Regards croisés : La surélévation

par YS
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«Pour la majorité des copropriétaires, la surélévation ne présente que des avantages»

Encouragée par les pouvoirs publics à l’occasion du plan France-relance, facilitée par les dispositions de la loi ALUR, assouplie par l’abaissement des majorités de l’ordonnance ELAN, la surélévation des immeubles en copropriété devient un sujet de discussions lors des assemblées générales des copropriétés des grandes métropoles françaises.

Nous avons interrogé plusieurs professionnels familiers de ces opérations d’envergure pour cerner les enjeux économiques, énergétiques, et juridiques de l’extension des bâtiments. Ils nous livrent leurs conseils pour mener à bien un tel projet. (YS)

Véronique Bacot-Réaume (V.B.-R.), ancien dirigeant d’un cabinet d’administration de biens, expert judiciaire, agréé par la Cour de cassation ;

Colette Chazelle (C.C.), avocat au barreau de Lyon, spécialiste du droit immobilier et plus particulièrement du droit de la copropriété ;

Alain Huck (A.H.), géomètre-expert associé installé en région parisienne, président de la commission Formation de l’Ordre des géomètres-experts ;

Agnès Lebatteux-Simon (A.L.-S.), avocat au barreau de Paris, spécialiste du droit immobilier et notamment du droit de la copropriété.

Colette Chazelle, Véronique Bacot-Réaume, Alain Huck et Agnès Lebatteux-Simon

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 669 de juin 2021

À lire également l'entretien avec Didier Mignery, architecte


Quels sont les avantages de la surélévation dans les immeubles en copropriété ?

Véronique Bacot-RéaumeLes modifications de la législation, en abaissant les règles de majorité, ont eu pour incidence de rendre actuel le sujet de la surélévation.

Les raisons pour lesquelles la surélévation a le vent en poupe sont mixtes. D’une part, le foncier en zone urbaine est quasiment inexistant ; d’autre part, certaines copropriétés ont de réels besoins de travaux mais les copropriétaires n’ont pas les moyens de les financer.

L’intérêt de la surélévation réside dans le fait qu’il est quasiment tout le temps nécessaire d’intervenir sur les façades et la toiture. Elle permet alors de mettre en œuvre techniquement et fiscalement les mesures relatives aux économies d’énergie.

Pour la majorité des copropriétaires, la surélévation ne présente que des avantages puisque le coût des travaux relatifs aux parties communes pourra être neutre, la qualité énergétique de l’immeuble sera améliorée et le montant des charges sera réduit du fait de la création de nouveaux lots.

La surélévation a souvent pour conséquence la création d’un ascenseur dans l’immeuble, ce qui est bien accueilli par les occupants.

 


Selon quelles procédures est adoptée la décision de surélever en copropriété ?

Colette ChazelleLa surélévation présente plusieurs spécificités lorsqu’elle est réalisée au sein d’un immeuble soumis au régime de la copropriété.

Généralement définie comme un exhaussement de la ligne de faîtage du toit, elle engendre la création de lots de copropriété, à partir de l’exercice d’un droit accessoire sur les parties communes, le droit de surélever tel que défini par l’article 3 de la loi du 10 juillet 1965.

Si le syndicat des copropriétaires est porteur de ce projet, il est alors maître de l’ouvrage et crée de nouveaux lots qu’il peut ensuite céder.

L’opération de surélévation peut également être réalisée par un copropriétaire ou par une personne tierce, lesquels doivent acquérir auprès du syndicat des copropriétaires le droit de surélever.

La loi ALUR du 24 mars 2014 est venue faciliter considérablement l’exercice du droit de surélever en remplaçant l’obligation de recourir à un vote de l’assemblée générale des copropriétaires à l’unanimité par un vote à la majorité de l’article 26 de la loi du 10 juillet 1965, tout en créant des droits de priorité pour les copropriétaires de l’étage supérieur du bâtiment à surélever.

Les décisions peuvent être prises à la majorité de l’article 25 si l’immeuble se situe dans un périmètre de droit de préemption urbain.

La modification de l’article 25-1 de la loi du 10 juillet 1965 et la création de l’article 26-1 de ladite loi font que, lorsque les conditions de ces «articles-passerelle» sont réunies, les décisions de surélévation peuvent même être adoptées respectivement aux majorités des articles 24 et 25, ce qui représente un abaissement considérable des majorités.

Le syndicat des copropriétaires est amené à prendre toute une série de décisions par voie de résolutions et, le plus souvent, à l’occasion d’assemblées générales successives au gré de la progression du projet.

Il y a nécessité de faire procéder préalablement à une étude de faisabilité juridique pour analyser l’état descriptif de division et le règlement de copropriété, en fonction du projet envisagé, et prévoir les modifications de ces actes.

En effet, des lots transitoires constitués du droit de surélever et d’une quote-part de parties communes sont créés dans le cadre d’un modificatif de l’état descriptif de division, ce qui implique bien sûr une modification subséquente de la clause de répartition des charges dans le règlement de copropriété.

Les résolutions doivent permettre l’approbation de ces modifications, du projet de surélévation et la cession des lots transitoires lorsque l’opération est réalisée par un copropriétaire ou une personne tierce.

Le syndicat des copropriétaires va recevoir le prix de cette cession et pourra le cas échéant envisager de l’employer à des travaux de rénovation énergétique ou de création d’un ascenseur, ce qui est ainsi l’occasion pour les copropriétaires d’améliorer considérablement leur immeuble, grâce à des fonds auxquels ils ne s’attendaient pas forcément.

 


Quel est le rôle du géomètre-expert dans un projet de surélévation ?

Alain Huck Le géomètre-expert va ,comme à l’accoutumée, intervenir à différents stades du projet de surélévation. Tout d’abord par un relevé de l’existant, voire à travers la production d’une maquette BIM, il va permettre à l’architecte de faire une étude sérieuse sur la base de documents précis. Il va pouvoir également intervenir lors de la production du dossier de demande d’autorisation d’urbanisme, en certifiant les surfaces administratives, en vérifiant le respect des prospects réglementaires et éventuellement en préparant les documents nécessaires au rachat de mitoyenneté et/ou à la création des servitudes de droit privé rendues nécessaires par le projet. Son devoir de conseil l’obligera à avoir un regard sur les aspects connexes du projet, notamment pour la prévention et l’estimation d’éventuels troubles anormaux de voisinage (perte de jours de souffrance, perte d’ensoleillement, ...). Surtout, il préparera les documents relatifs à la modification du règlement de copropriété, préalablement au vote du projet en assemblée générale, documents qui détermineront les nouvelles parties communes issues de la surélévation (toiture, circulations horizontales et verticales, équipements, ...) et les droits des nouveaux copropriétaires (description et définition des limites des nouveaux lots de copropriété). Ces documents serviront ensuite de base au notaire pour rédiger les actes authentiques nécessaires (modificatif du règlement de copropriété et ventes des nouveaux lots privatifs).

 


Quels sont les points juridiques à surveiller pour engager une surélévation ?

Agnès Lebatteux-SimonLes points à surveiller sont multiples et dépendent du stade de l’opération. Ces vérifications juridiques ne sont pas moins importantes que les vérifications techniques, car elles sont tout autant susceptibles de faire avorter le projet qu’une problématique de structure.

Au stade de la faisabilité, il faut s’assurer avant tout de la compatibilité du projet avec les règles du PLU applicables. Pour ce qui concerne le droit de l’urbanisme, il n’existe plus de COS, donc plus de limitation du nombre de mètres carrés constructibles par parcelle, mais la règle a été remplacée par une combinaison de facteurs limitants (gabarit, prospect), dont l’interprétation n’est pas toujours simple. A titre d’exemple, la largeur de la voie peut limiter directement la hauteur réalisable au titre de la surélévation. Il faut également vérifier la compatibilité de l’affectation des lots à construire avec le PLU, mais également avec la destination de l’immeuble. Ces points peuvent être limitants pour créer des surélévations de type «habitation» au-dessus d’un immeuble de bureaux.  Sur le plan du droit privé, il est impératif de s’assurer précocement des servitudes qui pourraient empêcher le projet, telles que des servitudes de vue, des servitudes non altius tollendi, voire l’inscription de l’immeuble dans un volume limité en hauteur ou l’existence de cahiers des charges dans le périmètre des lotissements. La recherche de ces servitudes est délicate, car elle suppose une recherche documenaire (acte notarié), mais aussi l’examen de l’implantation de l’immeuble (notamment pour le respect des jours et des vues). L’assistance de professionnels, géomètre expert et architecte, est indispensable.

Au stade du vote de la décision de cession du droit de surélever, les copropriétaires doivent s’assurer que le «lot transitoire» est suffisamment défini quant aux constructions qu’il permettra de réaliser, et que les travaux impactant les parties communes sont suffisamment décrits. Le syndicat devra aussi s’assurer que l’acquéreur, promoteur ou particulier, souscrira ou fera souscrire par les entreprises toutes les assurances nécessaires, et en particulier, une assurance pour les éventuels dommages aux existants, et justifiera de l’obtention du permis de construire avant le commencement des travaux.

Par ailleurs, de nombreuses décisions sont induites par la décision de surélévation, et il faut veiller à n’en omettre aucune, sous peine de créer une source de contentieux à l’avenir. Il faudra notamment penser à l’impact des travaux réalisés sur la répartition des charges, notamment en cas de prolongation de l’ascenseur. Il faudra également penser à indemniser le propriétaire du dernier étage si son appartement connait une perte définitive de valeur ou un trouble de jouissance grave, même s’il est temporaire. Or, cette indemnité est à la charge du syndicat des copropriétaires, si l’assemblée générale ne pense pas à exiger la garantie du constructeur de la surélévation.

Enfin, une fois la décision de cession prise par le syndicat des copropriétaires, il faudra veiller à purger les droits de préemption avant de signer l’acte authentique de vente. Le syndic, en particulier, doit purger le droit de «priorité» du propriétaire situé immédiatement sous la surélévation. Le notaire devra veiller à purger le droit de préemption urbain lorsqu’il s’applique.

 


Quelles peuvent être les conséquences de la surélévation sur les charges ?

Alain Huck Qui parle de surélévation en copropriété, sous-entend forcément création de nouveaux lots privatifs, par aliénation des parties communes générales. Alors oui, tout projet de surélévation a un impact direct sur les charges mais aussi, ne l’oublions pas, un effet certain sur les quotes-parts de parties communes générales et, pour les copropriétés de plusieurs bâtiments, sur les quotes-parts de parties communes spéciales du ou des bâtiments destinés à être surélevés. En effet, la création de nouveaux lots privatifs sous-entend forcément une augmentation du dénominateur des quotes-parts de propriété des parties communes et donc une dissolution, même minime, de la propriété des parties communes générales -voire spéciales le cas échéant- pour l’ensemble des copropriétaires. En corrélation avec les quotes-parts de parties communes, les charges générales, et éventuellement les charges de bâtiment, vont de fait baisser pour l’ensemble des copropriétaires, par le même mécanisme. Enfin les charges d’équipement -notamment celles d’escalier et d’ascenseur- baisseront, suivant les termes de l’article 10 de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965, en fonction de l’utilité objective que ces services et éléments présentent à l’égard de chaque lot issu de la surélévation.

 

 


Quels sont les freins les plus fréquents ?

Véronique Bacot-RéaumeLe premier frein vient des copropriétaires du dernier étage. Antérieurement il était nécessaire d’avoir l’accord unanime des tous les copropriétaires du dernier étage ce qui n’est plus le cas actuellement. Il est évident que ces derniers feront cependant barrage car s’ils avaient acquis un bien au dernier étage, cela résultait souvent du souhait de ne pas avoir de voisins au-dessus.

Le deuxième frein vient des inquiétudes techniques concernant la solidité de l’immeuble et l’incidence de la surélévation. L’intervention d’un ingénieur structure et d’un architecte sont incontournables lorsqu’un projet de surélévation est envisagé.

Il existe un autre frein moins perçu par les copropriétaires mais qui doit l’être par les syndics. La personne qui va acquérir le lot représentant les surfaces à construire doit apporter toutes les garanties permettant aux copropriétaires d’être certains que l’opération sera bien finalisée et tous les travaux réalisés.

On assiste parfois à des situations dans lesquelles les copropriétaires ont négocié avec un tiers le prix des lots à construire à un montant qui économiquement ne permet pas à l’acheteur de réaliser son projet dans un bilan promoteur crédible. De ce fait, l’acquéreur abandonne le chantier en cours et la copropriété peut se retrouver dans une situation assez désastreuse.

Ce frein peut être largement réduit si le montant du droit de surélever est calculé en étant réaliste et en intégrant tous les risques et surcoûts relatifs à une surélévation. La charge foncière au m² est supérieure dans le cadre d’une surélévation à la charge foncière dans un programme de constructions neuves.

Enfin, il existe aussi un frein lié à l’appréhension des troubles que la surélévation peut engendrés. Ces troubles peuvent exister au niveau des copropriétaires du dernier étage mais aussi des tiers.

Si la surélévation génère une perte d’ensoleillement pour les immeubles voisins, le syndicat risque de devoir gérer une demande d’indemnisation qu’il est difficile de cerner.

On comprend que tous ces freins peuvent être jugulés mais qu’un projet de surélévation est complexe et demande que le syndicat des copropriétaires et le syndic soient bien accompagnés. 


Fiscalité de la cession de droits de surélévation

La cession d’un droit de surélévation par un copropriétaire en faveur du syndicat des copropriétaires - ou inversement - est susceptible de générer une plus-value taxable ; cette opération est également assujettie aux droits de mutation.

Impôt de plus-value.- Un syndicat des copropriétaires étant fiscalement transparent, ses membres sont imposés personnellement au titre des revenus qu’il perçoit et des plus-values réalisées.

Lorsque le cédant est une personne physique, la plus-value suit le régime des plus-values immobilières des particuliers. Mais l’article 150 U, II-9° du CGI exonère les plus-values de cession d’un droit de surélévation réalisées par les particuliers en vue de la réalisation de locaux destinés à l’habitation. Le bénéfice de cette exonération est subordonné à la condition que la personne cessionnaire s’engage à achever les locaux exclusivement destinés à l’habitation dans un délai de quatre ans à compter de la date de l’acquisition. En cas de non-respect de cet engagement par la personne cessionnaire, celle-ci se voit appliquer une amende d’un montant égal à 25 % de la valeur de cession du droit de surélévation.

Institué il y a dix ans pour favoriser la réalisation de logements dans les zones où leur construction est limitée par la faiblesse de l’espace foncier disponible, ce régime temporaire d’exonération a été prorogé à plusieurs reprises, dernièrement par la loi de finances pour 2021 et ce jusqu’au 31 décembre 2022. Le cédant peut toutefois bénéficier, le cas échéant, des autres possibilités d’exonération de droit commun prévues par le régime des plus-values immobilières des particuliers, notamment lorsque le prix de cession n’excède pas 15 000 € (CGI art. 150 U II-6°) : ce plafond s’appréciant par quote-part divise détenue en pleine propriété, cette exonération pourra donc avoir particulièrement vocation à s’appliquer quand la cession est réalisée par plusieurs copropriétaires.

Lorsque le cédant est une entreprise, la plus-value est taxée selon le régime des plus-values professionnelles. Une possibilité d’exonération temporaire (pour les entreprises à l’IR ou à l’IS) a été instaurée entre 2012 et 2017, aujourd’hui disparue.

• Droits de mutation.- la cession d’un droit de surélévation peut être soumise à la TVA suivant le régime de l’immeuble auquel il s’applique. Passibles ou non de cette taxe, les livraisons d’immeubles entrent dans le champ d’application du droit de vente, celui-ci s’appliquant au taux réduit lorsque la mutation est soumise à la TVA (Bruno Pays, Professeur affilié à Paris School of Business).


Un moyen d’isoler les toits facilité par la loi ALUR

Tout syndicat des copropriétaires ou copropriétaire du dernier étage souhaitant agrandir son appartement peut décider d’engager des travaux de surélévation. La loi ALUR facilite la mise en œuvre de la surélévation afin de favoriser la construction de nouveaux logements en zone urbaine. Cette extension isole la toiture-terrasse sur laquelle va prendre place la surélévation et, donc, limite les déperditions thermiques.

Concrètement, la loi ALUR a supprimé le coefficient d’occupation des sols (COS, inclus dans les règlements des plans locaux d’urbanisme) qui restreignait fortement les possibilités en la matière. Elle a aussi abaissé les règles de majorité, à l’article 26 contre unanimité auparavant, pour approuver les surélévations. En outre, le droit de veto des propriétaires du dernier étage a été supprimé au profit de nouveaux droits.

Si c’est le syndicat qui réalise la surélévation, les copropriétaires du dernier étage bénéficient d’un droit prioritaire pour acheter les nouveaux logements.

A l’inverse, si le syndicat cède le droit à construire à un tiers, les copropriétaires de l’étage supérieur du bâtiment surélevé bénéficient d’un droit de priorité lors de la cession par le syndicat de son droit de surélévation. Étant entendu que le titulaire du droit à construire est ensuite libre de vendre les lots à sa convenance.

Attention toutefois : une fois l’accord obtenu en assemblée générale, une étude de faisabilité doit prendre en compte les règles d’urbanisme et la faisabilité financière. Et mieux vaut conditionner toute promesse de vente à l’obtention d’un permis de construire définitif et à l’absence de recours et de retraits administratifs, tels qu’un droit de préemption.

(Paul Turenne, rédacteur juridique)


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