[N°651] - L’immeuble neuf

par Gilles Frémont, directeur copropriété / président ANGC
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Je suis à l’heure au rendez-vous, concentré sur mon sujet, j’observe les coulures sur la façade tandis que les autres arrivent. Le promoteur a envoyé le jeune diplômé, le sous-traitant est venu en patron. Pour l’instant, je ne dis rien.
Timidement, on franchit le pas de la porte, je badge la grille et les halls sécurisés, on monte dans l’ascenseur, je repasse le badge, direction les sous-sols et les entrailles de l’immeuble, on traverse le sas d’isolement, on sort du labyrinthe. Le local poubelles est bondé de cartons.

Il pleut dans le parking, le chauffage ne marche pas. On m’a livré un immeuble neuf.

Je n’étais pas particulièrement emballé lorsqu’on m’a proposé cette nouvelle affaire. Pourtant la plaquette était belle, les arbres en photo étaient grands et verdoyants, les enfants jouaient au ballon, les balcons étaient bien rangés, c’était le printemps.

L’expertise dommages-ouvrage démarre. Sur le mur de la place 113 s’écoule un rideau d’eau. Synchronisés, on lève la tête. «Qu’y a-t-il au-dessus ?» demande l’expert. «Le jardin» répond le promoteur, «non, c’est le trottoir» reprend l’entreprise, «ce n’est pas le local vélos ?» finit le syndic. Je sens le torticolis. Personne n’a pris les plans, on se rabat sur le plan d’évacuation collé au mur, ça patauge. Désordre numéro 2, j’en ai déclaré dix dans le même courrier. On s’introduit dans la chaufferie et son cortège de tuyaux. Ça clignote de partout sur l’armoire de contrôle, un membre du conseil syndical intervient, ingénieur à la retraite, il sait tout et va nous le dire.

Le déjeuner approche, encore un appartement à voir. Un primo-accédant un peu soucieux nous ouvre la porte, chemise bleue bien repassée, ça me change de mamie et son peignoir. «Mon parquet gondole sous la fenêtre, mon assurance m’a dit de voir ça avec le syndic». Tiens donc. «Infiltration ?» demande l’expert, «ventilation», suggère l’entreprise, «mauvaise pose», conclut le syndic. Moi aussi je deviens expert, GPA, biennale et décennale.

13h30. On a fini, tout le monde est délivré sauf moi. «Je peux vous voir encore une seconde ?». Service après-vente, j’écoute. Mon copropriétaire novice me montre sa répartition de charges, je découvre le document en même temps que lui. Attention, séquence des chiffres et des lettres. Pédagogue, debout dans la cuisine et affamé, j’explique : trois lots, huit clés, vingt-quatre lignes, sept colonnes, le locatif à droite, la TVA encore à droite, l’avance de trésorerie dans l’encart en haut à gauche, le fonds travaux à l’opposé, un moins devant les provisions, un plus devant les charges (ça se complique), je l’achève avec ses index compteur dans l’interligne. Je le sens perplexe. Sans transition, il m’interpelle sur les canisses du balcon d’en face, le barbecue électrique et les étagères en plastique. Ce n’était pas sur la photo.

Le Règlement de copropriété est déjà bafoué, une copropriété est née.

 

Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriétéMembre de l'ANGC ? Abonnez-vous à la revue à un tarif préférentiel !
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