Les copropriétaires avec les yeux de syndic de copropriété
À l’épreuve de la pratique et du quotidien, la qualification historique et juridique du copropriétaire varie et mute.
Est-il un mandant, un administré ou un client ?
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Il y a tout juste un an, un rapport de l’Institut Paris Région (IRP) apportait «un point de vue macroscopique sur le groupe professionnel des syndics de copropriété». Les auteurs y conduisaient notamment une analyse socio-historique de ce métier, tentant d’en déterminer la nature. Ils relevaient l’existence légale d’un mandat et la mission d’administration de biens appartenant à autrui, avant de conclure que le groupe professionnel des syndics devait désormais «composer avec des segments concurrents porteurs d’autres logiques, d’autres valeurs et d’autres visions du métier» en lien avec les normes dominantes de l’économie de marché. Alors mandataire, administrateur ou prestataire ?
L’histoire et le droit ont construit les possibles qualifications de ce métier, mais une lecture des relations établies entre syndics et copropriétaires et du regard posé par les premiers sur les seconds fournit une grille alternative et évolutive.
Rappel historique
Dans son ouvrage relatif aux syndics de copropriété, Pierre-Edouard Lagraulet, avocat reconnu en droit de la copropriété, mentionne un usage du terme «syndic» datant du XIVe siècle et une double étymologie juridique, latine et grecque, soulignant la notion de «pouvoir de représentation» qui y est attachée.
La loi de 1938 organise ce rôle de représentation légale du syndic au profit du syndicat de copropriété, nouvelle entité, dont il est «l’agent officiel». En 1965, la loi définit le syndic de copropriété comme une fonction au sein du syndicat de copropriétaires. Une fonction obligatoire pouvant être assurée par toute personne physique ou morale, et dont l’exercice professionnel sera réglementé par la loi Hoguet en 1970. Celle-ci laisse toutefois la possibilité d’une activité bénévole, réservée à un copropriétaire.
Les administrateurs de biens se saisissent alors de l’exercice professionnel de la fonction de syndic de copropriété, «intégrée dans l’activité plus vaste de «gestion immobilière» dont ils sont les spécialistes», est-il indiqué dans le rapport de l’IRP.
Mandat
Si cette mainmise initiale des administrateurs de biens sur l’activité de syndic de copropriété ouvre une qualité d’administré aux copropriétaires ou à leur syndicat, la codification de la fonction du syndic sème le doute. Le décret d’application de la loi de 1965 qualifie expressément le contrat du syndic de «contrat de mandat», déterminant ainsi un positionnement de mandant au syndicat de copropriétaires, et, en miroir, de mandataire au syndic. La relation tiendrait alors davantage de la procuration consentie pour agir, avec une certaine indépendance, «au nom de». Fondé sur la confiance, ce pouvoir de représentation est consenti en considération d’une personne (intuitu personae), et est, en principe, non transposable à une autre. Il se situe hors du registre d’une relation commerciale et est régi par le Code civil.
Prestation de services
Que devient, dans le monde du XXIe siècle, ce contrat de mandat qui fait écho aux relations existant entre les administrateurs de biens et les propriétaires rentiers du XIXe et début du XXe siècle ? Si cette connotation subsiste encore partiellement avec les cabinets de syndic familiaux, note l’IRP, l’apparition des groupes et plus récemment des syndics en ligne a tendance à gommer cette dimension dans leurs relations avec les copropriétaires. «Il y a encore vingt-cinq ans, à mes débuts, le contrat de syndic n’était pas une prestation de services. La notion de client était édulcorée. Aujourd’hui, pour moi, le copropriétaire et son syndicat sont clairement un client», répond Renaud Franchet, associé-gérant de Franchet & Cie à Lyon. Rejetant le terme d’administré, François-Emmanuel Borrel, président d’André Griffaton, distingue «le copropriétaire, un client et le syndicat des copropriétaires, le mandant».
Variation selon la situation
«Les copropriétaires sont à la fois mandants, clients et administrés. Leur relation avec le syndic varie en fonction des situations et des interactions spécifiques. Par exemple, lors de l’AG, ils sont plutôt des mandants, alors que dans la vie courante, ils peuvent se sentir comme des clients ou des administrés selon les actions du syndic», analyse Bertrand Esposito, président de Loiselet & Daigremont.
Ainsi un membre du conseil syndical se verra-t-il davantage comme le mandant du syndic, notamment du fait «de son pouvoir de contrôle des actions». Un simple copropriétaire, moins impliqué, subira les décisions prises de concert entre le syndic et le conseil syndical ; son positionnement sera alors plutôt celui d’un administré. De fait, le syndic exerce une forme d’autorité administrative en appliquant le règlement de copropriété et les décisions votées en assemblée générale. Et quand il s’agira payer les honoraires prévus dans le contrat de syndic en contrepartie des services de gestion administrative, technique et financière, le copropriétaire se situe dans un rapport de client à fournisseur.
Travailler ensemble
«Ce rapport se manifeste surtout dans la qualité attendue du service et des prestations fournies par le syndic, qui est évaluée par le copropriétaire», remarque Bertrand Esposito. «Le mélange des rôles rend la relation complexe et nécessite une bonne communication et une gestion équilibrée pour répondre aux attentes».
Ce que relève également Renaud Franchet : «Les gens ignorent la qualification qu’on leur attribue et redéfinir ces subtilités ne changera pas la nature des relations entre syndic et copropriété. Ce qui importe, c’est d’œuvrer pour le collectif, c’est-à-dire dans l’intérêt du syndicat des copropriétaires». François-Emmanuel Borrel opine : «le syndic et ses clients ont intérêt à travailler dans une relation collaborative, d’échange, presque d’entraide».