Il est d’usage de comparer le fonctionnement d’une copropriété à une petite démocratie, l’assemblée générale y assurant le rôle du pouvoir législatif. Mais jusqu’où peut-on pousser l’analogie ?
Une loi soumise au Parlement fait l’objet d’âpres discussions et amendements de sorte que le texte final s’avère considérablement modifié par rapport à sa version initiale. Or, en copropriété, l’assemblée générale, bien que souveraine, ne dispose pas d’un tel pouvoir d’amendement, ses marges de manœuvres étant contraintes par le contenu de l’ordre du jour.
Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 708 de mai 2025
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Le «carcan» de l’ordre du jour
Conformément à l’article 13 du décret du 17 mars 1967, l’assemblée générale ne prend de décision valide «que sur les questions inscrites à l’ordre du jour». S’il lui est possible de débattre en séance d’autres sujets, aucune décision exécutoire ne peut être prise si la résolution n’a pas été inscrite préalablement à l’ordre du jour. Un tempérament toutefois, celui des incidents de séance, permettant à l’assemblée générale de statuer sur une question non prévue initialement à la suite d’évènements postérieurs à l’envoi des convocations (réalisation de travaux irréguliers affectant les parties communes par exemple) ou révélés en séance (Cass. 3e civ., 18 mai 1971, n° 70-10.893 pour l’acceptation de la démission du syndic).
Mais en dehors de cette hypothèse, toute résolution adoptée sans être inscrite à l’ordre du jour encourt la nullité (Cass. 3e civ., 3 déc. 2015, n° 14-25.583). Pour autant, l’assemblée générale est-elle contrainte par le libellé même des résolutions ou dispose-t-elle d’une marge de manœuvre, aussi minime soit-elle ?
La Cour de cassation a indiqué «[qu’]aucune disposition n’impos[e] la stricte identité de rédaction du projet de résolution et du texte définitivement adopté, sauf à nier la liberté de discussion et de vote des copropriétaires lors de l’assemblée générale» (Cass. 3e civ., 15 avr. 2015, n° 14-13.255). Une différence entre le libellé de la décision figurant à l’ordre du jour et celui finalement voté n’affecte donc pas la validité de la résolution (Cass. 3e civ., 25 sept. 2002, n° 01-00.161). Il a ainsi été admis que les copropriétaires puissent choisir un autre avocat que celui désigné dans la convocation qui avait pour objet «la représentation de la copropriété en justice» (CA Paris, 2 juill. 1993, 23e ch., n° 92/016784).Les juges reconnaissent donc bien à l’assemblée générale un pouvoir d’amendement. Mais celui-ci est loin d’être absolu.
Les limites au pouvoir d‘amendement de l’assemblée générale
Si une modification du libellé des questions soumises à l’assemblée générale demeure possible, cette faculté n’en reste pas moins très encadrée par les juges et ne peut aboutir à une modification substantielle du texte, voire à une résolution différente. Les motifs justifiant cette limitation ont été exposés dans un arrêt très pédagogique par la Cour d‘appel de Versailles.
Selon elle, les dispositions précisant que l’assemblée générale ne délibère valablement que sur les points inscrits à l’ordre du jour «sont dictées non seulement par le souci de protéger les intérêts des copropriétaires absents ou représentés, pour que soient seulement votées des décisions qui sont la suite prévisible de la question posée à l’ordre du jour, mais aussi, en particulier, par celui de soumettre aux membres de l’assemblée générale des questions dont la teneur leur a été soumise suffisamment à l’avance pour qu’ils puissent se prononcer de manière réfléchie et éclairée». Dans cette affaire, le texte initial d’une résolution portait sur la cession d’une courette à un copropriétaire alors que l’assemblée générale a finalement statué sur la remise en état de ladite courette avec le démontage des installations effectuées sans autorisation par le copropriétaire intéressé par l’acquisition. La décision a donc été annulée (CA Versailles, 11 févr. 2013, n° 09/04466).
De même, la Cour de cassation a considéré que devait être annulée la résolution modifiant la durée du mandat du syndic dès lors que celle-ci était mentionnée dans l’ordre du jour. Les juges d’appel avaient pourtant estimé que cette modification ne dénaturait pas le projet annoncé dans la convocation et que la fixation de la durée du mandat constituait l’accessoire de la désignation du syndic. Un raisonnement qui n’a pas été suivi par la Haute juridiction, l’inscription de la durée du mandat dans l’ordre du jour semblant empêcher tout débat sur le sujet (Cass. 3e civ., 11 juill. 2019, n° 18-12.254).
On peut donc s’interroger sur la possibilité réelle de l’assemblée générale d’amender une résolution car, bien que consacrée par la jurisprudence, son application pratique semble limitée, à moins de la circonscrire à un simple pouvoir de modification rédactionnelle sans réel impact (voir par exemple Cass. 3e civ., 16 septembre 2015 n° 14-14.518 où les termes «pour que soit respecté le règlement de copropriété» avaient été rajoutés au projet de résolution). La Cour de cassation, dans son arrêt du 15 avril 2015 précité, validait la modification du montant de travaux soumis aux votes mais pour un coût maximum qui ne dépassait pas ce qui était annoncé dans l’ordre du jour. Assurément, la solution retenue aurait été différente si les modifications avaient entraîné une augmentation de l’enveloppe globale des travaux.
De fait, si amender une résolution demeure possible, cette faculté doit être utilisée avec la plus grande parcimonie, sous peine d’encourir la censure des juges.
Amendements d’une résolution et vote par correspondance
Les copropriétaires votant par correspondance, et qui se sont prononcés favorablement sur une résolution qui a été amendée en cours d’assemblée générale, sont assimilés à des défaillants pour cette résolution (art. 17-1 A, loi du 10 juillet 1965). Cette requalification du vote est alors mentionnée dans le procès-verbal (art. 17, décret du 17 mars 1967). Une disposition qui a le mérite de limiter les litiges en cas de modification importante et qui permet aux copropriétaires concernés de contester la résolution le cas échéant.
David Rodrigues, Juriste à l’association Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV)
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