Copropriété : Les punaises de lit

par Gilles Frémont - Directeur de copropriété
Affichages : 981

Surtout ne paniquez pas. Le téléphone du syndic est un peu comme le standard du SAMU. Les gens vous appellent dans l’urgence absolue, sans vous ne donner ni leur nom ni leur adresse. Le discours est décousu, les paroles confuses, le timbre de voix angoissé. Le pronostic est vital.

- «Allô j’écoute. Quel est votre problème Madame ? Où avez-vous mal ? Ressentez-vous une gêne dans le bas ventre ? Quel est votre rythme cardiaque ? Avez-vous des nausées ? Ouvrez vos fenêtres et respirez, tout va bien se passer. Le plombier ne va pas tarder à arriver».

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 684 de décembre 2022

Fuite aggravée façon geyser, ascenseur bloqué, ampoule grillée ou clé égarée…La hotline du syndic tourne à plein régime. Appel de charges incompris ou frais de relance mal vécus, l’eau est tiède, le radiateur est froid… Tout y passe. Attention, un ouvrier marche sur le toit, un homme encordé est pendu à la fenêtre, vite, il faut sonner le tocsin. Une poubelle n’a pas été rentrée, le parking est grand ouvert, l’heure est grave, les loups-garous vont pénétrer. Sachez-le, votre interlocuteur ne vous agresse pas, non, il vous envoie un SOS. Vous ne devez pas vous braquer, non, vous devez le rassurer. Moine Shaolin, Maître Yoda. D’un calme olympien, le syndic-urgentiste apaise, calme les maux et soigne les plaies, la tête froide, quelle que soit la tonalité employée. Quoique. «Je m’en occupe», voilà ce qu’ils veulent entendre. «Je fais le nécessaire», voilà ce qu’il faut leur dire. Ni plus, ni moins.

Mon téléphone sonne. «Monsieur Frémont, quelqu’un a affiché un mot ! Je vous le lis c’est très inquiétant : L’immeuble est envahi de punaises de lit. Si vous en avez, contactez le syndic de toute urgence». Avis à la population. Un mot dans les parties communes, quelle idée de génie. L’information se propage comme une traînée de poudre, la rumeur enfle, mon téléphone brûle, mes mails montent en pression, je suis assailli. Les punaises de lit sont chez nous, le retour. Peur sur la ville, les zombies grouillent à la porte, psychose à tous les étages. C’est l’émeute. Appelez les pompiers, la police et l’armée, sauve-qui-peut, les femmes et les enfants d’abord. Les petites bêtes vont nous piquer, nous dévorer, je sens déjà les démangeaisons, les plaques rouges, ça pustule, ça suinte, ça se décolle, j’ai mal, ça gratte !

- «Ok Madame, pas d’affolement, avez-vous observé des nuisibles dans le pli de votre oreiller ? Êtes-vous revenue d’un voyage aux Amériques, d’un motel sordide comme dans les feuilletons américains ?». J’essaye de dédramatiser et de poser le diagnostic. Mais la dame, qui ne m’a toujours pas donné son nom, est en émoi, impossible à canaliser.

- «Écoutez Madame, ça ne vole pas, ça ne saute pas à la gorge non plus. Ça s’immisce, ça rampe à plat ventre, mais ce n’est pas méchant, ne versez pas d’acide, je vous envoie un chien renifleur.

- Un quoi ?

- Un chien, pas pour vous, pour l’appartement, il va détecter les parasites planqués dans votre matelas, vos rideaux et vos chemisiers, les bestioles ont peut-être déjà proliféré.

- D’accord, mais combien ça va coûter tout ça, ce n’est quand même pas moi qui vais payer ?  Ça dépend Madame, les punaises de lit, c’est privatif ou c’est commun ?

- Euh, bon, je vais réfléchir, ça me gratte déjà un peu moins. Je vous rappellerai si je vois quelque chose. Je vais déjà défaire mes valises hein. Merci beaucoup !». Mais de rien Madame, je suis là pour ça. En cas de pépin, faites le 15 ! Syndic j’écoute.

 

Gilles FremontGilles Frémont, directeur copropriété

 

 

 

 

Vis ma vie de syndic - Gilles Frémont