Copropriété | Intelligence artificielle : pépite ou caillou ?

par Nathalie LEVRAY, journaliste
Affichages : 527

copropriété| ©AdobeStock_515639528.jpegModes de travail et compétences renouvelés, défis et risques juridiques.

Comment la gestion des copropriétés intègre-t-elle l’IA ?

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 708 de mai 2025
©AdobeStock_515639528.jpeg

Fascination et débat. Deux mots associés à l’intelligence artificielle (IA), ses potentiels extraordinaires et les défis qu’elle soulève. La fascination pour une technologie futuriste, ses avancées scientifiques incroyables et l’évolution exponentielle de ses capacités. Le débat au regard de ses possibles conséquences sociétales et ses implications pour l’emploi ou la vie privée. Elle interroge aussi l’éthique pour les biais algorithmiques pouvant orienter ses réponses ou la responsabilité des décisions prises par une machine. Les systèmes d’IA pourraient enfin être mal utilisés ou devenir incontrôlables, comme Hal 9000, ce supercalculateur doté d’intelligence artificielle repris de la saga des Odyssées de l’espace du romancier de science-fiction britannique Arthur C. Clarke par Stanley Kubrick dans le film 2001, l’Odyssée de l’espace (1968). Les copropriétés ne sont pas des îlots à l’écart des nouveaux paradigmes. Alors qu’en est-il ?

Pas dans les copros anciennes …

«L’IA n’est pas une tendance passagère ; elle s’inscrit pleinement dans notre démarche d’innovation et d’excellence», répond Bertrand Esposito, PDG du cabinet Loiselet & Daigremont. Pour François-Emmanuel Borrel, DG du cabinet André Griffaton à Paris, «il y a peu d’IA dans la copropriété» alors qu’elle se développe dans les cabinets de syndic. Avant de répondre à la question, Maxime Taboni, chargé des process et du développement informatique du cabinet Taboni à Nice, distingue l’IA, qui est «autonome et travaille seule» de l’automatisation qui utilise «des boucles standardisées» pour fonctionner. «Oui, assure-t-il, l’IA est de plus en plus utilisée, mais dans les immeubles neufs, construits avec une modélisation des données du bâtiment (BIM, c’est-à-dire à partir d’une maquette numérique. Quant à un usage dans un immeuble ancien, il reste dubitatif : «comment faire ?», d’autant que «les logiciels métiers ne le permettent pas». De plus, c’est un métier «où il faut de l’humain !» Même analyse de la part de Renaud Franchet, co-gérant associé de la régie lyonnaise Franchet, «très au clair sur la nécessité de ne pas substituer du digital à la relation humaine», mais «circonspect sur la maintenance prédictive du patrimoine qu’il gère».

… mais chez les syndics

L’IA est bien présente dans les cabinets qui gèrent les copropriétés. Le cabinet Franchet «l’utilise pour la rédaction assistée des courriers, la recherche d’informations et l’analyse documentaire». Le jour de l’interview, «la plupart de ses collaborateurs sont en formation sur le sujet pour se familiariser avec ces outils».

Le cabinet Taboni développe «un agent IA en interne pour faciliter la gestion». Maxime Taboni cite, à titre d’exemple, la comparaison rapide et efficace de deux devis qu’elle permet. En comptabilité, un outil interne d’IA est expérimenté depuis un an pour les pré-états datés : «nous avons économisé 5 000 méls et nous avons zéro loupé désormais», se satisfait-il. Au cabinet André Griffaton, l’outil de reconnaissance de facture est plébiscité : «l’IA la scanne, la regarde et à partir du numéro, retrouve le fournisseur ou le client et réalise une pré-saisie sans se tromper dans 95 % des cas !» Quant à Loiselet & Daigremont, «Émile, [son] outil de déclaration et de suivi des incidents dans les immeubles permet de mieux suivre certains prestataires, en particulier lors d’interventions sur des fuites». La détection d’anomalies dans les relevés de compteurs de chauffage, d’eau ou dans les appels de fonds semble ainsi avoir de l’avenir.

Pas sans contrôle humain

Autre outil bien utile, la gestion des méls, une tâche lourdement chronophage. Pour pallier cet inconvénient, explique François-Emmanuel Borrel, «des réponses sont formulées par l’outil IA en accédant aux messages reçus et envoyés au cours des années précédentes. Le caractère d’urgence est également évalué.» En détectant les mots «commande» et «Vigik» dans un message par exemple, l’outil saura rédiger une réponse pertinente. «Un être humain doit valider la proposition», insiste Maxime Taboni. Ce genre d’outil est testé à la régie Franchet, avec la même réserve sur la validation obligatoire. Sur ce point, Bertrand Esposito rappelle que «le syndic reste responsable des actes de gestion, y compris s’ils s’appuient sur un outil automatisé. Il doit donc conserver une supervision humaine sur les décisions importantes, choisir ses outils avec discernement et documenter ses choix en assurant leur traçabilité et en sachant expliquer la logique suivie».

Limites et insuffisances

Si l’IA est un outil d’amélioration en termes de réactivité, d’efficacité et de satisfaction de la clientèle permettant aux gestionnaires de gagner du temps et «de se concentrer sur les sujets à forte valeur ajoutée», indique Bertrand Esposito, elle pose mille questions. De nouvelles compétences techniques ou touchant à l’analyse, à la communication et à l’éthique seront à acquérir aussi bien chez les syndics qu’au sein du conseil syndical. Mais surtout des limites ou des insuffisances doivent alerter. Renaud Franchet évoque immédiatement «la limite sécuritaire liée à la présence des données sur l’IA et les règles du RGPD (Règlement [européen] général sur la protection des données relatif au traitement des données à caractère personnel et à leur libre circulation)». En outre, selon lui, «aucune machine ne pourra remplacer la finesse d’analyse du cerveau humain». Une réserve partagée par Bertrand Esposito qui précise : «l’IA peut avoir du mal à analyser et à interpréter finement des situations complexes juridiquement ou humainement». Les limites pointées par Maxime Taboni concernent «le secteur des logiciels métiers» où les éditeurs sont peu enclins à inclure cette dimension technologique dans leurs offres. Si François-Emmanuel Borrel souligne «la nécessaire interopérabilité entre différents logiciels», toujours aux abonnés absents, il signale «travailler avec le syndicat de la mesure» pour avancer sur la question.


À suivre…