[Parole d’expert] L’amendement et la mise en conformité des règlements de copropriété

par Publi-information*
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Entretien* avec 3 experts

Maître Laurence Guégan-Gélinet, Monsieur Christophe Parent et Monsieur Matthieu Poumarède

 

Pour éviter des contentieux récurrents, la loi ELAN a imposé des nouvelles « règles du jeu » vertueuses, la plupart issues de la jurisprudence. Ces textes précisent les principes d'application des lots transitoires, des parties communes et des charges spéciales et des droits de jouissance.

L'outil de cette mise en œuvre, la mise en conformité des règlements de copropriété (RCP), devait être utilisé avant le 24 novembre 2021.

Pour éviter une disparition automatique des droits sur les lots concernés à la date « couperet » du 23 novembre 2021, la loi 3 DS du 22 février 2022 est venue préciser que « L’absence de mention de la consistance du lot transitoire dans le règlement de copropriété est sans conséquence sur l’existence de ce lot ».

 

3 experts de la copropriété : Maître Laurence Guégan-Gélinet, avocate au barreau de Paris, spécialiste du droit de la copropriété ; Christophe Parent , directeur du Cabinet Even du Fou/IMMO de France à Dijon et Matthieu Poumarède, Professeur de droit à l’Université Toulouse 1 Capitole, nous expliquent quels sont les enjeux de cette nouvelle disposition ? Existe-t-il toujours une obligation de mettre en conformité les règlements de copropriété ?


  

Maître Laurence Guégant-GélinetMaître Laurence Guégan-Gélinet

 

 

Le nouvel article 209-II est-il un texte impératif ?

Oui, l’obligation de mise en conformité reste entière. L’incertitude de la sanction adossée à une date couperet a amené le législateur à amender son texte pour maintenir l’obligation de mise en conformité tout en écartant expressément les conséquences les plus graves, à savoir le risque de disparition automatique et définitive des droits.

 

Considérez-vous que la mise en conformité des règlements de copropriété doive se faire au sens des dispositions de l’article 6-4 ?

Paradoxalement en effet, le législateur rend obligatoire la mise en conformité des règlements de copropriété antérieurs au 1er juillet 2022 avec les dispositions d’un article 6-4 de la loi qui est pourtant censé ne pas leur être applicable…

 

Le syndic doit mettre à l’ordre du jour cette question lors de chaque Assemblée générale si elle n’a pas été traitée auparavant : est-ce une incitation ?

La formulation du texte révèle une obligation impérative, « le syndicat des copropriétaires inscrit à l’ordre du jour », ce qui contraint le syndicat et donc le syndic à l’exécuter.

Il s’agit d’une exigence tout aussi efficace qu’auparavant, le législateur ayant simplement décidé « d’y arriver par l’usure plutôt que par la force » comme cela a pu être très justement résumé.

 

Malgré leur absence de mention dans le RCP, les parties communes existent-elles toujours juridiquement ?

Oui, les parties communes spéciales et celles à jouissance privative ne devraient plus risquer d’être privées automatiquement d’existence au lendemain du 23 novembre 2021. C’est bien le but affiché par cette réforme.

 

Quel est le champ d’application de l’article 209-II qui prévoit que « L’absence d’une telle mention dans le règlement de copropriété est sans conséquence sur l’existence de ces parties communes » ?

Par cette phrase le législateur a entendu déjouer le risque d’une sanction disproportionnée qui pourrait résulter des termes malheureux de l’article 6-4 de la loi, subordonnant l’existence des droits concernant les parties communes à leur mention dans le règlement de copropriété. 

On ne peut que s’en féliciter.

Mais si l’article 6.4 de la loi du 10 juillet 1965 ne s’applique plus aux règlements antérieurs au 1er juillet 2022, ce n’est pas le cas d’autres dispositions issues de la loi Elan du 23 novembre 2018 ou de l’ordonnance du 30 octobre 2019, entrées en vigueur dans l’intervalle.

A titre d’exemple, les articles 6-2 et 6-3 de la loi précisent que la création de parties communes spéciales est  indissociable de l’établissement de charges spéciales à chacune d’elles et que le droit de jouissance ne peut en aucun cas constituer la partie privative d’un lot.

De même, l’article 8, prévoit que le règlement de copropriété « énumère, s’il y a lieu, les parties communes spéciales et celles à jouissance privative ».

A défaut d’une mise en conformité qui serait effectuée au sens le plus large, c’est-à-dire en englobant  également la mise à jour du règlement de copropriété à la majorité de l’article 24 f de la loi du 10 juillet 1965, certains droits pourraient, à tort ou à raison, se voir contestés.

 

Pouvez-vous décrire les conséquences de l’absence de mise en conformité des RCP à l’aune du nouveau texte ?

Le syndic représentant le syndicat qui n’aurait pas inscrit cette question à l’ordre du jour engagerait sa responsabilité en cas de préjudice résultant de cette carence.

Il en serait de même en cas de refus non justifié du syndicat des copropriétaires, alors que la question lui a été soumise, de mentionner dans le règlement de copropriété les parties communes spéciales, celles à jouissance privative ou la consistance des lots transitoires.

 

Dans le cadre d’un droit de jouissance, quel serait en réalité le préjudice qui pourrait être subi par les copropriétaires ou le syndicat ?

Les copropriétaires de certains lots assortis de droits de jouissance privative pourraient éprouver éventuellement des difficultés à les céder tant que ces droits ne seraient pas mentionnés dans le règlement de copropriété.

 

Quelle méthode appliquer ? 

La rédaction d’un rapport établi par un professionnel devrait précéder cette mise en conformité pour, soit la préconiser, soit l’écarter si elle n’apparaissait pas nécessaire.

Le syndic ne peut lui-même effectuer un travail qui s’apparente à une expertise et qui doit être réalisé par des professionnels spécialisés comme les avocats ou les notaires. Il doit procéder le plus rapidement possible à l’inscription à l’ordre du jour de la mise en conformité des règlements de copropriété antérieurs au 1er juillet 2022.

  

Pour conclure, dans l’ignorance de la jurisprudence à venir, il est impératif d’inclure la mention des parties communes spéciales et celles à jouissance privatives dans le règlement de copropriété, de même que la consistance des lots transitoires. Du reste, c’est précisément l’obligation mise en place par le législateur.

 

*Article publié sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engageant pas les rédactions des Informations Rapides de la Copropriété     


 

Christophe ParentChristophe Parent

 

 

Avez-vous un avis sur l’aspect obligatoire concernant le nouvel article 209-II ?

Le texte initial était très clair et établissait l’obligation. Je remarque, toutefois, que la version modifiée a établi un calendrier. C’est pourquoi, même si l'obligation ne figure plus stricto sensu, je pense qu’à court-terme, il y aura un impératif. D’ailleurs, le texte impose la même obligation au syndic de présenter la mise en conformité à chaque assemblée. Je pense donc qu’il ne faut pas perdre de temps.

 

Tout le monde s'est concentré sur l'obligation de la mise en conformité sans vraiment prendre de hauteur et se dire que cela pouvait être bénéfique. Qu’en pensez-vous ?

Quand vous présentez une résolution lors d’une Assemblée générale, votre seul argument ne peut consister à dire qu’il est obligatoire de le faire. Il y a un travail de pédagogie et d'information à mener à l’égard des copropriétaires. Il faut également faire valoir les objectifs du texte et valoriser l’action qui est menée.

 

Avez-vous déjà eu à vous confronter à des difficultés liées à l’absence de mise en conformité ?

L'année dernière, une copropriétaire vendait son appartement en rez-de-jardin. Elle était censée bénéficier d’un jardin privatif auquel on ne pouvait accéder que depuis son appartement, avec des terrasses bétonnées. Elle en assurait l'entretien et on ne pouvait pas accéder au terrain depuis l'extérieur. Toutefois, le règlement de copropriété n’indiquait nulle part l’existence de ce jardin en tant que jardin partie commune à usage privatif. Quand elle a vendu son bien, le notaire a signalé cette difficulté à l’acquéreur, qui a préféré annuler la vente.

 

A la parution de la Loi ELAN, quel process avez-vous mis en place et pourquoi ?

Quand le texte est paru, nous avons effectué une étude de marché pour trouver des partenaires. Nous avons tout de suite compris que cela dépassait aussi bien nos capacités matérielles que juridiques. Ni les géomètres, ni les notaires locaux, nos partenaires habituels, n’étaient en mesure de nous proposer une offre globale. Par ailleurs, au regard de la volumétrie de notre portefeuille (160 copropriétés), aucun n’était en mesure d’absorber cette charge de travail. Nous avons donc élargi nos investigations pour finir par trouver le partenaire adéquat qui offrait une compétence et une expertise globale du sujet.

 

Avez-vous systématisé l’audit de la documentation de tout votre portefeuille ? 

Nous  avons effectivement soumis tous nos règlements de copropriété (RCP) à l'audit systématique, afin de gagner une année d'Assemblée générale. En effet, pour que les copropriétaires sachent s'ils doivent voter ou pas la mise en conformité, il y a une obligation préalable d’étudier le RCP.

Nous avons par ailleurs fait œuvre de pédagogie vis-à-vis de nos copropriétaires par une campagne massive d’informations (courriers au conseil syndical et mention dans le compte-rendu de gestion en assemblée).

Ensuite, nous avons transmis les règlements de copropriété avec les grilles de répartition de charges qu’il était nécessaire d’officialiser. La démarche de recensement de ces dernières est d’ailleurs complexe. Pour s’adapter à la réalité des immeubles, nos prédécesseurs, ou nous-mêmes, avons parfois dû créer des clés de répartition qui n'ont pas toujours fait l'objet d'un modificatif publié.

 

Le fait que vous présentiez l'audit de manière systématique a-t-il été bien perçu par les copropriétaires ?

Seuls un ou deux conseils syndicaux s’en sont émus. Mais, une fois que l’audit nous est revenu avec la préconisation d’une mise en conformité, le sujet a été très bien accepté compte tenu des responsabilités en jeu.

 

Comment traitez-vous les copropriétés que vous récupérez en gestion ?

Même avec le nouveau texte, une copropriété qui rentre dans notre portefeuille, est intégrée systématiquement dans le circuit. Je ne voudrais pas qu’il nous soit reproché de ne pas nous en être préoccupés. Je sais que la responsabilité du syndic sera recherchée en cas de contentieux.

 

Avez-vous quelque chose à ajouter concernant la mise en conformité des règlements de copropriété ?

A mon sens, cette réforme est vertueuse en ce qui concerne la base documentaire rattachée à chaque propriété. En effet, on ne dispose pas toujours des documents officiels et complets.

Par ailleurs, un « toilettage » de nos clés de répartition s’est avéré nécessaire. Cette opération de nettoyage et d'actualisation a été très bénéfique.

Je souhaite finir par un exemple que j’ai vécu. Une copropriété dont j’ai la gestion a fait l’objet d’une procédure devant le tribunal. Un copropriétaire contestait la répartition des charges du ravalement sur le fondement du règlement de copropriété d'origine et il a gagné. Je viens d’organiser une AG spéciale pour faire voter l'appel de fonds et lui régler le prix de la condamnation. Il s’agit du cas typique d’un règlement de copropriété qui nécessitait une mise en conformité, car il n’était plus adapté à la configuration actuelle de l’immeuble.

 

*Article publié sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engageant pas les rédactions des Informations Rapides de la Copropriété     


 

Matthieu PoumerèdeMatthieu Poumarède

 

 

Le nouvel article 209-II est-il obligatoire ?

Les articles 209-II, comme 206-II, demeurent effectivement impératifs et conduisent à la nécessité d'inscrire à l'ordre du jour de chaque Assemblée générale (AG) la question de la mise en conformité des règlements de copropriété (RCP).

 

Cette mise en conformité doit-elle se faire au sens des dispositions de l'article 6.4 ?

Je pense que le rappel de l'article 6-4 dans le 1er alinéa du nouvel article 209-II peut être interprété dans ce sens-là. Je dirais que la volonté du législateur est d’être dans la continuité.

 

L’obligation avec l’ancienne mouture de l’article 209-II était très claire pour les syndics. Le nouvel article 209-II est moins coercitif, mais la contrainte est telle pour les syndics que l’on pourrait considérer qu’il s’agit d’une obligation déguisée ?

Je pense qu'il y a plusieurs niveaux d'analyse. Dans la première version de l'article 209-II, figurait clairement une obligation du syndicat de mettre en conformité le RCP dans un délai déterminé. Le fait qu'il n'y ait plus de délai et plus de conséquences automatiques, va rendre les choses peut-être un peu plus simples. Ceci permettra plus de discussions, ce qui est plutôt bénéfique.

Mais pèse néanmoins une contrainte très nette. Lors de chaque AG, il va falloir inscrire cette question à l'ordre du jour. On peut imaginer qu'il va être difficile de l’ignorer ou de la rejeter pendant encore des années.

 

Pourriez-vous expliquer ce que signifie « l'absence d'une telle mention dans le règlement de copropriété est sans conséquence sur l'existence de ces parties communes » ?

Le législateur a très clairement mis fin à la question de savoir ce qu’il se passerait s'il n'y avait pas de mise en conformité. Un droit qui existe, mais qui n'est pas mentionné expressément au sens de l'article 6.4 dans le Règlement de copropriété (RCP), continuera d'exister.

 

Comment applique-t-on dans le temps la suite de ces nouvelles dispositions ?

La succession des dates et des exigences - 25 novembre 2018, 23 février 2022 et 1er juillet 2022 – complique la compréhension. Ceci n’a pas grand sens et il faut assurer dans la pratique une continuité. A mon sens, en termes de conseil, il semble de bonne pratique de continuer à rédiger les règlements des immeubles mis en copropriété durant cette période intermédiaire au regard de l’article 6-4, avec les mentions des parties communes générales, spéciales, et à jouissance privative.

 

Si un litige naît a posteriori de ce manquement sur cette période-là, le juge va devoir juger et se mettre en l’état des textes en vigueur à cette même période ? 

Je considère que oui, sous réserve qu’un préjudice soit démontré.

 

Que se passera-t-il si un copropriétaire refuse de payer ses charges spéciales ou les conteste ?

On ne peut pas faire comme si, durant cette période, ces textes n’avaient jamais existé, notamment si un préjudice a pu être subi. Une action fondée sur les textes antérieurs pourrait être justifiée ; la nouvelle rédaction de l’article 209 II n’a pas fait table rase du passé.

 

Quelle méthode appliquer pour mettre en conformité le RCP ?

A partir du moment où on a extrait la sanction de l'inexistence, on est vraiment dans la pédagogie à l’égard des copropriétaires.

D’une manière ou d’une autre, un audit est toujours nécessaire. S’ensuit une inscription à l'ordre du jour par le syndic. A mon sens, dès lors que le droit existe, l’AG ne devrait pas pouvoir voter contre la mise en conformité, cela serait incohérent et ne ferait que repousser le sujet à la prochaine AG.

 

En se focalisant sur l’obligation des syndics, le caractère vertueux de ces dispositions législatives n’a-t-il pas été occulté ?

Je suis tout à fait d'accord sur l'idée que la question de l'inexistence des droits a crispé tout le monde. Cette disposition a ruiné l'idée d’origine qui était intéressante.

Je souhaite conclure en pointant un sujet d’importance : malgré les imperfections de rédaction qui émaillent ce texte, je pense que l’intention demeure quand même. Il ne faut pas tout remettre en question. La méthodologie mise en place de l’audit doit perdurer, c'est la démarche du bon professionnel. Par ailleurs, l'idée du législateur, telle qu'il l’exprime, reste d'atteindre à un moment donné la mise en conformité. J’invite donc l’ensemble des parties concernées à continuer à travailler avec les process déjà entamés. Pour ceux qui ne l'ont pas encore fait, il est nécessaire de continuer à leur prêcher cette bonne parole.     

 

*Article publié sous la responsabilité de leurs auteurs et n'engageant pas les rédactions des Informations Rapides de la Copropriété