Copropriété : On a éteint le chauffage

par Gilles Frémont , Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriété
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En copropriété, il y a des sujets sensibles. Des sujets hautement stratégiques, où le doigté, la finesse et le sang-froid du syndic deviennent une nécessité vitale. Des sujets avec lesquels on ne plaisante pas. La couleur du tapis, la trottinette des enfants sous l’escalier, l’emplacement du rack à vélos (au fond à gauche). Des sujets brûlants, où le moindre détail, comme un demi-degré Celsius, peut dégénérer en psychodrame et se muer en une féroce bataille. Les copropriétaires sont à couteaux tirés. 

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 672 d'octobre 2021

On a éteint le chauffage. Mon téléphone sonne. C’est Madame Martin, une vieille dame âgée de 95 ans. Madame Martin vivait seule dans son 5 pièces, le mobilier dans son jus des années 30. Elle ne sortait jamais de chez elle, sauf pour le marché aux fleurs du vendredi et les vœux du maire d’arrondissement une fois l’an. Madame Martin est veuve depuis des lustres. Elle est surtout… très frileuse. Je savais déjà de quoi elle allait me parler : «Monsieur le syndic, nous ne sommes que le 15 avril, pourquoi avez-vous éteint le chauffage ? On se les gèle !». Doigté et finesse. J’argumente : «Le temps est clément cette année, Madame Martin. Les prévisions sont plutôt favorables, et le président du conseil syndical m’a donné son aval». Mais Madame Martin en a vu d’autres et ne l’entend pas de cette oreille : «Le président s’en fiche éperdument des personnes âgées, son appartement est plein sud avec triple vitrage, le mien est plein nord sous les toits. Ça fait vingt ans que les copropriétaires refusent de voter l’isolation des combles juste parce que c’est moi. Les jeunes sont incapables de débourser le moindre sou, ils arrivent, ils repartent, tandis que moi je suis là depuis 60 ans !». Madame Martin est en forme. Il paraît que le froid ça conserve. Je laisse tourner le disque. «Le président est un radin, il est pris à la gorge dans son 2 pièces crasseux et n’a plus un rond pour payer ses charges. Économiser trois gouttes de fioul, quelle mesquinerie. C’est fini le choc pétrolier. Quant à vos prévisions fumeuses, croyez-en mon expérience, on n’éteint jamais le chauffage avant les Saints de glace. J’ai dû enfiler trois chandails et une paire de mitaines, c’est le pôle Nord ici ! Si vous ne rallumez pas, je ne voterai pas pour vous à la prochaine assemblée générale !». Madame Martin me crie dessus, je m’y attendais. 

A force, j’ai le cuir épais, ça glisse. Mais au fond, je la comprends un peu. Il est vrai que chez moi les radiateurs sont encore bien chauds. Madame Martin est âgée et isolée. Je compatis. Oui, le syndic est sévère, mais il est juste. Le syndic est dur, mais il a un cœur. Intransigeant, mais emphatique. 

«Vous savez Madame Martin, je dois contenter tout le monde et personne n’est d’accord. Entre ceux qui réclament le chauffage le 15 septembre pour le ré-éteindre huit jours plus tard parce que c’est l’été indien, les retraités qui veulent son maintien jusqu’à leur départ en résidence secondaire, les primo-accédants qui exigent son arrêt le plus tôt possible… jusqu’à l’arrivée du premier bébé. L’année dernière, on m’a fait rallumer les chaudières trois fois en l’espace d’un mois. Le chauffagiste craque. Et si j’ai le malheur d’inscrire la température à l’ordre du jour, je crains que nous n’en sortions pas vivants. Ne pouvant faire de résolution à trou, rien que la rédaction du projet me soumettra à de multiples tensions, menaces et tractations. Alors vous voyez, Madame Martin, c’est compliqué». Madame Martin ne me répond plus. Madame Martin ?

Gilles Fremont

Gilles Frémont, directeur copropriété / Président ANGC

 

ANGC copropriété

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