[N° 599] - Accessibilité en copropriété : L’heure des décisions

par Paul TURENNE
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Copropriété ne rime pas toujours avec accessibilité. Pour y remédier, le législateur a progressivement aménagé la loi pour favoriser les travaux permettant l’accès d’un immeuble et de ses étages au plus grand nombre. Etat des lieux et rappel de la situation en la matière, notamment en ce qui concerne les ascenseurs.

©France-accesibilité

L’accessibilité ne concerne pas seulement les personnes souffrant d’un handicap, mais toutes celles à mobilité réduite au sens large : personnes âgées, blessés temporaires, parents avec poussettes, femmes enceintes, ou bien encore voyageurs avec de lourds bagages. Sans compter qu’avec le vieillissement de la population française, un Français sur deux devrait être touché par des problèmes de mobilité d’ici 2030. D’où l’importance de disposer d’ascenseurs fiables en copropriété…

 


Loi SAE : la deuxième tranche, c’est maintenant !

En application de la loi sur la mise en sécurité des ascenseurs existants (SAE), l’arrêté du 18 novembre 2004 modifié par l’arrêté du 28 août 2008, prévoyait trois tranches de travaux pour la mise en sécurité des ascenseurs :
- une première le 31 décembre 2010 ;
- une deuxième le 7 juillet 2013 ;
- enfin, une troisième le 7 juillet 2018.

Or, deux décrets du 25 juillet et du 20 août 2013 – initiés par Cécile Duflot, alors ministre du logement – avaient repoussé cette deuxième date d’échéance des travaux du 3 juillet 2013 au 3 juillet 2014. Dès lors, il y a urgence à finaliser ces travaux qui portent notamment sur le système de téléalarme pour les personnes bloquées en cabine, la résistance mécanique suffisante des vitrages de portes palières, les dispositifs de protection des techniciens contre les accidents causés par les poulies et l’éclairage du local de machine.
Autre point d’importance avalisé par le décret n° 2013-664 du 23 juillet 2013 (publié au JO le 25 juillet 2013) : le lancement d’un moratoire entre les différents acteurs de l’ascenseur pour étudier l’opportunité d’une mesure importante : la précision d’arrêt et le maintien de la cabine face aux portes. Deux caractéristiques d’importance, en particulier pour les personnes en fauteuil.
L’objectif de ce moratoire est clair : faire valoir les points de vue de toutes les parties prenantes et se positionner sur la légitimité de la mesure et sur ses modalités techniques. 65 000 cabines d’ascenseurs seraient, en effet, concernées par ces travaux de précision d’arrêt. Or, plusieurs voix se sont élevées pour remettre en cause l’intérêt d’une telle mesure, eu égard à son ratio bénéfice-coût plutôt bas. Et pour cause, le moratoire aurait permis de faire passer la facture globale de 3 milliards à 600 millions d’euros par rapport aux exigences initiales. Autant de dépenses évitées pour les copropriétaires devant souvent faire face à une hausse de leurs charges dans un contexte économique difficile.

La décision de surseoir à l’exécution de ces obligations a été prise, sans surprise, au grand dam de la Fédération professionnelle des ascenseurs (FA), pour qui, faire en sorte que la cabine soit bien positionnée à l’étage sans décalage de seuil, constitue l’une des mesures phares de la mise en sécurité des ascenseurs. Selon la FA, l’absence de précision d’arrêt est aujourd’hui la cause principale des accidents (40 %). «Ce sont 1 000 accidents par an et qui touchent particulièrement les personnes âgées. Quand on sait que les plus de 60 ans seront 24 millions en 2060 (pour 15 millions aujourd’hui), cette mesure est et sera d’autant plus essentielle pour l’autonomie et le maintien à domicile.» Et de rappeler qu’en cas d’accident, la responsabilité civile et pénale des copropriétaires pourrait être engagée.
Précisons que sont toutefois exclus de ce moratoire les établissements recevant du public (ERP). Et plus précisément les ascenseurs utilisés par le public – devant par conséquent être accessibles aux personnes handicapées – pour lesquels cette obligation est donc maintenue.
A quelques mois de la deuxième échéance, les délais ne seront sans doute pas tenus pour certaines copropriétés qui ont trop tardé à voter les travaux. «Bon nombre d’entreprises ascensoristes sont en sureffectif par rapport à leur plan de charge et sont même contraintes à se réorganiser. Sachant que, paradoxalement, elles vont devoir accélérer d’un coup et faire face à un grand nombre de demandes tardives et concomitantes», affirme la Fédération des ascenseurs qui déplore que le report et le moratoire aient «créé un quasi arrêt des demandes de travaux».


La SAE : les résultats

A la fin 2013 :
- les travaux de la 1ére échéance (décembre 2010) étaient réalisés à 96 % ;
- les travaux de la 2ème échéance (juillet 2014) à 69 % soit 87 000 appareils restants ;
- les travaux de la 3ème échéance (juillet 2018) à 22 %.

Au total, à cette date, 67 % de l’ensemble des travaux de la loi de mise en sécurité des appareils ont été réalisés sur neuf années effectives.
Source : Fédération des ascenseurs


Refus de l’assemblée générale : pas d’évolution législative en vue

Question d’André Vallini, député de l’Isère :
André Vallini attire l’attention de la ministre du logement sur l’accessibilité des personnes handicapées aux immeubles dont elles sont copropriétaires. En effet, les personnes handicapées se heurtent régulièrement au refus de l’assemblée générale des copropriétaires d’aménager l’accès de l’immeuble qu’ils détiennent. Il lui demande donc quelles mesures entend prendre le gouvernement pour que les droits des personnes handicapées prévalent sur les délibérations des copropriétaires, lors d’une assemblée générale de copropriétaires.

Texte de la réponse publiée au JO le 12 avril 2011, page 3714 :
La réglementation relative à l’accessibilité des bâtiments d’habitation collectifs aux personnes handicapées, prévue par le Code de la construction et d’habitation, ne prévoit pas d’obligation de mise en accessibilité de ces bâtiments dans un délai fixé et sous peine de sanctions. Néanmoins, le législateur a facilité cette mise en accessibilité dans les immeubles existants soumis au statut de la copropriété. Si les travaux d’accessibilité aux personnes handicapées ou à mobilité réduite n’affectent pas la structure de l’immeuble ou ses éléments d’équipement essentiels, l’article 24 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis prévoit que ces travaux soient votés par l’assemblée générale à la majorité simple des voix exprimées des copropriétaires présents et représentés. De plus, l’assemblée générale qui refuse de décider les travaux d’accessibilité pour des considérations autres que l’intérêt collectif du syndicat commet un abus de droit, et sa décision peut être annulée par le juge sur ce fondement, à la demande du copropriétaire qui s’estime lésé. Dans ces conditions, il n’est pas envisagé de modifier la loi de 1965 précitée.


Loi : Une majorité abaissée

Pour rappel, la loi n° 85-1470 du 31 décembre 1985 a donné au syndicat des copropriétaires de nouveaux pouvoirs en permettant de voter à la majorité de l’article 25, et non plus à celle de l’article 26, un certain nombre de travaux qui constituent par nature des améliorations mais pour lesquels un intérêt économique ou social supérieur à l’intérêt individuel commande qu’ils soient décidés à une majorité moindre que les travaux d’amélioration ordinaires. Etaient notamment concernés dans ce cadre, les travaux améliorant l’accessibilité des parties communes aux personnes handicapées ou à mobilité réduite (art. 25 i)
Mais, depuis la loi n° 2003-590 dite loi urbanisme et habitat du 2 juillet 2003, la majorité de l’article 24 de la loi est suffisante pour le vote des travaux d’accessibilité de l’immeuble aux personnes handicapées ou à mobilité réduite, dans la mesure où ils n’affectent pas la structure de l’immeuble ou ses éléments d’équipement essentiels. Il en est de même pour le vote de l’autorisation donnée à un copropriétaire de réaliser ces travaux d’accessibilité à ses frais exclusifs.


Point de jurisprudence

Malfaçons et indemnisations
Dans une décision du 5 novembre 2013 (pourvoi n° 12-25417), la Cour de cassation a indiqué que des rampes réalisées étant non-conformes aux prévisions des normes réglementaires ne permettaient pas l’accès aux handicapés et rendaient de fait l’ouvrage impropre à son utilisation.
Dans cette affaire, le syndicat de copropriétaires d’un immeuble vendu en l’état futur d’achèvement, qui se plaignaient de malfaçons, avait assigné le garant d’achèvement, l’assureur dommages-ouvrage et les constructeurs. La cour d’appel a condamné le garant d’achèvement à financer les reprises de l’ouvrage.
Tentatives d’installation d’un ascenseur contre l’assentiment des copropriétaires :
La cour d’appel de Versailles, dans un arrêt rendu le 25 septembre 2006, a rejeté la demande d’autorisation judiciaire sollicitée, en vertu de l’article 30 de la loi du 10 juillet 1965, par une personne handicapée pour installer un ascenseur. Elle a, en effet, jugé que l’installation d’un ascenseur portait atteinte à la sécurité du bâtiment, en réduisant une largeur de passage déjà trop étroite. Elle a, en conséquence, jugé légitime la décision de refus de l’assemblée des copropriétaires.

La cour d’appel de Lyon, dans un arrêt rendu le 12 février 1986, a infirmé le jugement du tribunal de grande instance qui avait autorisé l’installation d’un élévateur individuel pour handicapé physique, en vertu de l’article 30 de la loi du 10 juillet 1965. La cour a considéré que cet élévateur affectait l’aspect extérieur de l’immeuble d’habitation et qu’il était inesthétique. Or, ces deux critères étaient imposés par le règlement de la copropriété pour autoriser des travaux dans les parties communes.


Les textes

- Décret n° 2013-664 du 23 juillet 2013, relatif au délai d’exécution et au champ d’application des travaux de sécurité sur les installations d’ascenseur (modifiant le Code de la construction et de l’habitation).
- Arrêté du 20 août 2013 modifiant l’arrêté du 18 novembre 2004 relatif aux travaux de sécurité à réaliser dans les installations d’ascenseurs,
- Livre blanc rédigé par la Fédération des ascenseurs en lien avec des experts (bureaux d’étude, contrôleurs…) et qui se prononce pour la réactivation de la mesure de la précision d’arrêt.
www.ascenseurs.fr


Une délibération de la Halde

Délibération n° 2006-181 rendu par la Haute autorité de lutte contre les discriminations et pour l’égalité (Halde), le 18 septembre 2006 :
Le réclamant, handicapé, se plaint des difficultés qu’il a rencontrées pour accéder à son appartement, situé au 5ème étage, en raison de l’immobilisation de l’ascenseur de son immeuble, du fait d’un défaut d’entretien. Le réclamant estime que la question de l’accessibilité des personnes handicapées ou à mobilité réduite, n’a pas été prise en considération et que l’absence de mesures appropriées pour permettre aux habitants handicapés de sa résidence d’avoir accès à leur appartement durant la mise à l’arrêt des ascenseurs, a constitué une discrimination.
La haute autorité rappelle que la copropriété doit assurer à ses membres une jouissance paisible de leurs biens et souligne que le trouble de jouissance que constitue l’immobilisation des ascenseurs durant les travaux de réfection peut ouvrir droit à une indemnisation pour les copropriétaires handicapés ou à mobilité réduite, du fait du préjudice spécifique qu’ils subissent. Elle recommande au syndicat des copropriétaires et au syndic de prendre des mesures d’aménagement permettant de faciliter l’accès de tous les copropriétaires à leur appartement, en veillant à aménager des mesures spécifiques pour les copropriétaires handicapés ou à mobilité réduite.
Par ailleurs, compte tenu des obligations légales de mise en conformité des ascenseurs qui pèsent sur les propriétaires et les bailleurs des grands ensembles d’habitation et du risque d’immobilisation des ascenseurs qui peut en découler, la haute autorité recommande aux pouvoirs publics d’engager une réflexion sur les mesures qu’il convient de préconiser pour garantir à toute personne, sans aucune discrimination, l’accessibilité à son logement en cas d’interruption durable du fonctionnement des ascenseurs pour travaux ou toute autre cause.
 

La précision d’arrêt de la cabine, dont les travaux sont onéreux, fait toujours l’objet d’un moratoire. © ascenseurs.fr