COLLOQUE ANNIVERSAIRE LOI 1965 : CHANGEMENT DE PARADIGME ?
Les dispositions relatives à la rénovation énergétique révèlent, certes, une prise en considération des enjeux climatiques, mais, également, une conception de la copropriété dans laquelle les droits individuels seraient nécessairement réduits au profit de l’intérêt collectif, voire de l’intérêt général. L’enjeu juridique, en la matière, est alors de préserver le droit de propriété qui ne doit pas être sacrifié sur l’autel de la lutte contre le réchauffement climatique. Un certain équilibre doit alors être préservé.
On se souvient que, au lendemain de la loi de 1965, Givord proposait une théorie moniste de la copropriété, s’appuyant sur la nouvelle loi. Les copropriétaires auraient ainsi un véritable droit de propriété sur un lot de copropriété qui réunit, indissociablement, une partie privative et une quote-part de parties communes. Le syndicat, de son côté, est doté d’un patrimoine, donc de biens qui lui appartiennent. L’idée était donc que, fondamentalement, le bon vieux droit de propriété de l’article 544 du code civil trouvait à s’appliquer dans cet édifice nouveau que constituait le statut de la copropriété.
Pour autant, il était déjà évident que le mot «copropriété» contenait une dialectique, une tension interne, entre les aspects collectifs et la propriété individuelle. Soixante ans plus tard, où en sommes-nous ? Le droit de la copropriété a-t-il été transformé de façon révolutionnaire, par les réformes successives, en sacrifiant le droit de propriété ?
On serait, de prime abord, tenté de le penser. La loi ALUR avait forcé les copropriétaires à épargner, en constituant un fonds de travaux. La loi Climat et Résilience, sept ans plus tard, est venue restreindre les possibilités d’utiliser cet argent. Les copropriétaires, comme le syndicat, ont donc subi, successivement, des atteintes à leur droit de propriété.
Le droit de propriété des copropriétaires a perdu de sa superbe depuis 60 ans. Mais cela n’a rien de surprenant. Il en va de même pour les propriétaires individuels. Il y a une érosion de la propriété qui est, en réalité, perceptible dans tous les aspects du droit des biens, et pas seulement en copropriété, où elle est déjà plus fragile.
Au fond, et c’est un paradoxe, ce qui a nui au droit de propriété, c’est peut-être sa fondamentalisation.
Le droit de propriété est, on le sait, garanti par le bloc de constitutionnalité et par la Convention européenne des droits de l’homme. On pourrait en déduire que le droit de propriété est protégé des assauts éventuels du législateur et conclure au triomphe du libéralisme économique grâce au libéralisme juridique. Et pourtant, cette fondamentalisation du droit de propriété contient sa propre limitation, pour une raison très simple : les droits fondamentaux ne sont jamais absolus, alors que le droit de propriété est censé l’être.
Il est toujours possible de porter atteinte aux droits fondamentaux si cela est justifié par un objectif d’intérêt général et que l’atteinte est proportionnée au but recherché. Le législateur peut donc porter atteinte au droit de propriété, à condition de respecter ces deux conditions. C’est ce qu’il fait, en matière énergétique, parce qu’il est admis qu’il s’agit là d’un enjeu d’intérêt général et qu’on suppose l’atteinte proportionnée.
La soumission du droit de propriété au contrôle de proportionnalité est révélatrice de sa relativisation. Il est un droit fondamental, certes, mais parmi d’autres et il n’y a pas de hiérarchie entre les droits fondamentaux. Il lui arrive donc d’être en confrontation avec d’autres droits, comme le droit au respect de la vie privée, le droit au logement, ou encore le droit de vivre dans un environnement sain… Et même si le droit de propriété sort souvent vainqueur de ces confrontations, il est possible qu’il soit écarté. Rappelons ainsi les termes très clairs utilisés par la cour européenne des droits de l’homme : «Des impératifs économiques et même certains droits fondamentaux, comme le droit de propriété, ne devraient pas se voir accorder la primauté face à des considérations relatives à la protection de l’environnement, en particulier lorsque l’État a légiféré en la matière».
Certains pourraient donc déplorer le recul du droit de propriété, dans la loi de 1965, particulièrement face aux enjeux écologiques. Mais cela résulte d’un mouvement de fond qui dépasse la copropriété. Si la loi Climat et Résilience a fait l’objet d’un contrôle de constitutionnalité a priori, porté par soixante députés, l’atteinte au droit de propriété n’était pas soulevée. L’issue du contrôle de proportionnalité n’est jamais certaine mais on peut raisonnablement penser que les atteintes au droit de propriété résultant de l’obligation d’élaborer un projet de plan pluriannuel de travaux comme de l’indécence des logements avec un mauvais DPE auraient pu être validées par le Conseil constitutionnel.
L’érosion des droits individuels s’accompagne, dans un mouvement de vases communicants, d’une apparente montée en puissance du syndicat.
La loi Grenelle II avait permis de voter des travaux d’intérêt collectif sur les parties privatives, à la majorité. La loi ALUR a ensuite obligé les copropriétaires à constituer une cagnotte appartenant aux syndicat, sorte d’expropriation d’utilité privée. Dans le même ordre d’idée, la récente loi du 16 juin 2025 permet de voter la transformation de bureaux en logements à la majorité de l’article 24 même lorsqu’elle contrevient à la destination de l’immeuble, ce qui illustre un certain glissement de l’intérêt collectif vers l’intérêt général, ce qui n’est pourtant pas la même chose. On en arrive donc à considérer le syndicat de copropriétaires comme une collectivité chargée d’une mission d’intérêt général : la lutte contre le réchauffement climatique. Il n’est alors pas étonnant qu’on souhaite lui offrir certains instruments essentiellement pensés pour les personnes publiques, et donc à le rapprocher du droit public, comme toute personne privée participant à une mission d’intérêt général.
Cet étrange rapprochement peut notamment être fait au regard d’un outil commun aux personnes publiques et aux copropriétés : le contrat de performance énergétique. Même s’il n’a pas été créé spécifiquement pour les personnes publiques, le CPE est essentiellement utilisé par elles, mais il est aussi prôné pour les copropriétés. Le syndicat se voit donc associé aux personnes publiques, et cette association pourrait se renforcer, le congrès des notaires de 2023 ayant proposé que les collectivités ou les bailleurs sociaux concluent des CPE par îlots. Les syndicats de copropriétaires inclus dans ces îlots pourraient alors adhérer à ces contrats.
Au fond, en 60 ans, les droits individuels des copropriétaires se sont affaissés, mais les prérogatives du syndicat se sont renforcées. Demain, les développements de l’emprunt collectif, du CPE et du tiers financement devraient lui donner les moyens de s’engager dans la rénovation énergétique. Il y a, toutefois, un bémol de taille : le syndicat n’est que le paravent des copropriétaires. L’emprunt collectif avec présomption d’adhésion permet de confirmer cette analyse, car si c’est le syndicat qui emprunte, ce sont, bien sûr, les copropriétaires qui, concrètement, assument la charge des emprunts. Mais, de manière plus surprenante, les copropriétaires qui n’y participent pas sont aussi traités comme des emprunteurs, tenus des intérêts, frais et honoraires.
Si la copropriété est un état dans l’état, ce n’est en tout cas pas un état providence, ni un écran vraiment protecteur.
S’agit-il d’un changement de paradigme ?
Là encore, la réponse sera mitigée. Certes, le copropriétaire apparaît de plus en plus comme un administré face au syndicat. Pour autant, l’enjeu majeur de la loi du 10 juillet 1965 était la valorisation du patrimoine immobilier. Il s’agissait de donner des outils juridiques pour favoriser l’amélioration et la rénovation des immeubles.
C’est bien cet objectif qui reste aujourd’hui poursuivi, dans un contexte de prise de conscience du dérèglement climatique et du rôle de l’immeuble dans la lutte contre le réchauffement.
L’objectif reste donc identique, les moyens s’adaptent aux temps qui, par définition, changent.