[CCED - N°16] - L’entretien… Maxime REPAUX

par YS
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"Le dispositif n’est pas adapté à l’urgence des travaux"
Maxime Repaux est membre du Syndicat des architectes du Bouches-du-Rhône. A la suite de l’effondrement mortel d’un immeuble placé sous le régime de la copropriété, les architectes rappellent au préfet de la région l’urgence des travaux réclame des mesures radicales.

Au lendemain des évènements dramatiques de la rue d’Aubagne à Marseille, le syndicat des architectes des Bouches-du-Rhône a adressé une lettre au Préfet de région. Quel a été le sens de cette démarche ?
«Le syndicat a mis en place une commission de réflexion suite aux évènements de la rue d’Aubagne. C’est à l’issue de cette commission que nous avons proposé au préfet de région une série de mesures concrètes pour améliorer les dispositifs règlementaires existants avec comme objectifs principaux la prévention et l’efficacité opérationnelle.
Notre syndicat, composé d’architectes qui travaillent au quotidien sur l’acte de bâtir, déplore l’absence d’accompagnement technique par des professionnels des propriétaires de logements, et des syndics dans le cadre des opérations de réhabilitation comme de rénovation.
Il est impératif que, dans la filiation du rapport Sueur en continuité de la loi de 77 sur l’architecture, l’architecte soit et reste identifié comme le «généraliste du bâtiment» comme le médecin généraliste l’est dans le parcours de santé».

Pouvez-vous nous exposer les principales mesures suggérées par le syndicat ?
«Pour une meilleure prise en charge de l’urgence, et pour plus d’efficacité dans les diagnostics des pathologies, le syndicat des architectes a fait sept propositions d’amélioration des dispositifs législatifs, administratifs et techniques existants :
- pour permettre aux syndics de copropriété et administrateurs d’immeubles d’intervenir sans délais face à une urgence incompatible avec les procédures administratives et judiciaires, nous proposons la création d’un fonds spécial d’état en préfinancement, pour prendre en charge sans délais, les frais liés aux travaux d’urgence des copropriétés, ou pour lesquels des procédures de justice sont en cours. Ces fonds, étant une avance, seront à restituer à l’État par la copropriété à l’issue des procédures de justice.
- Nous avons constaté que le défaut de détection des pathologies suffisamment en amont conduit à l’aggravation importante des dégradations, puis parfois à l’effondrement de la toiture ou de l’immeuble. Pour pallier ce défaut de détection, nous proposons, sur le modèle des contrôles techniques des véhicules, de généraliser l’obligation du recours au DTG (Diagnostic Technique Global) à l’ensemble des copropriétés, avec une périodicité de 10 ans. Ce DTG devra obligatoirement être réalisé par un architecte et un ingénieur, et être complété par une grille d’évaluation permettant de lister : état des structures de plancher, des murs, des fondations, de la couverture, de l’étanchéité des toitures, des façades, des réseaux d’évacuation, etc.
- dans le cas de successions vacantes, le délai pour incorporer l’immeuble ou le logement, dans les biens de la commune, ou de l’État, est de 30 ans. Nous proposons que ce bien soit géré (location et entretien) par la puissance publique : la commune ou l’Etat, dans l’attente de la manifestation d’un héritier.
- la loi ELAN permet de démolir des immeubles en état de péril. Ce dispositif, louable en termes de sécurité du public, ne doit pas avoir pour conséquence d’écarter prématurément la réhabilitation des centres anciens. Nous proposons que dans les secteurs sauvegardés, une analyse détaillée des possibilités de restaurations soit effectuée avant toute décision de démolition, qui ne serait que l’ultime recours.
- C’est une évidence, mais il n’est pas inutile de le rappeler : le contrôle technique des bâtiments doit recueillir l’avis d’un professionnel du bâtiment. Nous proposons que dans toutes situations, y compris les situations d’urgence, les pompiers ou les policiers soient accompagnés d’architectes pour évaluer l’urgence et appréhender les moyens techniques à mettre en œuvre pour répondre à cette dernière.
- Il est essentiel que, parallèlement, la loi sanctionne pénalement les marchands de sommeil. Nous proposons que les frais d’hébergement en cas de péril imminent soient mis à la charge des propriétaires «marchands de sommeil» qui ont sciemment négligé l’entretien de leurs immeubles avec mise en place d’un compte séquestre par décision de justice en réfèré.
- Lorsqu’un immeuble est en situation d’arrêté de péril grave et imminent, les assurances ne le garantissent plus, et le propriétaire de l’immeuble ou le syndic ne sont plus garantis quant à leur responsabilité civile. Nous proposons la mise en place d’un fonds de garantie public ou privé pour assurer la continuité d’assurance en responsabilité civile

Que pensez-vous du régime actuel des copropriétés en difficulté ? Vous semble-t-il adapté aux besoins du terrain ?
«Non, ce dispositif n’est pas adapté. Il est assujetti aux délais d’instruction des règlements judiciaires (appels de fonds sous contrainte, expropriation), ce qui est incompatible avec l’urgence des travaux, car il ne permet pas, dans des délais raisonnables, d’effectuer les travaux de réparation.
J’ai eu un cas où la simple réfection de toiture à la suite à d’infiltrations d’eau, rendue indispensable et urgente du fait de l’affaissement d’une poutre porteuse, a pris six ans !
La copropriété était en difficulté, avec des défauts de paiement et l’impossibilité de financer les travaux. Il a fallu nommer un administrateur judiciaire, exproprier, vendre aux enchères, récolter les fonds avec les nouveaux propriétaires. Dans ce cas, avoir un fonds de garantie, faisant l’avance des travaux, aurait permis de réduire ce délai à un an.
Les dispositifs d’urgence existants permettent de réaliser la mise en sécurité de l’immeuble avec l’étaiement, dans l’attente des décisions de justice et de boucler un financement, ce qui peut prendre des années ; et pendant ce temps, l’immeuble continue de se dégrader.
Il faut trouver des solutions plus efficaces, en termes de délais et de coûts : c’est une question d’intérêt général.
Nos propositions constituent une base de réflexion qui pourrait être complétée par la mise en place d’un comité technique et d’un observatoire du bâti élargis aux différents représentants des professionnels de la réhabilitation : architectes, ingénieurs, services de l’architecture et du patrimoine, CAUE, spécialistes de la rénovation énergétique, experts judiciaires, administrateurs judiciaires, pompiers, police, syndics de copropriété, contrôleurs techniques, notaires, juristes, tribunal administratif, assureurs, etc.
L’objectif étant de mettre l’ensemble des acteurs autour de la table et définir ensemble un nouveau cadre législatif et opérationnel pour améliorer le régime actuel des copropriétés en difficulté.»