[N°648] - L’assemblée change son syndic

par Gilles Frémont
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Mon confrère attend patiemment dans le couloir pendant que je fais signer la feuille. J’observe les va-et-vient, les pouvoirs passent de main en main. La tension est palpable, ça s’agite en coulisses.

Dans la salle, l’ambiance est glaciale.

Ça faisait un petit moment que le conseil syndical ne me parlait plus. De nouvelles têtes venaient d’arriver, plutôt jeunes. Je sentais comme de la distance et paradoxalement de temps à autre une étrange bienveillance à mon égard. Il y avait ces petits non-dits qui précèdent la rupture, ce calme avant la tempête. Oui, les temps avaient changé, et on me reprochait aujourd’hui des choses pour lesquelles on ne me blâmait pas hier : un mail auquel je n’aurais pas répondu, une entreprise en retard, un devis élevé. Je ne m’étais pas trompé. Une fois passé le moment de crispation où l’on reçoit au courrier recommandé la pilule amère du contrat de syndic, accompagné d’une lettre type qu’on leur avait donné (sans mention des griefs), je n’avais pas eu d’autres choix que de rédiger moi-même et à contre-cœur la résolution de mon concurrent, la résolution qui scellerait peut-être la fin de l’histoire, l’immédiate révocation. La loi est dure, mais c’est la loi, alors je rédigeais.

La séance démarre, et après le feu de questions nourri sur les comptes, les valses-hésitations sur le quitus et le grand débat sur le seuil de mise en concurrence, advient l’irrépressible moment de vérité, le vote à main levée, obligatoire, sans échappatoire ni ambiguïté. A cet instant dans ma tête, je repassais en boucle les répliques préparées pendant la nuit. «S’il me dit ça, je lui réponds ça», et que vais-je répondre à l’incontournable «Ce n’est pas contre vous» ? J’avais tenté de me convaincre : «Ne te justifie pas, prend de la hauteur, dis-toi juste que c’est un de perdu, que c’est eux qui te regretteront, qu’au moins tu rentreras plus tôt ce soir». A la fin du film, j’avais même imaginé ma sortie, pleine d’élégance, comme on tire sa révérence.

Mais peut-être que l’assemblée allait ce jour-là me réserver un de ses coups de théâtre ? Peut-être, allais-je vivre un de ses coups d’éclat délicieux que seules les folles soirées de la copropriété savent vous offrir ? Oui, peut-être que la majorité allait finalement me reconduire et renverser le conseil, anéanti et crûment destitué de ses fonctions ? Mon collègue m’avait tapé sur l’épaule avant de partir, et le boss m’avait dit «ne t’en fais pas». La sacoche était lourde sur le chemin.

Au bout de deux heures de confinement, mon confrère presque déshydraté entre en scène, il se présente, je sors à mon tour, j’attends, il revient, je suis de retour. Le manège s’arrête, il est temps de passer au vote. L’adrénaline est montée, déterminé et presque sûr de moi, les bras sur la table et la voix claire, je prononce enfin : «Résolution numéro huit, désignation du syndic». Faites vos jeux !

Chronique assurée et rédigée par l’Association nationale des gestionnaires de copropriétéMembre de l'ANGC ? Abonnez-vous à la revue à un tarif préférentiel !
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