Copropriété : l'AG masquée

par Gilles Frémont , Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriété
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Ça faisait deux ans qu’ils ne s’étaient pas vus... Et ils étaient franchement contents de se revoir. Je les sentais surexcités et joyeux comme jamais. Déchaînés. C’était la quille. Moi, j’étais sagement assis dans le fauteuil crapaud, costume-cravate, ordinateur sur les genoux, premier de la classe, la feuille allongée sur la table basse en cuir véritable. Le tapis moumoute me remontait sur les chevilles. Notre hôte de la soirée, Thierry, c’était le président du conseil syndical, la cinquantaine, un homme plutôt décontracté. Il avait l’habitude de nous recevoir, ça lui faisait plaisir, les enfants jouaient dans la chambre et passaient une tête de temps en temps. Nous étions tous bien enfoncés dans les canapés, et l’on savait pertinemment que les bouteilles nous attendaient dans le frigidaire. Mais d’abord, l’assemblée générale. Lâchez les chevaux.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 671 de septembre 2021

«Dis, Robert, le couvre-feu c’est 18h ou 19h ? - J’en sais rien, de toute façon j’ai mon attestation pour la soirée - T’es sûr que c’est un motif ? - Ben, c’est professionnel non ? - Pour le syndic oui, pas pour toi - Écoute Chantal, personne ne dira rien, et puis regarde, on respecte, on n’est pas plus de huit - T’es sûr Robert, la règle c’est pas six ? - Non, tu confonds avec les mètres carrés». Thierry s’immisce dans le débat : «C’est pas pour les lieux publics les mètres carrés ? - Non juste les ERP - C’est quoi un ERP ?». L’assemblée n’a toujours pas commencé. «Monsieur le syndic, du coup c’est quoi la règle ?». Bien, je propose que nous démarrions l’ordre du jour ? «Attends Robert, t’as pas ton masque !», s’écrit Chantal. «Si, il est dans ma poche, tu veux que je te le prête ?». Rires gras. L’assemblée n’a toujours pas commencé. «De toute manière j’ai déjà chopé le Covid», dit Robert en se lâchant. «Ah, toi tu dis LE covid ? Moi je dis LA», lui répond Chantal très sérieusement. «Oui, c’est UN virus, pas UNE maladie». Ça rigole, et vas-y que je tape sur l’épaule. Distanciation. Moi, je ne dis rien, je suis le professionnel en réserve, je n’ai pas le droit de chambrer. J’avoue, je suis content de les voir aussi.

On passe vite sur les comptes : «on vous fait confiance Monsieur Frémont. On vous aime bien, on ne dira rien sur les 3 %». Laborieux, mais on avance. Résolution 5, seuil de mise en concurrence. Thierry prend la parole : «au fait Robert, t’as des nouvelles du petit traiteur italien en face ? - Lequel ? - Celui qui a passé sa femme au hachoir - C’était pas sa femme, c’était sa maîtresse. On a retrouvé des traces dans les cannellonis, c’est comme ça qu’il s’est fait gaulé». Alors, le seuil de mise en concurrence ? 2000 € comme l’année dernière ? Poussif, mais je suis confiant. «Chantal ! Pourquoi tu t’énerves ?», Robert remet le couvert. «Je ne m’énerve pas, mais je ne suis pas d’accord pour un carrelage dans la cour, c’est moche, ça fait bains-douches, je préfère la peinture, j’en ai une garantie quinze ans en Allemagne, avec des paillettes». Ouf, on parle enfin de l’ordre du jour. «Chantal ! - Quoi ? - T’as ton masque qui pendouille sur l’oreille». Tout le monde se marre. Chantal devient écarlate. Au bout de deux heures d’ambiance potache et de franche camaraderie, on finit par voter la cour (c’était la seule question à l’ordre du jour). Je leur fais voter un budget et je renvoie au conseil syndical pour le choix du carrelage..… ou de la peinture (je commence à saturer). Mes chers amis, la séance est levée. «Eh ben c’est pas trop tôt. Thierry ! Tu vas chercher les bouteilles ?». Champagne !

Gilles Fremont

Gilles Frémont, directeur copropriété / Président ANGC

 

ANGC copropriété

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