[CCED N°11] - L'entretien avec Vincent Gillibert, administrateur judiciaire

par YS
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«Le dessaisissement automatique du syndic en fonction m’apparaît contre-productif.»

Vincent Gillibert  est administrateur judiciaire à Marseille.
Il a été désigné pour le redressement des sept syndicats des copropriétaires de la résidence Corot (à lire en accès réservé).

© DR

 

Pouvez-vous nous éclairer sur les difficultés les plus fréquemment rencontrées dans les copropriétés dont vous avez l’administration provisoire ?

Il existe deux typologies de copropriétés : les grands ensembles urbains et les petites copropriétés d’immeubles anciens situés en centre-ville, mais parfois aussi en zone rurale.

Pour les grands ensembles, la dégradation de la copropriété a entamé un cercle vicieux depuis plusieurs années : les copropriétaires historiques voyant se dégrader leur environnement se sont séparés de leur bien immobilier au profit de nouveaux copropriétaires, non occupants, ayant d’abord une vision financière de leur investissement et dont l’implication dans le fonctionnement de la copropriété est plus faible (participation aux assemblées générales, règlement des charges, respect du règlement de copropriété). L’état de la copropriété continue de se dégrader avec pour conséquence le départ continu des copropriétaires occupants, une dévalorisation du foncier et une concentration importante d’une population souvent fragile socialement et incapable de faire face au paiement des charges.

Les difficultés économiques des grands ensembles se greffent sur d’autres difficultés tel qu’un tissu socio-économique en recul avec des commerces et des services fermés ou des problèmes d’insécurité. Seule une action concertée avec les pouvoirs publics et l’adhésion des copropriétaires et des occupants peut permettre un redressement. Une approche purement financière est vouée à l’échec.

Pour les petites copropriétés, souvent issues d’un immeuble de famille ou de rapport, la division ancienne a parfois été faite sans règlement de copropriété et sans syndic. C’est alors, en général, la nécessité de procéder à des travaux (après un sinistre ou un arrêté de péril) qui donne lieu à une mission d’administration provisoire avec des coûts nécessaires pour le redressement prohibitifs.

 

Quels rapports entretenez-vous avec les copropriétaires ?

Les copropriétaires sont enthousiastes, en espérant que l’administrateur provisoire va résoudre tous les problèmes et va régler directement tous les prestataires, mais perçoivent parfois mal le dessaisissement des pouvoirs de l’assemblée générale. Il y a donc un équilibre à trouver entre la communication et l’efficacité de l’administration.

Le constat est qu’un certain nombre de copropriétaires ignorent totalement leurs obligations en termes de règlement de charges et de fonctionnement de la copropriété, et découvrent une situation obérée de la copropriété, nonobstant les informations faites préalablement lors du compromis ou de la vente.

Il y a donc un travail de pédagogie à faire auprès des copropriétaires, tant sur le fonctionnement général et les comptes que sur notre mission, en faisant preuve de transparence.

Cette démarche se heurte néanmoins à la multiplicité des copropriétaires, chacun appréciant la situation au regard de ses propres intérêts, ainsi que la copropriété en tant que lieu de vie comprend également les locataires qui ne sont pas directement impliqués dans la vie sociale de la copropriété.

 

Quels sont, d’après vous, les axes d’amélioration du régime actuel de l’administration provisoire ?

J’identifie trois leviers. 

Tout d’abord, le dessaisissement automatique du syndic en fonction m’apparaît contre-productif. Ce dessaisissement de plein droit, sans possibilité d’appréciation par la juridiction des faits d’espèce, introduit une sorte de présomption de faute à l’égard du syndic en place. Ceci n’incite évidemment pas le syndic à demander de lui-même l’administration provisoire alors que les difficultés de la copropriété ne lui sont pas nécessairement imputables.

Il faudrait ainsi réfléchir, comme pour les procédures collectives, afin de prévoir une mission d’assistance auprès du syndic en fonction. Cela inciterait, je pense, les syndics à demander plus en amont l’administration provisoire et permettrait également d’assurer une continuité dans la connaissance de la copropriété, notamment dans la conservation des archives et la reprise de la comptabilité. 

L’administrateur judiciaire n’est pas un syndic qui constitue une profession bien distincte avec ses obligations et avec sa technicité propre.

L’administrateur judiciaire, fort de son mandat de justice, conserverait la possibilité de réaliser un certain nombre d’actes exorbitants du droit commun, avec ou sans autorisation du juge, comme c’est le cas habituellement.

Ensuite, les procédures en recouvrement de charges devraient pouvoir être facilitées et accélérées afin de faciliter le redressement financier de la copropriété et d’éviter de faire reposer le budget de la copropriété sur les seuls bons payeurs. Les contentieux en recouvrement de charges sont parfois extrêmement nombreux pour un résultat décevant.

Il faudrait prévoir une possibilité pour l’administrateur provisoire d’obtenir du juge ayant ouvert l’administration provisoire un titre exécutoire pour le recouvrement des charges et la consignation des versements des différentes aides au logement pour le copropriétaire bailleur défaillant dans le règlement des charges mais percevant directement les aides de son locataire.

Enfin, il faudrait également avoir une réflexion sur l’extension du gel des créances et la suspension des poursuites aux créances sociales et fiscales ainsi que sur l’opportunité de créer un fonds de garantie similaire à celui du FNGS pour les entreprises en difficultés. L’absence de trésorerie, conjuguée à des salaires impayés, conduisent les salariés de la copropriété (gardiens, cantonniers) dans des situations personnelles difficiles et ne permettent pas toujours à la copropriété de bénéficier du gel des créances.