Le modèle de la loi de 1965 est éprouvé tant par les contraintes budgétaires et environnementales de la société que par les désirs et attentes de ses usagers.
60 ans ! Voilà l’âge, vénérable pour une loi, atteint cette année par le texte du 10 juillet 1965 et son modèle de gestion de l’immeuble collectif privé. Doit-il prendre sa retraite, après avoir multiplié son nombre de pages par sept… ? S’adapter, s’améliorer, voire se simplifier, pour mieux poursuivre sa route ? S’il disparaît, quelle organisation pour les quelques 40 % des ménages français qui vivent dans un des onze millions de logements gérés par un syndic avec, dans le meilleur des cas, un conseil syndical actif et compétent ? Autant de questions qui taraudent les professionnels du domaine, les syndicats ou associations de syndics, de copropriétaires, les avocats, les experts, les praticiens, etc.
Tour d’horizon sur le pourquoi de ces questions et tentative de prospection.
Le monde a changé
C’est une évolution profonde et irréversible que des professionnels, réunis à l’occasion du colloque du 10 avril dernier «1965-2025 : les 60 ans de la Copropriété, en héritage et renouveau», constatent (coorganisé par l’UNIS, Procivis, Plurience et l’UNPI). Le statut de la copropriété est basé, rappelle Danielle Dubrac, présidente de l’UNIS, sur «l’indivision organisée» et la «démocratie dans la démocratie». Or, souligne Edouard Morlot, président délégué national de l’UNIS «la sociologie des habitants d’un immeuble a évolué». En 1965, le mot d’ordre politique «tous propriétaires» faisait écho à l’appétence de la population pour acquérir son chez-soi, fut-ce sur le mode collectif. «La jeune génération a-t-elle aujourd’hui envie d’investir dans la copropriété ?», interroge-t-il. Beaucoup moins que ses aînés apparemment. Henry Buzy-Cazaux, président fondateur de l’IMSI, indique que «60 % des occupants des copropriétés des grandes villes sont locataires». Un phénomène non sans rapport avec le glissement général du droit de propriété vers le droit d’usage des biens…
Du vivre-ensemble à l’entre-soi
Coexistent dans ces immeubles gérés collectivement des propriétaires occupants, personnes physiques plutôt âgées ou primo-accédants jeunes et modestes, des preneurs à bail permanents ou des locataires plus éphémères sur le mode Air’BnB… Chacun avec sa vision et ses attentes. «L’individualisme est fort et explique la désaffection aux assemblées générales», explique David Rodrigues, juriste à la CLCV qui défend l’idée de «donner du poids aux locataires au sein d’un conseil des résidents».
L’intérêt général est un principe de moins en moins partagé ; les parties communes n’intéressent pas des habitants focalisés sur leur partie privative. Comment les en blâmer alors que la distribution de l’eau et de l’énergie est de plus en plus individualisée ? que les jardins et espaces verts sont de plus en plus privatisés ? que subsistent comme seuls espaces communs quatre murs et un toit, ascenseur, couloirs et escaliers ?
Et puis, que valent aujourd’hui les fondamentaux posés par Pierre Capoulade et Jean Foyer en rédigeant la loi ? Est-elle toujours claire et concise ? Facilite-t-elle la gestion collective ? Protège-t-elle encore les copropriétaires, notamment minoritaires ?
D’un bien privé à un objet public
Si l’avènement du droit de la consommation a conduit à encadrer les professionnels et leurs pratiques, et à tenter de mieux informer les nouveaux arrivants et les locataires, l’objectif de protection des minoritaires oscille dorénavant entre une exigence démocratique revue à la baisse par l’introduction de règles de majorité facilitant la prise de décision, et l’ingérence des pouvoirs publics pour répondre à la problématique des copropriétés en difficultés.
Le bien en copropriété devient objet des politiques du logement, par exemple avec l’arrivée des organismes HLM, et sujet de la transition écologique. De plus en plus ancien, nécessitant davantage de travaux pour améliorer le confort thermique et réduire les consommations d’énergie, le parc immobilier de la copropriété est visé par de nombreuses et nouvelles obligations légales : diagnostics, audits, fonds de travaux, emprunt collectif, projet de plan pluriannuel de travaux, etc. Sans parler de la place du vélo !
Enfin, les innovations technologiques et l’inclusion numérique, les questions liées au pouvoir d’achat bousculent largement le paysage.
Nouveau paradigme ?
Dans cet environnement qui envisage désormais «moins le copropriétaire et davantage l’immeuble», estime le professeur Hugues Périnet-Marquet, comment la loi peut-elle dépasser l’épreuve du temps ? Pas de gestion des immeubles collectifs sans règle, sans définition des droits et des obligations de chacun. Sylvain Grataloup, président de l’UNPI, imagine une voie passant par «une impérative collaboration : les copropriétaires prenant la mesure de leur engagement lorsqu’ils choisissent de vivre en copropriété et le syndic, en occupant sa place complexe de chef d’orchestre mandaté».
Concevoir l’avenir n’oblige-t-il pas à imaginer un nouveau paradigme ? En son temps, le GRECCO (groupe de recherche sur la copropriété de la Chambre nationale des experts en copropriété - CNEC) n’a-t-il pas penché pour une organisation pensée à partir des standards du droit des sociétés (conseil d’administration, président directeur général et assemblée générale) ? Hugues Périnet-Marquet est certain que «la loi ne résoudra pas les questions économiques» qu’on voudrait lui faire résoudre. Il signale deux brèches dans la loi de 1965 : les copropriétés ne comprenant pas de logement et la division en volume d’un immeuble – même dans un bâtiment unique, et pense «possible d’aller plus loin que le renforcement des missions du conseil syndical de l’ordonnance de 2019 si les copropriétaires s’approprient le système».
Dès lors, sauver le statut de la copropriété nécessite à tout le moins une appropriation par la vulgarisation du modèle et un changement de mentalité qui dépasse de loin le microcosme de la copropriété…
Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 709 de juin 2025