Notaires et réforme ELAN

par YS
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Notaires et réforme ELAN

3 questions à Sébastien MAURETTE, Sylvie BOUCHET et Eliane FREMEAUX


La loi ELAN du 23 novembre 2018 a permis la mise en conformité des dispositions des règlements de copropriété relatives aux parties communes spéciales ou à jouissance privative à la majorité simple de l’article 24. A

Avez-vous rencontré des difficultés pratiques dans la mise en œuvre de ce mécanisme ?

 

Sébastien MauretteSébastien Maurette :

«Ce mécanisme ne présente aucune difficulté, sauf que je constate qu’à ce jour trop peu de syndicat des copropriétaires ont adopté cette mise en conformité qui a été largement simplifiée par la loi ELAN en prévoyant une majorité de l’article 24. Les syndicats ont jusqu’au 24 novembre 2021 pour cette mise en conformité, ce qui laisse encore un peu de temps.»

 

Sylvie BouchetSylvie Bouchet :

«Les parties communes spéciales ne bénéficient pas à tous les copropriétaires. Les charges spéciales et les frais d’entretien ne sont donc pas imposés à tous. L’ambition de la loi ELAN est de «redéfinir le champ d’application et adapter les dispositions de la loi n° 65-557 du 10 juillet 1965 fixant le statut de la copropriété des immeubles bâtis au regard des caractéristiques des immeubles, de leur destination et de la taille de la copropriété (…), clarifier, moderniser, simplifier et adapter les règles d’organisation et de gouvernance de la copropriété» (article 215).

Dans la pratique notariale les parties communes spéciales sont toujours source de débat : chacun des copropriétaires les trouvant injustement calculées ! En leur donnant une consécration légale, on rappelle également que les parties communes spéciales engendrent obligatoirement la création de tantièmes de charges spéciales «à chacune d’entre elles».

 

Eliane FremeauxEliane Frémeaux :

«Les difficultés pratiques ne manquent pas alors même que l’on constate une certaine inertie dans la mise en œuvre. Peu de copropriétaires sont informés de l’obligation qui peut s’imposer au syndicat des copropriétaires de mettre, avant le 23 novembre 2021, le règlement de copropriété en conformité des dispositions de l’article 6-4. Cette méconnaissance peut se comprendre dans la mesure où la situation sanitaire a conduit à un décalage de la plupart des assemblées annuelles. C’est au sein des assemblées générales que l’information doit être donnée par le syndic sur une mise en conformité, si elle est nécessaire, et ses modalités. Cela suppose une bonne connaissance de l’immeuble et un travail préparatoire pour formuler un diagnostic afin de mobiliser l’attention des copropriétaires concernés et les inciter à se manifester. La crise sanitaire a conduit la plupart des syndics à différer ces travaux préparatoires.

Ainsi pour satisfaire au texte, certains syndics mettent à l’ordre du jour de l’assemblée la mise en conformité du règlement et se font autoriser à missionner un «professionnel de la spécialité» pour apprécier les modifications à apporter au règlement de copropriété et aussi les frais à engager. C’est dans une seconde assemblée que se concrétisera, si elle s’avère nécessaire, la mise en conformité.

A ce jour, peu de notaires sont effectivement saisis en vue de préparer un modificatif du règlement de copropriété. C’est à l’occasion des ventes qu’ils constatent des situations susceptibles de donner lieu à cette mise en conformité. Ils doivent alors attirer l’attention des parties et interroger le syndic sur son action.

Aux difficultés liées à la détermination des cas de mise en conformité s’ajoutent des incertitudes sur l’ampleur des modifications à apporter au règlement de copropriété.

L’article 6-4 subordonne l’existence même des parties communes spéciales et de celles à jouissance privative à leur mention expresse dans le règlement de copropriété ; or, il est fréquent que les parties communes spéciales créées souvent au fil du temps, soient mentionnées non pas dans le règlement de copropriété mais dans l’état descriptif de division ou un modificatif de celui-ci. La mise en conformité du règlement de copropriété consistera donc à réintégrer dans le règlement de copropriété les parties communes spéciales. Mais à s’en tenir là, on satisfera bien à l’article 6-4 mais peut-être pas à l’article 6-2, 2è alinéa de la loi du 10 juillet 1965 qui dispose que «la création des parties communes spéciales est indissociable de l’établissement de charges spéciales à chacune d’entre elles». Il faudra donc vérifier si cette répartition de charges existe bien et, en son absence procéder à l’établissement d’une grille de charges spéciales. La question se pose alors de la majorité nécessaire pour procéder à cette répartition : unanimité ou doit-on considérer que ces charges spéciales sont l’accessoire de ces parties communes spéciales et utiliser la majorité de l’article 24 prévue pour la mise en conformité ? La logique voudrait que cette dernièresolution soit la bonne partant de l’indissociabilité retenue par le législateur.

Autre incertitude soulignée par la doctrine : certains règlements de copropriété concernant des ensembles comprenant plusieurs bâtiments et en l’absence de syndicats secondaires prévoient une spécialisation des charges communes générales afférentes à certaines parties d’immeuble (halls, escaliers, ascenseurs…) non érigées en parties communes spéciales. Cette spécialisation a été admise par la jurisprudence sur le fondement de l’ancien III de l’article 24 qui laissait la possibilité de mettre «à la charge de certains copropriétaires seulement les dépenses d’entretien d’une partie de l’immeuble». La suppression de cette référence conduit à s’interroger sur la possibilité de maintenir ces clauses de spécialisation en l’absence de parties communes spéciales. Certains commentateurs considèrent que «les dispositions de la loi ELAN relatives aux rapports entre parties communes spéciales et charges spéciales ne portent pas atteinte à la possibilité, à certaines conditions, de spécialiser certaines charges alors même qu’il n’existe pas de parties communes spéciales, possibilité reconnue en jurisprudence». Il serait souhaitable que soit confirmée cette interprétation pour les règlements de copropriété établis avant 2018.

S’agissant des parties communes à jouissance privative, leur existence doit être intégrée dans le règlement de copropriété alors même qu’elle peut résulter de l’état descriptif de division ou d’un procès-verbal d’assemblée générale. Elle peut aussi résulter de la prescription acquisitive d’un droit de jouissance privatif sur les parties communes par un copropriétaire.

Le temps court et on peut déjà prévoir que peu de règlements de copropriété seront au 23 novembre 2021 mis en conformité. Aucune sanction n’est prévue par le législateur dans l’hypothèse où la mise en conformité ne serait pas réalisée dans le délai mais la sanction est édictée par l’article 6-4 : l’inexistence des parties communes spéciales et des droits de jouissance privative et la disposition est d’ordre public. Comment admettre qu’un copropriétaire soit ainsi privé de ses droits ou de la privation de son droit de jouissance en l’absence de mise en conformité du règlement de copropriété ? La question est ouverte et ce sera aux tribunaux de trancher car il est peu probable que les copropriétaires acceptent de perdre leurs droits.

Les difficultés de la mise en œuvre, le risque de remise en cause de droits acquis et les conséquences qui s’en suivront notamment pour les mutations, conduisent à souhaiter une prorogation du délai prévu largement entamé par la crise sanitaire.»


La loi de 2018 et l’ordonnance du 30 octobre 2019 consacrent et éclaircissent la notion de lot transitoire.

Quel est l’impact de ces mesures sur la pratique rédactionnelle des notaires ?

 

Sébastien Maurette

Sébastien Maurette :

«Il s’agit d’un très bel outil juridique inséré à l’article 1er de la loi du 10 juillet 1965 permettant d’anticiper une construction future en déterminant, dès l’établissement du règlement de copropriété, le gabarit de la construction à venir, de telle manière que le propriétaire de ce lot transitoire n’aura pas à convoquer une assemblée générale des copropriétaires statuant à la majorité de l’article 25 b) de la loi de 1965 pour l’autoriser à réaliser lesdits travaux portant nécessairement sur l’aspect extérieur de la copropriété.

Pour autant, la rédaction de la définition du lot transitoire nécessite de connaître suffisamment la consistance de ce droit à construire en le définissant par exemple de la manière suivante :

«Ce lot est constitué :

- du droit d’utiliser une superficie de +++ mètres carrés au sol, telle que désignée au plan sous teinte +++, correspondant à l’emplacement et à l’emprise d’un demi-chalet en duplex avec balcons à édifier sur la dalle des parkings des lots +++ ;

- du droit de construire à l’emplacement ci-dessus défini un demi-chalet en duplex de +++ sur les deux niveaux, dont le gabarit est également défini au plan annexé (à voir pour une côte NGF).

(Avec les tantièmes généraux).

(Et les tantièmes spéciaux).»

La définition du lot transitoire dans un règlement de copropriété sera prévue à la majorité de l’article 24, s’agissant d’une adaptation du règlement de copropriété rendue possible par les dispositions législatives. Pour autant, la création d’un lot transitoire nécessairement extrait des parties communes, va nécessiter la majorité de l’Article 26.

Et, dès lors que les travaux seront réalisés, ce lot transitoire aura vocation à disparaître et il faudra alors modifier l’affectation du lot et les tantièmes généraux y attachés. S’agissant de la modification des charges générales de l’alinéa 2 de l’article 10 de la loi du 10 juillet 1965, cela nécessitera l’unanimité. Ainsi, il est préférable de prévoir, dès la création du lot transitoire, une définition du lot définitif comportant en partie privative la désignation du lot après réalisation des travaux et les tantièmes généraux calculés selon les coefficients de pondération du règlement de copropriété. En prévoyant par avance ce lot définitif, il sera possible de rester sur la même majorité de l’article 26 en évitant ainsi l’unanimité pour la modification des tantièmes généraux : «lorsque des travaux ou des actes d’acquisition ou de disposition sont décidés par l’assemblée générale statuant à la majorité exigée par la loi, la modification de la répartition des charges ainsi rendue nécessaire peut être décidée par l’assemblée générale statuant à la même majorité» (article 11 de la loi du 10 juillet 1965).»

 

Eliane Fremeaux

Eliane Frémeaux :

«Les notaires se sont beaucoup penchés sur le lot transitoire et avaient déjà fait évoluer en pratique, sa consistance. L’article 1. I, alinéa 2, de loi de 65 est désormais le guide ; la «consistance du lot transitoire» résulte de l’addition de «la partie privative constituée d’un droit de construire précisément défini quant aux constructions qu’il permet de réaliser et d’une quote-part de parties communes correspondante». En pratique, il convient de déterminer la consistance des deux éléments. D’une part, la partie privative constituée du droit de construire «précisément défini» : ce qui conduit à s’interroger sur le degré de précision à donner aux constructions. Le problème est de trouver la bonne mesure. Il peut être suggéré d’indiquer les caractéristiques suivantes : l’enveloppe et le périmètre dans lequel doit s’inscrire la construction ; le nombre de bâtiments, la surface de plancher maximale.

D’autre part, la quote-part de parties communes «correspondante» : cette rédaction vise à éviter que soit attribuée au lot transitoire, une quote-part de parties communes sans rapport avec l’importance des droits de construire. La quote-part de parties communes affectée au lot transitoire doit être calculée au regard de la définition des constructions qu’il est permis de réaliser, et en application des mêmes critères de calcul retenus pour les autres lots, ces critères étant ceux énoncés par l’article 5 de la loi du 10 juillet 1965.

Il existe indiscutablement des difficultés rédactionnelles liées à ces contraintes mais il me semble que celles-ci s’imposaient déjà au regard des obligations pesant sur le vendeur et découlant de diverses législations. Le promoteur qui entend réaliser par tranches un programme immobilier, doit savoir qu’il est tenu par la définition de son droit de construire et que son espace de liberté est limité. S’il entend faire évoluer la construction définie, il peut être tenu pour exercer son droit de construire, de requérir l’autorisation de l’assemblée générale à la majorité de l’article 25 b). Le lot transitoire n’a jamais constitué un blanc-seing donné au promoteur.

Le lot transitoire est une création de la pratique pour répondre à des situations liées souvent à une période de crise. Sa construction juridique a évolué avec la jurisprudence, la loi ELAN l’a consacré et cadré. Laissons les praticiens trouvé la juste mesure, rappelons aux promoteurs les contraintes liées au lot transitoire et n’annonçons pas que le lot transitoire a perdu une grande partie de son utilité.»

 

Sylvie Bouchet

Sylvie Bouchet :

«La jurisprudence avait consacré la pratique du lot transitoire en lui donnant la définition suivante «un lot privatif composé pour sa partie privative du droit exclusif d’utiliser le sol pour édifier une construction et d’une quote-part de parties communes».

La loi élan consacre cette pratique (et cette définition) en lui donnant la précision souhaitable que désormais les constructions envisagées doivent être précisément définies. En effet, comment définir (de façon juste) les tantièmes de chacun si la future construction n’est pas précisément envisagée ? Il appartiendra donc au notaire de veiller à cette exigence de précision, a minima par référence au dossier de permis de construire. De la même manière, le texte renvoyant au règlement de copropriété et non à l’état descriptif de division, il sera de bonne pratique de mentionner ce lot dans l’EDD également.»


L’ordonnance de 2019 permet à certaines copropriétés dépourvues de lots à usage d’habitation de ne pas être soumises au statut de la loi de 1965.

Quels choix s’offrent alors au praticien comme aux copropriétaires ?

Eliane Fremeaux

Eliane Frémeaux :

«Il faut saluer les perspectives qu’offrent la réforme. Si l’immeuble ne comprend aucun lot à usage d’habitation, le choix est ouvert. Les propriétaires peuvent opter pour le régime de la copropriété ou écarter le statut, même en cas de division par lots, la formule de division n’imposant plus la formule de gestion de la loi de 1965. Pour déroger au statut de la copropriété, les propriétaires doivent adopter «une convention y dérogeant expressément et mettant en place une organisation dotée de la personnalité morale et suffisamment structurée pour assurer la gestion de leurs éléments et services communs». La gestion de l’immeuble suppose la mise en place d’une ASL ou une AFUL mais on peut imaginer d’autres formes d’organisations dotées de la personnalité morale.

Pour les copropriétés existantes en l’absence de tous lots d’habitation, les copropriétaires pourront recourir à la dérogation prévue mais par une décision unanime des copropriétaires ce qui sera difficile à obtenir. Le recours à la scission dans les conditions prévues sous l’article 28 peut aussi être envisagée pour soustraire une partie de l’ensemble immobilier au statut de la copropriété. Elle requiert une décision à la majorité de l’article 25.

Ces nouvelles dispositions s’appliquent depuis le 1er juin 2020, et il faut constater une certaine effervescence autour de leur mise en œuvre pour les immeubles en cours de construction ou de division.

Il incombe aux praticiens d’imaginer, d’initier de nouvelles formules et donc de faire œuvre créatrice. L’important, c’est de ne pas laisser se créer un vide juridique qui conduirait à une absence d’organisation structurée et à un retour sanction au statut de la copropriété.»

 

Sébastien Maurette

Sébastien Maurette :

«Désormais, et sans qu’il soit nécessaire de déroger au statut d’ordre public de la copropriété en «justifiant d’une structure de gestion des éléments communs de l’ensemble immobilier», le « secteur libre » de la copropriété peut s’organiser différemment en utilisant la volumétrie pour répartir le droit de propriété.

Afin d’organiser la répartition des charges et droits de vote, une ASL (ou AFUL) régie par les dispositions de l’ordonnance n° 2004-632 du 1er juillet 2004, sera mise en place, laissant au rédacteur une grande liberté sur les règles de majorité, de convocation, de délais de recours, de notification des procès-verbaux, de modalités de tenue des assemblées générales (par visioconférence), vote par correspondance….

Pour autant, les règles prévues dans la loi du 10 juillet 1965 sont bien organisées, lisibles, protectrices des intérêts des copropriétaires et les statuts d’ASL se trouvent bien souvent empreints de nombreuses dispositions du statut d’ordre public de la copropriété.»

 

Sylvie Bouchet

Sylvie Bouchet :

«Là encore la loi ELAN fait preuve de modernisme. Le statut de la copropriété peut se révéler inadapté à la situation réelle de l’immeuble.

Ici, le notaire pourra opter pour le régime de la division en volume par exemple par dérogation expresse au régime de la copropriété. Seul bémol, mais nécessaire et utile, l’obligation de mettre en place une structure juridique dotée de la personnalité morale (ASL par exemple) afin d’assurer la gestion de l’ensemble immobilier et de ses équipements nécessairement communs.»


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