Copropriété : Mon immeuble

par Gilles Frémont , Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriété
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Interrogez tous les gestionnaires que vous voudrez, et tous vous diront qu’ils sont arrivés dans le métier par hasard.

Syndic n’est pas une vocation. Pour autant, peut-on avoir des prédispositions ?

article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 664 de décembre 2020

J’ai grandi dans un immeuble en copropriété. Un immeuble du baron Haussmann de 3e classe, dans l’alignement de la rue, plutôt basique. Passage cocher, chasse-roues sur les côtés pour les conducteurs malhabiles ou les chevaux rétifs, balcon filant. Un immeuble sans décorations somptuaires, mais de fière allure et solide comme un roc.

Sur chaque petit palier, il y avait quatre portes, et derrière chaque porte, une vie tout entière.

Au 1er étage, je me souviens, vivait une psychiatre, on l’appelait docteur. Elle était toujours aimable et savait y faire avec le voisinage. Quand je la croisais dans l’escalier en rentrant de l’école, son sourire magnanime et sa voix suave ne me laissaient jamais indifférent ; je m’en serais presque allongé sur son divan à l’heure du goûter.

Au 2e, il y avait un sportif de haut niveau, un Ironman. Il s’en allait tôt le matin, vélo sur l’épaule, parcourir le monde, suer sang et eau. Ses voyages me faisaient rêver, un jour il me dit : «Tu sais petit, quand tu vis en collectivité, ça fait du bien de prendre l’air de temps en temps».

Au 4e, vivaient deux sœurs, vieilles filles, téléviseur à fond branché sur les feuilletons américains de l’après-midi. Elles détestaient la gardienne, qui elle-même, il faut bien le dire, en avait fait partir plus d’un.

Tout ce beau monde se retrouvait une fois par an chez le syndic.

Et je voyais mon pauvre père, dépité, revenir des assemblées générales et nous répéter à la table du dîner que cette année encore, l’installation de l’ascenseur avait été reportée.

Nous, justement, nous étions au 6e et dernier étage, dans le toit mansardé, sous le zinc brûlant des jours d’été. Dans la cuisine, un long puits de lumière ouvrait sur le ciel par un petit châssis tabatière. Des heures durant, par la fenêtre, je contemplais les toits du quartier et le clocher à l’horizon. Une vue plongeante sur les fenêtres d’en face m’offrait le loisir d’observer ces silhouettes qui se disputaient, et se réconciliaient, rideaux tirés.

Sur mon palier, vivait un vieux monsieur. Il était seul, et s’adonnait à la lecture. Son entrée, son couloir et son salon étaient recouverts de livres. Ça sentait la cellulose des vieux bouquins. Il me parlait littérature et politique, me racontait la vie de ses héros. Je voyais dans son regard de la nostalgie.

Un soir d’hiver, mon père m’apprit la triste nouvelle, le vieil homme venait de casser sa pipe. Il s’en était allé.

 

Aujourd’hui, je suis syndic, je vois d’autres immeubles, beaucoup d’immeubles, et quand je rentre dans certains appartements, parfois, des souvenirs me reviennent ; parfois, je ressens encore cette odeur des vieux livres ; c’est ma madeleine de Proust.

C’était mon immeuble.

Gilles Fremont

Gilles Frémont, directeur copropriété / Président ANGC

 

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