[N° 610] - Financer la rénovation thermique : faire feu de tout bois

par Paul TURENNE
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 La rénovation thermique des logements ne compte quasiment que des partisans. Emplois induits, économies d’énergie, factures énergétiques réduites… Ses avantages sont nombreux. Mais quid du financement ? 

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Avis à ceux qui en douterait encore : la liste des avantages à rénover thermiquement des logements est longue. Permettant de réaliser des économies à moyen et long terme, ce type de rénovation réduit la fracture énergétique des ménages et l’impact carbone de la France, tout en étant pourvoyeur d’emplois qualifiés. A titre d’exemple, 3 000 euros d’investissement par logement dans l’isolation thermique permettent – pour un bâtiment des années soixante à Nancy – de réaliser 40 % d’économies d’énergie, avec un amortissement sur cinq ans. Une question cruciale également, à l’heure de la lutte contre le réchauffement climatique et dans une logique de recherche d’indépendance énergétique, car le secteur du bâtiment représente, en France, le quart des émissions de gaz à effet de serre et presque la moitié de la consommation d’énergie (44 %). Mais aussi plus de 15 milliards d’euros d’importations annuelles de pétrole et de gaz.
Rien d’étonnant, dès lors, à ce que ce vaste chantier fasse l’unanimité et demeure plus que jamais un investissement prioritaire pour les pouvoirs publics qui en reconnaissent les enjeux et l’importance.
Martial Saddier, député Les Républicains, responsable de la commission développement durable, résume : « D’un côté, l’amélioration de l’efficacité énergétique des bâtiments est un enjeu de premier plan pour tenir les engagements de la France en matière écologique et limiter sa dépendance aux énergies fossiles. De l’autre, le bâtiment se trouve en bonne place dans les secteurs économiques qui vont mal. Il y a donc incontestablement des opportunités à créer. »

Crédit photo © Optireno

 


Plan de rénovation de l’habitat

Annoncé en mars 2013 par le Président de la République dans le cadre du plan d’investissements pour le logement, et officiellement lancé en septembre de la même année par le Premier ministre et Cécile Duflot, alors ministre de l’écologie, le plan de rénovation énergétique de l’habitat se donne ainsi pour objectif la réhabilitation de 500 000 logements par an à l’horizon 2017, dont 120 000 logements sociaux.
De fait, le parc immobilier existant présente des niveaux de performance énergétique faibles et, par conséquent, un gisement important d’économies. Autre chiffre révélateur : un million de foyers sont encore équipés de radiateurs anciens énergivores (dits “grille-pains”). Leur remplacement par un chauffage collectif efficient, par exemple au gaz, permettrait de supprimer une à deux tranches de centrale nucléaire…
Et pourtant, force est de constater qu’entre les paroles et les actes, il y a un gouffre. Les réalisations entreprises restent modestes par rapport aux enjeux. Avec 10 000 rénovations de type BBC (bâtiment basse consommation) par an, le niveau de performance global du parc ne s’améliore pas de façon suffisamment significative pour atteindre les engagements pris par la France.

Des mesures incitatives… qui ne le sont pas assez

Depuis quelques années, les mesures incitatives en faveur de la rénovation thermique des bâtiments (Crédit d’impôt développement durable CIDD, devenu crédit d’impôt pour la transition énergétique CITE, Eco-Prêt à taux zéro et certificats d’économie d’énergie) n’ont pas réussi à enclencher une dynamique efficace et suffisante. Et pour cause, la réalisation de bouquets de travaux – ou l’atteinte d’une « performance énergétique globale » minimale du logement, calculée par un bureau d’études thermiques – avec, pour seule finalité, la rénovation thermique s’avère peu adaptée à la réalité de la demande des ménages. Ces derniers demeurent en effet, essentiellement motivés par l’amélioration du confort de leur logement ou la valorisation de leur patrimoine.
Résultat : au rythme actuel, les objectifs de rénovation du parc pourraient bien ne pas être atteints, même si Philippe Pelletier, président du plan Bâtiment durable se montre moins pessimiste : « Au risque de surprendre, je continue d’affirmer que l’objectif de 500 000 rénovations à l’horizon 2030, n’est pas farfelu si les aides financières sur le papier se déploient. Cependant, l’obligation, votée par le Sénat, de rénover le parc privé d’ici 2020 à 150 kW/h/m²/an, nous semble [l’ensemble des membres du plan Bâtiment durable, ndlr] irréaliste. Ou c’est incantatoire et on laisse cet objectif en l’état, ou c’est sérieux et on prend des mesures. »
Pour Martial Saddier, au-delà de l’objectif chiffrée difficilement atteignable, c’est toute la chaîne qui doit être prise en compte : « Concernant le financement, il faut être clair. Aujourd’hui, si l’on avait 500 000 dossiers en cours pour l’année 2015 ou 2016, il y aurait un certain embarras [avec des entreprises pas en capacité de traiter cette demande, ndlr]. Il faut aller au-delà du discours. »

Crédit photo © Guillaume Hecht

Les Français, mal informés sur les aides

Selon une enquête Ifop de septembre 2014 sur les Français, la transition énergétique et les collectivités menée à l’initiative d’Energie perspective et du laboratoire d’idées la “Fabrique des territoires innovants”, un propriétaire français sur trois envisage de faire des travaux de rénovation chez lui et deux sur dix envisagent de le faire d’ici moins de deux ans. Mais seuls 27 % des Français sont au courant des aides et subventions proposées par leur collectivité en cas de rénovation énergétique. Un déficit d’information préjudiciable alors que les aides peuvent financer jusqu’à 50 % de la note globale des travaux d’un ménage.
« Si les collectivités sont focalisées sur la précarité énergétique, 90 % des ménages ont en réalité les moyens de se lancer dans des travaux. Sauf qu’ils ne passent pas le cap par crainte d’un mauvais résultat et par méconnaissance », estime Marc Desforges, délégué général de la “Fabrique des territoires innovants”. « Ils sont tellement perdus devant l’offre qu’ils passent de moins en moins à l’acte. Il faut amener autour de la table des tiers de confiance. Les collectivités doivent en faire partie, elles apportent de la fiabilité mais ne sont pas efficaces dans le passage à l’acte. Il faut également un acteur qui coordonne les artisans et accompagne les acteurs du projets de A à Z, sur le plan technique et financier, pour avoir une plus grande efficacité. »
 
A noter :

Les travaux d’économie d’énergie sont désormais votés à la majorité simple dans les copropriétés, avec un encouragement à l’installation de compteurs individuels.
De plus, les règles d’urbanisme ne peuvent plus faire obstacle aux travaux d’isolation des bâtiments ou d’installation de production d’énergie renouvelable. Enfin, toutes les rénovations lourdes sur les bâtiments (réfection de toiture, ravalement de façade, extension de surface) doivent comprendre un diagnostic énergétique et être l’occasion de travaux d’efficacité énergétique.

 


 

Les fonds de l’Anah en première ligne

Etablissement public d’État créé en 1971, l’Agence nationale pour l’amélioration de l’habitat (Anah), a pour mission de développer et d’améliorer le parc de logements privés existants. En particulier, elle encourage la réalisation de travaux en se concentrant sur les publics les plus modestes. En 2010, elle a adopté un nouveau régime d’aides, encore revu à la hausse en 2013, pour lutter plus efficacement contre la précarité énergétique. Fin 2014, l’Anah avait ainsi permis la rénovation thermique de plus 100 000 logements pour un montant total de 1 milliard d’euros d’aides, grâce au programme Habiter Mieux, lancé en 2011.
En 2015, l’Anah dispose de budgets supplémentaires pour lutter contre la précarité énergétique.
Son conseil d’administration a en effet voté à l’unanimité un budget 2015 d’un montant de 502 millions d’euros. 126 millions d’euros du Fonds d’aide à la rénovation thermique (Fart) – géré par l’Anah pour le compte de l’Etat dans le cadre du programme d’investissements d’avenir «Rénovation thermique des logements privés» – complètent ce budget pour le versement des primes du programme Habiter Mieux. Une somme qui devrait ainsi permettre de réhabiliter près de 73 000 logements, dont 45 000 au titre de la rénovation énergétique.
Parmi les nouveautés, l’Anah bénéficiera d’une nouvelle contribution de 20 millions d’euros du Fonds de financement de la transition énergétique. Ce dernier, doté au total d’1,5 milliard d’euros sur trois ans, financera directement dans les territoires les actions des lauréats des appels à projets « Territoires à énergie positive » Des fonds qui peuvent revenir indirectement aux copropriétés, via des subventions.

Vers une stabilité des aides ?

Depuis la rentrée 2014, le nouveau crédit d’impôt développement durable renforcé et simplifié couvre 30 % des travaux de rénovation thermique. Les ménages ne sont plus obligés de mener des travaux globaux mais peuvent les faire les uns après les autres : fenêtres, toiture... Des allègements fiscaux également valables pour l’installation de compteurs individuels dans les copropriétés. Applicable jusqu’en décembre 2015, l’objectif est d’entraîner un «effet d’accélération pour la rénovation des logements».
Par ailleurs, l’éco-prêt à taux zéro a été relancé, pour passer à 100 000 prêts par an et garantir la qualité des travaux grâce au transfert de responsabilité vers les entreprises «reconnues garantes de l’environnement».
Pour Philippe Pelletier, la stabilité des aides s’avère indispensable pour que les copropriétés s’engagent dans des travaux efficients : « Il faut une stabilité des subventions accordées à l’Anah – visiblement consolidées jusqu’en 2017. Il est, par ailleurs, urgent que l’éco-PTZ et l’éco-PTZ collectif qui, enfin, démarrent, puissent être stabilisés jusqu’en 2020, afin que les réseaux bancaires investissent dans le développement d’outils informatiques de gestion. Ils ne le feront pas s’il n’y a pas de visibilité sur plusieurs années. Enfin, à propos du crédit d’impôt transition énergétique (CITE), il faut que l’on sache, d’ores et déjà, ce qui viendra après. »
L’État a tout intérêt à encourager financièrement la rénovation énergétique, estime également Olivier Ortega, avocat, spécialiste des questions liées à la rénovation énergétique du bâti, coauteur du rapport « Les financements innovants de l’efficacité énergétique » : « Pour 1 euro public injecté sous forme de soutien à la rénovation, les pouvoirs publics ont reçu – en considérant la création d’emplois – entre 1,8 et 4,3 euros, suivant les années. Autrement dit, le soutien à l’efficacité énergétique dans la rénovation est un investissement public à très forte rentabilité. »

Une loi de transition énergétique pour doper les rénovations

Mobiliser tous les moyens pour accélérer et amplifier les travaux de rénovation énergétique : tel est donc l’objectif visé par la loi de transition énergétique, discutée au Parlement.
Celle-ci prévoit notamment la mise en place d’un «chèque énergie» pour accompagner les ménages les plus modestes, permettant d’élargir les tarifs sociaux de l’électricité et du gaz à toutes les énergies.
Egalement prévue : la généralisation des plateformes de la rénovation énergétique dans les communautés de communes, proposant des «passeports travaux». Elles donneront conseils et informations sur les financements, les artisans certifiés et la façon de procéder à des audits énergétiques. Le tout dans une logique de guichet unique. La loi crée par ailleurs des sociétés régionales de tiers-financement pour permettre l’avance des fonds aux particuliers souhaitant engager des travaux.


Financement public-privé : focus sur la Sem Energies Posit’if en Île-de-France

Le 10 janvier 2013, 14 collectivités d’Ile-de-France (dont le conseil régional et la ville de Paris), en association avec la Caisse des Dépôts et Consignations et avec la Caisse d’Epargne Ile-de-France ont créé une société d’économie mixte (Sem) dédiée à la rénovation énergétique des logements collectifs (copropriétés, petits bailleurs sociaux) et la production d’énergies renouvelables. Capitalisée dans un premier temps à 5,32 millions d’euros, cette Sem se positionne en tiers financeur.
Forme juridique associant nécessairement des actionnaires publics et des actionnaires privés dont le poids relatif dans le capital social ne peut être inférieur à 15 %, les SEM peuvent intervenir dans le champ concurrentiel, et doivent être mises en concurrence par leurs actionnaires publics pour se voir confier une mission rémunérée par l’un d’entre eux. Cette forme sociale spécifique de société anonyme à capitaux majoritairement publics permet d’intervenir sur des opérations représentant un niveau de rentabilité faible, voire de rendre possible le développement d’une offre commerciale innovante sur des marchés peu défrichés par les acteurs privés.

A noter :

A noter également, la signature d’une nouvelle convention entre l’Etat, l’Anah et les fournisseurs d’énergie (EDF, GDFSuez, Total) pour la période 2014-2017. Cette convention prévoit une contribution des énergéticiens d’un montant annuel de 50 millions d’euros en contrepartie de la délivrance de Certificats d’économies d’énergie (CEE) pour la réalisation de travaux de rénovation énergétique, dans le cadre du programme Habiter Mieux.

Pour aller plus loin

• Des travaux de rénovation énergétique devraient obligatoirement être réalisés en cas de travaux importants de ravalement, toiture et d’aménagement de nouvelles pièces.
• Les particuliers peuvent déduire 30 % du montant de leur facture de travaux d’isolation de leurs impôts, jusqu’à 8 000 euros de baisse d’impôt pour un célibataire et 16 000 euros pour un couple, sans être obligés, comme c’était le cas dans le passé, de faire plusieurs travaux à la fois.