Avocats et réforme ELAN

par YS
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Avocats et réforme ELAN

3 questions à Charline Bedded-Garnier, Marine Parmentier et Olivier Douek


L’ordonnance du 30 octobre 2019 a mis en place des dispositions dérogatoires pour les copropriétés de petite dimension.

Pensez-vous que ces mesures permettront une diminution du contentieux ?

Charline Bedded-GarnierCharline Bedded-Garnier :

«Ce texte permet de ne pas convoquer d’AG, de réaliser une consultation écrite ou une simple réunion. Idem pour la décision prise à deux sans AG dans les copropriétés «à deux». La prise de décision est simplifiée, le formalisme allégé en tentant d’éviter les blocages. Cela est de nature à rassurer les petites copropriétés non assistées d’un syndic, c’est donc positif. Le législateur s’est aussi attelé à anticiper les dérives contentieuses en s’inspirant du droit de l’indivision et des régimes matrimoniaux. Il appartiendra aux copropriétaires et aux conseils de s’emparer de ces outils à temps. Pour les copropriétés à deux, le texte permet la prise de décisions unilatérales concernant les «mesures nécessaires à la conservation de l’immeuble» qui recueillent généralement l’attention de tous les copropriétaires. Cette décision va s’imposer à tous, incluant le financement : on imagine la stupeur du non-décisionnaire en recevant la notification écrite de la décision prise. Le législateur lui offre un délai de deux mois pour les contester devant le tribunal. Nous gageons que cet outil sera utilisé mais tout dépendra du zèle dans l’utilisation de la décision unilatérale.»

 

Marine ParmentierMarine Parmentier :

«Ces mesures sont salutaires notamment en ce qu’elles tendent à supprimer les blocages de décisions, notamment les copropriétés qui composées de deux copropriétaires.

Dans ces copropriétés à deux, est désormais prévu un régime qui s’approche de celui de l’indivision. Toutefois, si les droits du copropriétaire minoritaire sont préservés pour les prises de décision les plus importantes, les décisions plus courantes (majoritairement celles relevant des articles 24 et 25 de la loi du 10 juillet 1965, hors approbation des comptes et vote du budget prévisionnel) peuvent être prises par le copropriétaire majoritaire, en dehors de la tenue d’une assemblée.

Si ce mécanisme met en exergue une réelle innovation, il risque d’engendrer de nouveaux contentieux qui ne seront plus inhérents au blocage de la prise de décision mais aux conséquences liées à ce qui pourra être qualifié de « loi du plus fort ».

En effet, avec la suppression de la règle de la réduction des voix du copropriétaire majoritaire, ce dernier pourra imposer de nombreuses décisions, notamment de travaux.

Le contentieux risque donc de se « déplacer » : s’il se situait auparavant en amont de la (non) prise de décision, il se rencontrera désormais en aval de la décision et sera davantage lié aux conséquences de celle-ci que le minoritaire estimera s’être fait imposer.»

 

Olivier DouekOlivier Douek :

«Paradoxalement, cette réforme attendue par les praticiens, qui tend à simplifier le fonctionnement des petites copropriétés (cinq lots au plus ou budget prévisionnel moyen inférieur à 15 000 €, mais également copropriété à deux) pour éviter les situations de blocage, va vraisemblablement accroître le contentieux. Je pense plus particulièrement aux copropriétés à deux où le juge était impuissant en cas de désaccord entraînant une paralysie dans la gestion de l’immeuble. La possibilité de déléguer la mission du syndic bénévole à un tiers, la possibilité pour le copropriétaire détenant plus de la moitié des voix de prendre les décisions relevant de l’article 24 (et pour le copropriétaire détenant plus de deux tiers des voix de prendre les décisions relevant de la majorité de l’article 25), la possibilité pour un copropriétaire indépendamment du nombre de voix dont il dispose de prendre les mesures nécessaires à la conservation de l’immeuble même en l’absence d’urgence, ont pour avantage d’éviter ces situations de blocage. Elles sont, de ce fait, une source potentielle de contentieux. Par ailleurs, l’ordonnance prévoit, dans des cas spécifiques, la possibilité de recourir au juge que ce soit pour passer un acte auquel s’oppose l’autre copropriétaire, pour autoriser toutes les mesures urgentes que requiert l’intérêt commun ou encore l’aliénation d’une partie commune.»


L’étude du contentieux de la copropriété montre que le recouvrement des charges demeure la principale source de litiges.

Le dispositif mis en place par la loi de 2018 et l’ordonnance de 2019 va-t-il dans le bon sens selon vous ?

Marine Parmentier

Marine Parmentier :

«Le dispositif va en en effet dans le bon sens. Il inscrit dans la loi la possibilité qu’a le syndic, sans autorisation préalable d’assemblée générale, de faire inscrire une hypothèque légale au bénéfice du syndicat sur les lots d’un copropriétaire défaillant afin de protéger le syndicat contre son éventuelle insolvabilité.

Il étend l’assiette du privilège mobilier du syndicat aux loyers que percevraient le copropriétaire défaillant.

De même, il étend l’assiette du privilège immobilier spécial du syndicat aux créances de toute nature sur un copropriétaire défaillant.

Enfin, le dispositif permet de déduire les sommes exigibles par le syndicat de la part du prix de vente de parties communes revenant à chaque copropriétaire.»

 

Charline Bedded-Garnier

Charline Bedded-Garnier :

«La réforme ELAN est sur ce point tout à fait efficace : à défaut d’un règlement du solde de charges dû dans les trente jours après mise en demeure, le président du tribunal judiciaire peut condamner le copropriétaire à payer les provisions de charges courantes présentes et à venir y compris celles relatives aux travaux. Le recouvrement est donc facilité pour les syndicats car l’arme procédurale est globale (résultat total qu’elle permet d’obtenir) et efficace (pas besoin de décision d’AG pour lancer la procédure, condamnation sur le fond). La procédure est présentée comme rapide, mais elle reste contradictoire et les échanges de conclusions des parties peuvent prendre du temps. Les tribunaux sont aussi, après le confinement, face à un retard certain : la démarche peut donc aisément durer plus de six mois. Ensuite, le recouvrement effectif passe souvent par une exécution forcée par huissier : en moyenne, il faut compter un à deux ans avant de pouvoir créditer la condamnation sur le compte du syndicat, sans compter les recours en contestation ouverts sur les procédures-même d’exécution. L’efficacité certaine du dispositif légal reste donc à relativiser avec la réalité du fonctionnement de l’institution judiciaire. Mais réjouissons-nous d’avoir déjà un principe rapide et ferme.»

 

Olivier Douek

Olivier Douek :

«C’est indiscutable. En étendant le champ d’application de l’article 19-2 de la loi du 10 juillet 1965 initialement limité aux charges du budget prévisionnel de l’exercice en cours aux provisions pour travaux, mais également et surtout aux appels de fonds impayés des exercices antérieurs pour lesquels les comptes ont été approuvés, le législateur dote le syndicat des copropriétaires d’une arme désormais efficace pour lutter contre les impayés. Il n’est pas douteux que la procédure de recouvrement accélérée au fond qui entraîne la déchéance du terme après mise en demeure restée infructueuse passé un délai de trente jours, va désormais constituer la mesure privilégiée de recouvrement des arriérés de charges au regard de sa rapidité et de sa simplicité, comparée aux procédures classiques devant le tribunal judiciaire et le pôle de proximité.

À cela, l’ordonnance du 30 octobre 2019 - en modifiant l’article 19 de la loi du 10 juillet 1965 - ajoute de nouvelles garanties au syndicat des copropriétaires que constitue le privilège mobilier du bailleur de l’article 2332 1° du Code civil qui porte sur les meubles garnissant les lieux appartenant au copropriétaire débiteur, mais aussi sur les sommes dus par son locataire.»


Quel est votre sentiment sur la réforme des notifications et mises en demeure au lendemain du décret du 2 juillet 2020 ?

Olivier Douek

Olivier Douek :

«Les articles du décret du 17 mars 1967, issus du décret du 27 juin 2019, sont modifiés par le décret du 2 juillet 2020 qui intègre par ailleurs les dispositions du Code des postes et communications électroniques. Sur la base du volontariat et sous réserve d’un accord exprès (qui peut désormais être formulé par tout moyen permettant d’établir avec certitude la date de réception), le copropriétaire peut donner son accord à la dématérialisation des mises en demeure et/ou des notifications, mais également la mise à disposition sur le site Extranet du syndic des documents nécessaires à la tenue de l’assemblée générale. Le décret du 2 juillet 2020 étend désormais cette possibilité à d’autres voies électroniques que la seule lettre recommandée électronique qui constitue un monopole de La Poste. Cette extension des modalités de notification électronique est, à n’en pas douter, une avancée ,sous réserve que les «prestataires de services de confiance qualifiés» soient à même de répondre aux nombreuses exigences et garanties prévues par le décret, le tout à des tarifs justifiant leur recours. C’est tout l’enjeu de cette réforme.»

Charline Bedded-Garnier

Charline Bedded-Garnier :

«La LRAR électronique et l’espace en ligne sécurisé sont des procédés plus que jamais dans l’air du temps permettant l’optimisation des tâches du syndic. On ne peut voir qu’avantage à développer de tels moyens dématérialisés. Cependant, nous notons que le «procédé électronique mis en œuvre par l’intermédiaire d’un prestataire de services de confiance» reste encore bien vague quant à sa concrétisation. Le site de l’Agence Nationale de la Sécurité des Systèmes d’Informations (ANSSI) indique que ces prestataires sont répertoriés sur une liste de 146 pages selon un classement par pays en mentionnant la date d’expiration et de renouvellement du certificat : comment donc le choisir bien ? Les avocats reconnaîtront là le système des «clés RGS» donnant accès au «RPVA» pour communiquer les actes aux tribunaux. Complexité d’utilisation, manque de souplesse et d’optimisation (limite au poids des fichiers, manque de lisibilité des plateformes, maintenance récurrente…). Si donc le prestataire n’assure pas aussi une fluidité dans la transmission, il se peut que ce système ne donne pas la satisfaction escomptée. Les LRAR classiques et rassurantes restent le principe pour toutes les notifications et mises en demeure issues de la loi de 1965 sans doute le temps vérifier la sécurité et l’efficacité.»

 

Marine Parmentier

Marine Parmentier :

«Cette réforme était très attendue par les praticiens de la copropriété depuis la possibilité, introduite par la loi ALUR, de réaliser les notifications par voie électronique.

Si la lettre recommandée électronique demeure une option valable, le constat est qu’elle est finalement peu employée en raison d’un process, certes sécurisant, mais jugé, en pratique, trop contraignant.

Le décret du 2 juillet 2020 permet au syndic de recourir à un mode d’envoi plus souple puisque non soumis au Code des postes et télécommunications électroniques (CPTE).

Il est probable que le recours à ce nouveau dispositif permettra de fluidifier et d’augmenter la bonne réception des notifications en réduisant le nombre de refus constatés en cas d’envoi de lettre recommandée électronique puisque l’anonymat, le secret du contenu et l’obligation de vérification de l’identité du destinataire par le prestataire de services, ne sont plus exigés.

Néanmoins, deux critiques peuvent toutefois être formulées :

Premièrement, le délai de conservation de l’historique de transmission qui est limité à une année : or, un défaut de notification soumet l’assemblée à une possible contestation pendant cinq ans. Les syndics seront donc bien inspirés de négocier avec les prestataires une durée de conservation plus importante, mais celle-ci impliquera des coûts supplémentaires pour la copropriété ;

Deuxièmement, le régime de responsabilité très limité du prestataire de services de confiance, calqué sur celui des prestataires de services postaux. Certes, une égalité de traitement doit être assuré avec le prestataire qui assure l’envoi de lettres recommandées électroniques, mais compte tenu des graves conséquences attachées à un défaut de notification au sein d’une copropriété, le régime d’ensemble de la responsabilité des prestataires aurait pu être adapté.»


 

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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 662 d'octobre 2020