Syndics et réforme ELAN

par YS
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3 questions posées à Philippe Deltete, Hervé Soulard, Maurice Feferman et Patrice Petit.


Le contrat de syndic a été impacté lourdement par l’ordonnance du 30 octobre 2019 (rémunération, fiche d’information, non-renouvellement, résiliation, etc.) Quelles sont les conséquences pratiques pour les syndics ?

Philippe DeltetePhilippe Deltete :

«La première conséquence est la nécessité d’actualiser et de préciser davantage le contenu du contrat de syndic concernant ses prestations et ses tarifs que nous constatons aujourd’hui de plus en plus encadrés, alors que la charge de travail administratif et les obligations ne cessent d’augmenter au fur et à mesure de l’édition des lois et décrets.

En contrepartie, l’ordonnance autorise le syndic à effectuer des prestations de services hors mission dans le cadre de conventions, permettant une source de revenus complémentaires, à condition toutefois que ces prestations soient validées par l’assemblée.

L’ensemble des informations à tenir à jour alourdit le planning déjà chargé du syndic et de ses collaborateurs au détriment de la communication avec les copropriétaires et du suivi technique de l’immeuble. S’ajoute la gestion des nouvelles individualisations de charges (interphonie, chauffage, énergie, etc.) qui entraîne une tenue comptable de plus en plus spécifique et de moins en moins lisible et comprise par la majorité des copropriétaires.

Une autre conséquence concerne la gouvernance de la copropriété : les droits des copropriétaires augmentant et les pouvoirs du conseil syndical étant renforcés, l’administration de la copropriété risque de se heurter encore plus à des divergences de sentiments et d’opinions quant à l’avenir et la pérennité des immeubles. Toutefois, l’application des «passerelles» en AG permettra d’éviter des blocages et d’assurer une meilleure administration, particulièrement pour les travaux, les aménagements et la modernisation des éléments collectifs communs.

Le vote par correspondance très attendu par certains copropriétaires sera assurément significatif dans les assemblées à venir, facilitant ainsi les prises de décisions et la participation aux AG. La visioconférence reste, pour notre part difficile, voire impossible à mettre en place dans les grandes et moyennes copropriétés.

Pour les petites copropriétés, la création et la définition de régimes spéciaux prenant en compte la taille des immeubles et le nombre de copropriétaires va simplifier et favoriser la gestion des petits immeubles.

En revanche, je suis réservé devant la voie ouverte au conseil syndical et aux copropriétaires pour mettre en cause à titre individuel pour des raisons X ou Y l’action ou l’inaction du syndic. Ces procédures risquent de pénaliser l’ensemble de la copropriété au bénéfice d’intérêts plus personnels que ceux de la collectivité. Au surplus, dans certains cas, ces mesures n’amélioreront pas l’image et la relation copropriétaires - syndic.

A l’avenir, afin de pouvoir poursuivre leurs contrats et de les conserver, le syndic et le gestionnaire devront désormais être encore plus attentifs à leurs relations avec l’ensemble de leurs copropriétaires et non seulement avec le conseil syndical.

En conclusion, il me semble que les conséquences pratiques de l’ordonnance du 30 octobre 2019 permettront de simplifier les prises de décisions de copropriété, et permettront surtout au conseil syndical de disposer de pouvoirs plus étendus, en souhaitant vivement qu’il s’en serve à bon escient.»

 

Hervé SoulardHervé Soulard :

«Les pouvoirs publics sont de nouveau intervenus, pour s’immiscer dans la relation contractuelle privée entre les syndicats de copropriétaires et leur mandataire. Toutefois, les situations envisagées par l’ordonnance ELAN, avec une démission du syndic ou une résiliation anticipée du mandat, sont heureusement très peu rencontrées en réalité. Mais il est certain que la liberté donnée aux syndicats va, une nouvelle fois, renforcer un esprit de suspicion à l’égard des syndics, d’autant que cette décision pourra être prise de manière unilatérale et sans respect des engagements contractuels. La mise en concurrence obligatoire participe aussi de ce climat de défiance, sans pour autant que l’absence d’initiative de la part du conseil syndical porte à conséquence. J’y vois le cumul de deux inconvénients. D’une part, la volonté de douter sans cesse du syndic, et de surcroît l’absence de sanction ne fait que renforcer le flou sur les obligations réelles du conseil syndical.

Par ailleurs, la possibilité de convenir de prestations en dehors du contrat type, déjà pratiquée par des grands groupes, devrait nous permettre de valoriser les nombreux services qui étaient déjà rendus, dans les faits, aux copropriétaires. Nous sommes, en effet, très souvent sollicités comme prestataire de services, bien au-delà du cadre de notre mandat de syndic. Reste que l’esprit consumériste grandissant nous contraint à toujours faire preuve de plus de pédagogie sur nos actions si nous voulons parvenir à les valoriser.»

 

Maurice FefermanMaurice Feferman :

«L’inflation législative rend difficile le suivi des modifications opérées. Si certaines mesures constituent une adaptation guidée par les modifications apportées tant à la loi du 10 juillet 1965 qu’au décret du 17 mars 1967, il est certain que des dispositions, qui peuvent de prime abord paraitre anecdotiques, ont des conséquences pratiques indéniables. Sans exhaustivité, un premier exemple qui me vient à l’esprit est la tarification sur la base du seul tarif horaire. C’est la consécration de la suppression de la différentiation selon les heures ouvrables ou non et de la tarification selon la qualité de l’intervenant. Un autre point important concerne la désignation d’un nouveau syndic, qui interviendra au plus tôt un jour franc après la tenue de l’assemblée. Si le départ d’un syndic lors de l’assemblée qui l’a révoqué avec son remplacement immédiat par son successeur fait donc partie de l’histoire, de nouvelles questions se font jour. Sans exhaustivité, le nouveau syndic peut-il assister à ladite assemblée après sa nomination ? Les réponses déjà données sur la présence de tiers à l’assemblée seront de nouveau d’actualité. Une autre grande nouveauté est la possibilité pour le syndic de conclure avec le syndicat une convention portant sur des prestations de services autres que celles relevant de sa mission de syndic. Cette facilité consacre la possibilité qu’ont les syndics d’étendre le spectre de leurs offres commerciales, telles que les achats mutualisés d’énergie et de fluide de nature à proposer des prix compétitifs. Si des mesures sont à saluer, d’autres me laissent dubitatif et en particulier l’intérêt de la fiche d’Information puisque le contrat type de syndic permet la comparaison.»

 

Patrice PetitPatrice Petit :

«Il est certes encore un peu tôt pour appréhender les conséquences pratiques pour les syndics.

Si la plupart des modifications s’appliquent depuis le 4 juillet 2020, d’autres n’entreront en vigueur qu’en 2021, ce qui ne simplifie pas la lisibilité des nouvelles dispositions.

Nous attendons encore l’arrêté définissant le modèle de la fiche d’information que certains copropriétaires avisés commencent à demander.

Historiquement basée sur une loi et un décret depuis plus de soixante ans ainsi que sur une jurisprudence riche, la gestion des immeubles collectifs en copropriété subit ces dernières années une profonde mutation rarement bien appréhendée par les copropriétaires eux-mêmes, voire par les conseillers syndicaux, pour lesquels les préoccupations premières concernent davantage la maîtrise des dépenses et l’entretien de l’immeuble.

Cette énième modification du contrat de syndic depuis l’arrêté Novelli et l’instabilité réglementaire, obligent le syndic à une nouvelle explication de texte auprès des copropriétaires tout en permettant néanmoins de clarifier notamment la fin du contrat et surtout la possibilité de proposer d’autres services au syndicat des copropriétaires, lesquels sont d’ailleurs dans une immense majorité plutôt très satisfaits de leur syndic professionnel.

D’une manière générale, les gestionnaires commencent à s’habituer aux évolutions de la réglementation et sont formés en conséquence. Ils veillent à la qualité des services rendus à leurs clients, au respect de la plus parfaite transparence dans la gestion technique administrative et comptable et à la satisfaction des copropriétaires. Telles sont les priorités des collaborateurs, qu’ils soient assistants(tes), comptables ou gestionnaires.

Les copropriétaires ne s’y trompent pas dans leur immense majorité puisqu’ils se déclarent satisfaits et accordent leur confiance en renouvelant régulièrement le mandat du syndic chaque année (ou tous les trois ans, le cas échéant) .»


La lutte contre les effets de l’absentéisme a conduit la consécration des votes en visioconférence et surtout des votes par correspondance. Que peut-on attendre de telles mesures ?

Hervé Soulard

Hervé Soulard :

«Cette mesure était très attendue et correspond bien à notre époque où chacun veut dominer le rapport au temps et à l’espace. Dans les faits, les copropriétaires comprennent bien l’intérêt de s’impliquer dans la vie de leur immeuble, surtout lorsque des dépenses sont envisagées, mais beaucoup ne trouvent pas toujours la motivation de se rendre à l’assemblée générale annuelle. Le vote par correspondance, ou la participation à distance, sont de ce fait une réelle avancée. Cependant, nier le bénéfice des échanges permettant de nourrir l’élaboration d’une décision concertée, va déshumaniser les relations entre les copropriétaires, voire les isoler dans un individualisme dont nous souffrons déjà cruellement dans la vie de nos immeubles. D’autant que le vote considéré comme défavorable à la suite de toute résolution amendée, va paradoxalement retarder des décisions parfois urgentes à engager. En revanche, le vote par correspondance, en lieu et place du pouvoir confié à un copropriétaire, devrait au moins tarir un contentieux souvent rencontré du mandataire qui ne respecte pas les instructions données par son mandant, après avoir entendu les arguments développés par les autres copropriétaires…»

 

Maurice Feferman

Maurice Feferman :

«Si les débats sont parfois houleux, et c’est un euphémisme, il est vrai que le principal fléau demeure l’absentéisme, ce qui constitue souvent un frein à la prise de décision faute de majorité requise. En plus d’avoir abaissé les majorités ou créé des «passerelles», il est heureux que le recours au vote par correspondance ait été admis. Certains pourront certes regretter le fait que l’assemblée générale des copropriétaires ne soit plus un moment d’échanges où les copropriétaires décident de manière éclairée, qu’elle risque de ressembler à une chambre d’enregistrement. Ceci étant, ce procédé est probablement plus sécurisé que le mandat dit impératif. Comme précédemment, des interrogations se posent. Sans exhaustivité, que devra faire le syndic des instructions de vote reçues moins de trois jours avant l’assemblée ? Que devra-t-il faire si le copropriétaire ne remplit par les cases pour exprimer son choix ? Comment voter pour les résolutions anonymes comme la nomination du président de séance ? »

 

Patrice Petit

Patrice Petit :

«Ces nouvelles modalités de tenue des AG peuvent être synonymes d’économies de charges en incitant les copropriétaires habituellement absents à s’impliquer et à participer aux décisions du syndicat et donc en limitant les situations de carence et l’obligation pour le syndic de convoquer les syndicats à une nouvelle AG, ce qui est beaucoup plus fréquent que l’on ne croit, surtout pour les petites copropriétés.

La tenue de l’assemblée générale par visioconférence permet indiscutablement une meilleure participation, surtout pour les petites copropriétés et le vote par correspondance est une réelle avancée qui permet aux copropriétaires qui le souhaitent d’exprimer clairement leur vote sur chaque résolution sans avoir à mandater un autre copropriétaire par un pouvoir avec consigne de vote.

Pour les copropriétaires les plus âgés ou ceux résidant en zone blanche ou à faible débit, l’accès à l’AG par «visio» ne sera pas encore si simple.»

 

Philippe Deltete

Philippe Deltete :

«À cause de ses nécessités d’adaptation et de ses impératifs techniques, la visioconférence n’est pas à ce jour adaptée à tout type de copropriété. En revanche, le vote par correspondance concerne tous les copropriétaires, quels que soient leur âge et leur formation. Il représente déjà plus de 10 % dans les assemblées récemment convoquées.»


La possibilité de déléguer une partie des pouvoirs de l’assemblée générale au conseil syndical est-elle une mesure adéquate selon vous ?

Maurice Feferman

Maurice Feferman :

«La nouvelle faculté de délégation conventionnelle des pouvoirs de l’assemblée générale, une délégation étendue, qui ne remplace pas celle de l’article 25 a) de la loi du 10 juillet 1965, participe de la reconnaissance, si besoin était, de l’importance du conseil syndical. Il me semble logique que ceux qui ont la confiance des autres copropriétaires, disposent de prérogatives spécifiques. Cette confiance n’exclut pas le contrôle selon la célèbre formule, le conseil devant rendre compte de sa mission. Cette mesure facilitera la prise de décision, exercice souvent long et complexe si elle relève de l’assemblée. L’expérience montre que nous n’avons pas encore appréhendé les questions qui se feront jour, que le terrain ne manquera pas de poser. En cette période de changement, je regrette d’être privé des recommandations de la Commission relative à la copropriété, brutalement dissoute, et espère que le GRECCO ou le CNTGI prendront le relais pour nous éclairer. Enfin, gageons que la concertation bisannuelle que nous attendons depuis 2015 se mette enfin en place.»

 

Patrice Petit

Patrice Petit :

«Un pouvoir accru du conseil syndical sur décision du syndicat prise en AG permettra indiscutablement une meilleure gestion des travaux d’entretien de l’immeuble.

Cette décision du syndicat renforcera la légitimité et le rôle du conseil syndical auprès du syndic tout en l’obligeant à rendre compte aux copropriétaires.

Attention néanmoins aux copropriétaires exaltés susceptibles d’entraîner le syndicat dans des dépenses inconsidérées. Cela pourra être source de tensions dans des relations de voisinage déjà pas toujours faciles…»

 

Philippe Deltete

Philippe Deltete :

«Oui. Le renforcement des pouvoirs du conseil syndical aura l’avantage de responsabiliser celui-ci tant pour les travaux à effectuer qu’en cas de désordres issus des parties communes ou consécutifs à des travaux nécessaires non réalisés. Ce renforcement accentuera aussi son rôle dans la nécessité d’amélioration permanente de l’immeuble, un des objectifs prioritaires de la mission du syndic. En cas de pouvoirs étendus, l’obligation de l’assurance de chacun des membres du conseil syndical risque cependant d’être un frein à cette délégation.»

 

Hervé Soulard

Hervé Soulard :

«Là aussi, une attente était forte d’organiser les prises de décisions à plusieurs niveaux entre les différents acteurs de la copropriété, dont le conseil syndical. Toutefois, l’ordonnance n’a pas franchi le pas de faire exister pleinement le conseil syndical en le dotant de la personnalité morale. Je considère que c’est une faiblesse, car les assemblées vont déléguer des pouvoirs importants, sans que personne n’en réponde juridiquement, en dehors du syndic… ! C’était pourtant une évolution incontournable, pour palier l’absentéisme ou appréhender des dossiers devenus de plus en plus complexes, notamment en matière de rénovation énergétique. Dans la pratique, je crains que cette mesure ne restreigne les initiatives des copropriétaires qui pourraient hésiter, on le comprend, à confier leurs finances à des tiers sans aucun contrôle. Il est dommage de se trouver face à un texte où l’absence de clarté, surtout dans les responsabilités, n’amène pas les copropriétés vers plus de transparence dans leur gouvernance, ce que chacun appelle pourtant de ses vœux.»

 


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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 662 d'octobre 2020