[N° 549] - L’eau n’est plus abordable pour les ménages démunis

par Edilaix
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Dans certaines régions de France et pour une partie des ménages, les plus pauvres, l’accès à l’eau potable pèse sur le budget. Selon Henri Smets, Membre de l’Académie de l’Eau, l’aide pour ce service pourrait être indépendante de la consommation et varier en fonction du revenu du ménage

Henri Smets de l’Académie de l’Eau

Interrogés, les Français ne mettent pas le prix de l’eau potable en tête de leurs préoccupations car pour la plupart, l’eau est d’un prix abordable. Comme on ne peut vivre sans eau et que l’eau est désormais un droit, la loi française (Art. L.210-1 du Code de l’environnement) exige que l’eau soit d’un prix abordable pour chaque personne y compris les plus démunies. Le problème est que cette disposition de la  loi votée en décembre 2006 n’est toujours pas appliquée. Curieusement, personne ne sait quand l’eau est d’un prix inabordable et il n’existe aucun mécanisme pour prendre en charge la différence entre le prix “abordable” à déterminer et le prix pratiqué.
Le seul système en place consiste à attendre que l’usager ait accumulé des dettes en ne payant pas ses factures d’eau pour ensuite venir en aide au cas par cas moyennant une procédure sociale assez lourde que certains jugent même humiliante. Les aides octroyées par les Fonds départementaux  Solidarité Logement ne concernent qu’environ deux ménages sur mille alors qu’il y a sûrement dix fois plus de ménages démunis qui peinent à payer leur eau. Ce système fonctionne depuis quelques années et est en croissance rapide du fait de la crise. En Seine Maritime, les interventions du FSL qui étaient de 171 k€ au premier trimestre 2008, sont passés à 486 k? au premier trimestre 2009 (Elisabeth Besnard, FSL, Rouen). À Angoulême, « On constate, depuis la fin du deuxième semestre 2008, d’importantes difficultés de paiement sur la base de deux indicateurs : le nombre de paiements des factures d’eau en plusieurs échéances et l’augmentation du nombre de dossiers transmis au Fonds de Solidarité Logement (FSL).   Dans les deux cas, l’augmentation est de 30% » (Alain Tomsin, directeur de la Sem de la Communauté d’agglomération du grand Angoulême). Dans le Grand Lyon, les aides par ménage ont doublé entre 2001 et 2008 et le nombre de ménages aidés a été multiplié par 3,5 (Didier Rochas, Grand Lyon).


Les systèmes de secours mis en place il y a dix ans pour les personnes ayant des difficultés passagères n’ont pas été conçus pour venir en aide en permanence pour l’eau de  tous les ménages pauvres. Ils ne devaient
initialement aider que 50 000 ménages par an  alors qu’il y a quelque 1 200 000 ménages au RMI et beaucoup d’autres dans une situation semblable. Un couple dont le revenu serait égal au RMI (682 € par mois) peut être amené à consacrer 25 €par mois à l’eau s’il consomme 100 m3 d’eau par an à 3 €/m3.
S’il n’est pas en mesure de payer son eau, il pourra s’adresser au FSL qui lui donnera vraisemblablement une aide. Il faut donc en conclure que l’eau n’est pas jugée d’un prix  abordable dans le cas de ce ménage. Effectivement, il dépense 3,7% de son revenu alors que le niveau moyen de dépenses pour l’eau des ménages pauvres en Europe occidentale est de l’ordre de 3 % du revenu. Sur la base de diverses comparaisons, il semblerait que le niveau de dépenses pour l’eau de 3% du revenu soit dans le cas de la France,  un bon niveau de référence à ne pas dépasser. 


“Le record serait de 10 €/m3 en Bourgogne”

Malheureusement l’eau coûte parfois beaucoup plus cher que 3 €/m3. Alors qu’à Paris, elle vaut  2,89 €/m3, elle coûte plus de 4,5 € dans plusieurs villes de banlieue

(4,60 € à Aulnay, 4,85 € à Pavillon-sous-Bois en juillet 2008). Le record serait de 10 €/m3 en Bourgogne. Dans le Pas-de-Calais, département d’eau chère,  9 % de la population payaient entre 4,5 et 5 €/m3 en 2008 et 6% plus de 5 €. Un titulaire du RMI consommant de l’eau à 5 ?/m3 devrait donc consacrer à l’eau 500 € alors qu’un Parisien ne consacre que 289 €. Un écart de 211 €/an  n’est pas négligeable.

Ne conviendrait-il pas de verser une aide aux ménages pauvres du  Pas-de-Calais pour  réduire l’écart entre  les dépenses d’eau auxquelles ces ménages sont exposés ? La décision est politique bien plus que financière et concerne les élus départementaux et municipaux. Est-il normal  que certains ménages doivent moins se nourrir pour payer leur eau pour le seul motif qu’ils habitent une commune où l’eau est chère? 
L’aide pour l’eau pourrait être indépendante de la consommation et varier en fonction du revenu du ménage.

Elle pourrait être attribuée systématiquement à toutes les personnes démunies qui sont déjà aidées pour le gaz, le fioul ou l’électricité ou qui relèvent de dossiers individuels d’aide gérés par les FSL.

Fin 2009, il est prévu que 1 050 000 ménages français   bénéficieront du tarif réduit pour l’électricité.
Dans le cas d’un département comme le Pas-de-Calais, le prix moyen de l’eau en 2008 est de 4 €/m3 par rapport à une moyenne nationale d’environ 3 € /m3.
Le plafonnement des coûts de l’eau à 4,5 ? pour tous les habitants de ce département serait envisageable et impliquerait de consacrer 2,7% du chiffre d’affaires de l’eau à la péréquation géographique car seuls 15 % de la population paye plus de 4,5 €. Si la péréquation est limitée aux seuls ménages démunis (moins de 20% de la population dans les communes d’eau chère), le coût de la mesure sociale au niveau départemental représenterait  moins de 0,5%. du chiffre d’affaires de l’eau.  Cette aide sociale  pourrait être absorbée par une petite contribution de solidarité à charge des usagers de l’eau, une modification tarifaire, une aide du conseil général ou des économies de gestion des  entreprises de distribution.


“Le prix de l’eau augmente plus vite que l’inflation”

Les débats actuels sur la tarification de l’eau  au niveau national, départemental ou municipal sont dus au fait que le prix de l’eau n’est plus négligeable comme par le passé et qu’il augmente plus vite que l’inflation (+ 1,2 % en termes réels chaque année).  Ils visent à corriger les inégalités au regard des dépenses d’eau de sorte que les plus démunis ne doivent plus se priver pour payer leur eau.
Payer un euro de plus par m3 pour son eau signifie se priver de 100 € par an ou 2 baguettes par semaine.
Cette question ne concerne qu’une partie de la France, là où l’eau est plus chère, et qu’une partie des ménages, les plus pauvres.
Elle pourrait être résolue sans difficulté si l’on voulait faire preuve dans le secteur de l’eau de la même solidarité que dans ceux de l’électricité, du gaz, du fioul, du téléphone et des transports en commun.