[N°645] - Existe-t-il encore une vie privée en copropriété ? (1/2).

par Gilles ROUZET - Conseiller honoraire à la Cour de cassation
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Actes de la CNEC - Lyon 2018
Intervention lors du dernier congrès organisé par la Chambre Nationale des Experts en Copropriété sur l’évolution sociologique de la copropriété. Le texte de l’intervention prononcée en octobre dernier, a été mis à jour de façon à rendre sa présentation pertinente avec la loi promulguée le 23 novembre 2018. Le style oral a été conservé.

Telle que formulée, l’interrogation délimite en deux mots forts, riches de sens et de portée, tant le sujet à traiter que l’objectif poursuivi :  évaluer la protection de la «vie privée» dans cette communauté juridique courante mais particulière que constitue une «copropriété». Avec, dans sa formulation, l’expression d’un doute, que manifeste l’adverbe «encore», sur son évolution probable. C’est l’expression d’un sujet de préoccupation effectif, que l’avant-projet du groupe de travail GRECCO1 entend résoudre proposant selon l’article 17, alinéa 1er, de poser pour principe que «tout copropriétaire a droit au respect de sa vie privée».

1 - Groupe de RECherche sur la COpropriété (GRECCO), cf. veille juridique parue dans cette revue, novembre 2018, p. 8 et suivantes.

Qu’entend-t-on précisément par «vie privée» ?
En l’absence de définition légale, on se reportera à la synthèse que le Lexique des termes juridiques Dalloz fait de la casuistique jurisprudentielle. Selon cet ouvrage, l’expression «désigne l’appropriation, par chacun, des informations relatives à son existence. Elle renvoie, par opposition à la vie publique, à la sphère des activités de la personne qui relèvent de l’intimité et que chacun peut décider de préserver du regard d’autrui : vie sentimentale, mœurs, état de santé, pratique religieuse, loisirs, etc.». On peut comprendre dans cet «et cetera»  la vie familiale et sociale, les convictions philosophiques et politiques, mais aussi la situation économique d’un individu, même si ces dernières références demeurent étrangères au thème de la copropriété qui nous occupe.
Il convient parallèlement de laisser de côté tel ou tel frein qui ne relève pas d’une atteinte à la vie privée : contraintes pour éviter les troubles du voisinage liées à la vie en collectivité ou limitations à la liberté individuelle imposées par la destination de l’immeuble ou le règlement de copropriété. Ce sont là des restrictions liées à la personne (par ex. à la liberté de circulation) ou aux biens (destination de l’immeuble) qui n’affectent pas le droit à l’intimité des occupants.
    
De quelle protection bénéficie la «vie privée» aujourd’hui ?
Il n’existe pas de disposition propre à la copropriété, d’où la proposition du GRECCO, et relève du droit commun. Sommairement, il est envisageable de distinguer trois sources codifiées, en retenant de plus que sa protection a longtemps relevé de la seule jurisprudence :
- le Code civil, qui énonce en son article 9 - seulement depuis 1970 - que «chacun a droit au respect de sa vie privée» ;
- la Convention européenne des Droits de l’Homme qui affirme depuis 1953 à l’article 8, 1er alinéa, que «toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance» ;
- le Code pénal qui punit selon son article 226-1, dans sa formulation remontant à 1994, d’un an d’emprisonnement et 45 000 € d’amende, l’atteinte volontairement portée à l’intimité de la vie privée d’une personne en écoutant, en enregistrant ou en transmettant au moyen d’un procédé quelconque, sans son consentement, ses paroles prononcées à titre privé ou confidentiel, ainsi qu’en fixant ou en transmettant son image lorsqu’elle se trouve dans un lieu privé.

Une protection limitée aux personnes physiques.
Selon un arrêt de la première chambre civile de la Cour de cassation du 23 octobre 19902, «toute personne, quel que soit son rang, sa naissance, sa fortune, ses fonctions présentes ou à venir, a droit au respect de sa vie privée».
Toutefois, un autre arrêt de la même chambre de la Haute juridiction du 17 mars 20163 en a restreint les bénéficiaires en jugeant que «si les personnes morales disposent, notamment, d’un droit à la protection de leur nom, de leur domicile, de leurs correspondances et de leur réputation, seules les personnes physiques peuvent se prévaloir d’une atteinte [...].

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À suivre dans le n° 646