Copropriété : la Présidente

par Gilles Frémont - Directeur de copropriété
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C'était un petit bout de femme, les yeux très maquillés, la chevelure teintée, un collier de perles sur un cou bien dégagé.

Elle était séduisante. Pêchue, loquace comme pas deux, une pipelette comme on les aime, jamais à court d’histoires, bien racontées et savoureuses.

Son passe-temps favori, c’étaient les potins. Dans un langage familier : radio cancans continûment sur le pas de sa porte. Elle n’était pas Présidente pour rien.

Si vous aimez les ragots, si vous aimez les gens, alors faites de la copro.

Le syndic est un confident.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 682 d'octobre 2022

Je frappe à sa porte, le Tour de France en fond sonore, un été caniculaire. «Bonjour Madame Langlois, je sors d’expertise, je passais vous voir. - Ah, bonjour Monsieur Frémont, vous avez croisez les Brisson ? Je les entendais hurler hier soir, ça passe par le conduit de ventilation. Je crois que leur couple bat de l’aile. Faut dire que Monsieur passe ses journées dans le canapé, un tire-au-flanc, il bricole je ne sais quoi à la cave, un jour il va tout faire exploser avec ses bouteilles de gaz, accro aux bistrots vous voyez le genre, il a le teint jaune. C’est pour les gamins que ça doit être dure, il parait qu’ils sont haut potentiel, enfin c’est ce que les parents s’imaginent».

Je lui fais la conversation : «C’est vrai que je ne les vois plus en AG, ils n’envoient même plus leur pouvoir. Tant qu’ils payent leurs charges, me direz-vous».

Mme Langlois passe du coq à l’âne sans ralentir : «À ce propos j’ai aperçu ce pauvre Monsieur Rimbert, il a découvert que sa femme avait une double vie. Je dis ça, je dis rien, mais à mon avis il n’est pas blanc comme neige non plus. Ils ont des mœurs légères, ces deux-là. Guindés le matin, débauche le soir. L’autre jour, il est tombé tout nu du balcon, on n’a rien pu faire. Après c’est pour les enfants que je m’inquiète. Heureusement ils n’en ont pas».

Je ne suis pas à mon aise, mais ça me plaît, je la laisse continuer : «Vous savez moi les bruits de couloir ça ne m’intéresse pas trop, mais j’ai ouï-dire que Monsieur Serafin allait déménager, il a fait banqueroute, son affaire périclitait. Il vivait au crochet de sa mère, elle est usufruitière de l’appartement mais c’est lui qui vivait dedans, elle l’a mis dehors sa progéniture, maintenant il part à Nantes comme tous ces parisiens, comme si c’était l’eldorado», dit-elle avec son accent parigot. Les murs ont des oreilles, le syndic est muet comme une tombe. Elle poursuit son récit avec entrain : «Vous saviez que Monsieur Chapus s’était cassé le col du fémur ? Il a glissé sur une bâche dans l’escalier, les travaux des petits jeunes au 4e. Il est quasiment paralysé, son avocat ne va pas les louper. Ça me fait de la peine pour eux, ils avaient l’air si gentils, mais bon, voilà ce qui arrive quand on paye ses ouvriers au noir. Vous voulez une tasse de thé Monsieur Frémont ? - Non merci c’est gentil je dois y aller - Vous êtes sûr, c’est citron-gingembre. Mon mari adorait ça, paix à son âme. En partant, saluez la gardienne de ma part, une vraie commère celle-là».

Oui, le syndic est une source d’informa- tion intarissable. Véritable mur des lamen- tations, on ne lui prête aucune émotion. Pourtant, Mme Langlois, je la côtoie depuis vingt ans, comme tant d’autres présidents. Je les connais par cœur, leurs petits travers et leurs petites peurs. Je connais aussi leur bon cœur, il nous arrive souvent de rire. Ils me connaissent aussi. Pour rien au monde, ou presque, on ne se quitterait.
Syndic, copropriétaires...je t’aime moi non plus.

Gilles FremontGilles Frémont, directeur copropriété

 

 

 

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