perte de rémunération imputable notamment à «la réduction de l’horaire de travail pratiqué dans l’établissement ou partie d’établissement en deçà de la durée légale de travail».

L’article R. 5122-2 du même code prévoit que l’employeur (en l’occurrence le syndicat par l’intermédiaire de son syndic) adresse au préfet du département où est implanté l’établissement concerné une demande préalable d’autorisation d’activité partielle. Cette demande précise les motifs justifiant le recours à l’activité partielle, la période prévisible de sous-activité et le nombre de salariés concernés.


III.- L’administration des parties communes

Quid des travaux urgents ?

La crise du COVID-19 n’y change rien a priori. Le syndic est tenu, en cas d’urgence, de faire procéder de sa propre initiative à l’exécution de tous les travaux nécessaires à la sauvegarde de celui-ci (L. 1965, art. 18). On sait aussi qu’il en informe les copropriétaires et convoque immédiatement une assemblée générale (D. 1967, art. 37, al. 1er). Il peut, dans ce cas, en vue de l’ouverture du chantier et de son premier approvisionnement, demander, sans délibération préalable de l’assemblée générale mais après avoir pris l’avis du conseil syndical, s’il en existe un, le versement d’une provision qui ne peut excéder le tiers du montant du devis estimatif des travaux (D. 1967, art. 37, al. 2). Il conviendra de composer avec les circonstances particulières car si le syndicat dispose encore d’un conseil syndical dont les membres seront avertis de la démarche du syndic, la réunion d’une assemblée est pour le moins compromise…

Par ailleurs, le syndic peut se heurter à un manque de disponibilité des quelques entreprises qui demeurent en activité. On comprendra facilement que sa réactivité se heurte parfois à des difficultés d’ordre concret.

 

Comment règlementer l’accès aux parties communes ?

Cette question a pu en amener une autre : peut-on pour cela rédiger un règlement intérieur ?

Rappelons, tout d’abord, que les parties communes sont affectées à l’usage de tous les copropriétaires (L. 1965, art. 3, al. 1er). Chacun est donc en droit de les utiliser et de s’y déplacer.

Au demeurant, le décret n° 2020-260 du 16 mars 2020 portant réglementation des déplacements dans le cadre de la lutte contre la propagation du virus COVID-19, puis le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, modifié par le décret n° 2020-423 du 14 avril 2020, ont précisé qu’afin de prévenir la propagation du virus COVID-19, est interdit jusqu’au 11 mai 2020 le déplacement de toute personne hors de son domicile à l’exception de certains déplacements, dans le respect des mesures générales de prévention de la propagation du virus. Il s’en est suivi des mesures de confinement que chacun a pu expérimenter plus ou moins durement.

 

Comment cette prescription de confinement est-elle applicable en copropriété ?

Bien entendu, et au premier chef, il va de soi que le civisme de chacun devrait être privilégié.

Ceci dit, pourrait-on, confronté au laxisme de certains occupants de l’immeuble, adopter des règles particulières en la matière ? Il est patent que ni le syndic, ni le conseil syndical n’a de pouvoir de décision. Cependant, et aux fins de rationaliser l’utilisation des parties communes, ces organes pourraient de concert prévoir dans un bref document (et dans l’intérêt général) des mesures incitatives, telles que des créneaux horaires par copropriétaires pour l’utilisation des parcs et aires de jeux, le port du masque hors de son appartement, etc. Des mesures plus radicales pourraient s’avérer opportunes, à l’instar de la fermeture de locaux communs, l’interdiction pour les enfants en bas âge de circuler sans la présence d’un adulte, le rappel de la prohibition des attroupements et regroupements… Toutes ces prescriptions pourraient être rappelées dans un «règlement intérieur» dont les occupants (copropriétaires comme locataires) pourraient avoir connaissance (là encore, par voie d’affichage ou communication papier ou électronique).

Ces mesures n’auraient pas de portée contraignante mais rappelleraient à tout un chacun que la vie en collectivité implique certains sacrifices et certaines responsabilités, en ces temps de «distanciation sociale». Face à des incivilités ou des violations caractérisées du confinement, le syndic devra intervenir afin d’indiquer le nécessaire respect des dispositions édictées par les pouvoirs publics.

 

Faut-il une attestation de déplacement dérogatoire dans les parties communes ?

En vertu de l’article 1er du décret n° 2020-260 du 16 mars 2020, dont les termes ont été repris par le décret n° 2020-293 du 23 mars 2020, modifié par le décret n° 2020-423 du 14 avril 2020, les personnes souhaitant bénéficier de l’une des exceptions prévues par ce texte doivent se munir, lors de leurs déplacements hors de leur domicile, d’un document leur permettant de justifier que le déplacement considéré entre dans le champ de l’une de ces exceptions.

L’application de cette disposition à une copropriété se heurte à deux difficultés.

La première est que le dispositif règlementaire vise expressément le «domicile» des personnes. Or, en dehors de son appartement, le copropriétaire n’est plus à proprement parler dans son domicile. Il serait alors tentant d’en déduire que l’attestation serait effectivement nécessaire pour se promener dans un jardin ou un parc de la résidence (d’autant que dans certaines grandes copropriétés, les espaces communs peuvent s’avérer très vastes).

La seconde difficulté provient du fait que les forces de l’ordre ne peuvent, en principe, procéder à des verbalisations que sur la voie publique. Or, la copropriété étant un lieu privé, les allées, les sentiers et autres parcs ne se situent pas sur la voie publique.

Cela signifie-t-il que les forces de l’ordre ne pourraient pas pénétrer dans les parties communes, ne serait-ce que pour rappeler aux particuliers les mesures de prudence élémentaires ? Comment ne pas citer ces deux cas d’installation de piscines gonflables sur des parties communes (une cour et une toiture d’immeuble) dans des copropriétés de la région parisienne en pleine période de confinement…

Il est possible que le syndicat concerné ait voté une autorisation permanente donnée à la police ou à la gendarmerie nationale de pénétrer dans les parties communes (cf. L. 1965, art. 25 i)). Au surplus, une réponse ministérielle en date du 28 juin 1999 a précisé que des officiers de police judiciaire peuvent pénétrer dans l’immeuble lorsqu’ils en sont requis par les habitants pour venir constater les infractions qui y sont commises. On ne pourrait, selon nous, en arriver à ce stade que si le comportement de certains copropriétaires ou locataires irait à l’encontre de la prudence la plus élémentaire.

 

L’organisation et l’entraide au sein de l’immeuble

Afin de cultiver le lien social tout en évitant les déplacements et en dépit de la distanciation, certaines organisations syndicales de gestionnaires de biens (telle l’UNIS) ont distribué ou placardé des affiches type dans le but de planifier et encourager l’entraide entre les occupants de l’immeuble. En effet, il s’agit d’indiquer dans une colonne de l’affiche qui, parmi les habitants, a besoin d’une assistance (par exemple pour faire ses courses) et qui est en mesure d’y pourvoir. Une belle initiative qui se développe afin de faire face à ces circonstances exceptionnelles !


Les Informations Rapides de la Copropriété remercie Renaud Franchet, administrateur de biens indépendant à Lyon, pour son concours à la rédaction de cet article grâce à sa participation au webinaire organisé récemment par Edilaix intitulé “La vie en copropriété”. Ses témoignages ont contribué à enrichir ce texte. Webinaire à retrouver sur la chaîne YouTube Edilaix.

 

 


IV.- Le paiement des charges de copropriété

La présence de parties communes et d’éléments d’équipement communs implique nécessairement une contribution financière des copropriétaires. Telle est la raison d’être de l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965. Qu’en est-il de l’impact de la pandémie sur les finances du syndicat ?

 

L’obligation de payer les charges

Peut-on estimer, comme le pensent nombre de copropriétaires, que la crise sanitaire et ses répercussions économiques puisse influer sur leur devoir de régler les charges de copropriété ? Autrement dit, peut-on être dispensé (ou refuser) de payer les charges ?

La réponse est sans ambiguïté. Confronté à une obligation impérative, un copropriétaire ne saurait arguer de la crise sanitaire pour s’exempter du règlement. Comme l’a très clairement exprimé la troisième chambre civile il y a maintenant de nombreuses années, «la contribution de chacun des copropriétaires aux charges constitue le soutien de l’obligation du syndicat et correspond automatiquement à une créance de celui-ci sur chacun des copropriétaires».

La diminution (ou l’apparente diminution) des tâches du salarié du syndicat, voire du syndic, l’interruption de certains travaux ou l’impossibilité de recourir à tous les services habituels dans l’immeuble ne sont pas susceptibles de justifier l’absence de paiement des charges, comme la diminution de leur montant. Aucun texte dérogatoire n’a été adopté par les pouvoirs publics en ce sens. Il faut donc s’en remettre au caractère d’ordre public des prévisions légales. Il ne serait d’ailleurs pas plus pertinent de vouloir diminuer les honoraires du syndic en arguant d’une activité prétendument allégée !

 

Le recouvrement des charges

Le syndic est non seulement en charge de la gestion comptable et financière du syndicat mais aussi du recouvrement des sommes dues par les copropriétaires. En dépit des circonstances, il lui appartient d’assumer pleinement sa mission.

A ce titre, il pourra adresser les appels de fonds conformément aux dates entérinées par les décisions de l’assemblée générale.

Toutefois, s’il peut également recourir aux moyens traditionnels de recouvrement, notamment la mise en demeure et les procédures judiciaires (article 19-2 de la loi de 1965, saisie immobilière), le syndic tiendra généralement compte de la situation exceptionnelle, en particulier pour les personnes éprouvant des difficultés personnelles ou financières. Des délais de paiement seront souvent consentis, en pratique au cas par cas. Là encore, il faudra faire preuve de discernement, certains copropriétaires de mauvaise foi pouvant prétexter la situation sanitaire pour tenter d’échapper à leur obligation financière. Sans compter la paralysie des institutions judiciaires qui constituera un obstacle dirimant (sur les délais pour agir, voir supra).

 

Confrontés à une crise sanitaire d’ampleur mondiale, il nous faut tenter de trouver des solutions qui, parfois, nous amènent à prendre quelques libertés avec des textes qui sont impératifs. Mais, à l’image des dérogations d’ores et déjà adoptées par les pouvoirs publics, l’application pure et simple de notre droit positif révèle ses limites. C’est dans ces moments difficiles que nous devons faire preuve de discernement et d’adaptabilité.