Copropriété | Jean-Robert Bouyeure, une force tranquille

par Sophie Michelin-Mazéran, journaliste juridique
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Jean-Robert Bouyeure
©J.Chion/Clics

À première vue, l’entretien va se concentrer autour du droit de la copropriété, Jean-Robert Bouyeure, faisant figure de référence dans cette matière où il a officié durant près de soixante-dix ans, comme avocat, tout en fondant un cabinet parisien de renom, qui porte d’ailleurs toujours son nom. Sans compter qu’il a piloté pendant trente ans un mensuel en droit immobilier dédié aux administrateurs de biens. «J’ai raccroché définitivement le 31 décembre 2024», souffle-t-il.

Mais c’est mal connaître ce fringant nonagénaire, qui a plusieurs cordes à son arc. Si l’on voulait résumer sa carrière foisonnante et éclectique, il faudrait convoquer Pierre Corneille qui fait dire à Rodrigue, dans Le Cid, «[…] Aux âmes bien nées, la valeur n’attend point le nombre des années». Car ce juriste émérite est devenu avocat dès l’âge de 20 ans, à une époque où la majorité civile était fixée à 21 ans. «J’ai sans doute figuré parmi les avocats les plus jeunes de France», souligne-t-il amusé.

Surtout, ce docteur en droit est également féru de littérature, et auteur lui-même de plusieurs ouvrages. De très sérieux livres juridiques à des romans, en passant par des essais. Dans «Une plaidoirie au pas de course et autres nouvelles» (Revue K), cet alchimiste du verbe puise dans son vécu d’avocat des situations tragi-comiques pour les mettre en récit. Il évoque, par exemple, un copropriétaire bien-pensant s’ingéniant à entraver le bon fonctionnement d’un immeuble cossu du 7e arrondissement de la capitale, et dont le décès soudain mettra fin à cette tartufferie.

«J’ai appris de la vie en copropriété, la complexité des relations humaines, les enjeux de pouvoir et un certain sens de l’absurde», résume l’avocat. Et de poursuivre, «C’est la raison pour laquelle, j’ai toujours cherché à trouver des solutions, plutôt qu’à attiser les conflits».

Ce perfectionniste, qui dit avoir rencontré le droit de la copropriété par accident, à la faveur d’une demande de contribution écrite sur la toute jeune loi de 1965 d’alors, s’est également illustré dans d’autres champs réglementaires.

Il a, en particulier, défendu le grand artiste Jean Dubuffet dans une affaire opposant ce dernier à la Régie Renault, à propos d’une sculpture monumentale de 2 000 m² commandée par le constructeur, qui s’est finalement ravisé. «À l’issue d’un procès fleuve qui a fait date, le droit moral de Jean Dubuffet à achever son œuvre a été reconnu. Plus largement, la Cour de cassation a donné une définition de la notion même «d’œuvre d’art»», explique l’avocat, non sans une certaine fierté.

Celui qui se rêvait agrégé de droit est autant à l’aise dans ses écrits que dans ses allocutions. Preuve en est, en tant qu’ancien secrétaire de la Conférence des avocats au Conseil d’État et à la Cour de cassation, un concours d’éloquence et de rhétorique judiciaire, il a eu l’opportunité de faire un discours d’audience solennelle de rentrée devant la Cour de cassation, sur la liberté de culte et de conscience des protestants au moment de la Restauration, au travers d’une décision de justice 1818.

Si l’histoire est l’un de ses autres violons d’Ingres, il garde les pieds sur terre, avec un œil toujours attentif sur les évolutions du droit de la copropriété. «Un domaine de plus en plus technique qui fait la part belle à l’immeuble, et moins aux droits des copropriétaires», commente-t-il avec sa casquette de président du conseil syndical de son immeuble.

Gare à ne pas l’appelez «Monsieur le président», cela blesserait son indéfectible humilité.