Entretien : Stéphane Lelièvre, notaire

par YS
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Copropriété Stéphane Lelièvre«La protection est assurée par le notaire à travers de son devoir de conseil»

La pratique notariale est au centre de la vente de lot de copropriété. Le point sur les conséquences des dispositions de la loi ALUR et sur… le fameux “pré-état daté”. 

Membre de la Chambre nationale des experts en copropriété (CNEC), Stéphane Lelièvre, notaire associé à Maison-Laffitte, participe activement aux travaux du GRECCO.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 679 de juin 2022

Comment obtenez-vous les renseignements ALUR ? Avez-vous recours au syndic de copropriété pour lui demander un «pré-état daté» ?

En règle générale, c’est le vendeur qui nous transmet les différents documents imposés par la loi ALUR, notamment en consultant l’extranet de la copropriété : le règlement de copropriété et ses éventuels modificatifs, la fiche synthétique de la copropriété, les procès-verbaux des trois dernières années, le carnet d’entretien, le cas échéant les conclusions du diagnostic technique et les informations financières figurant dans le «pré-état daté» dont nous transmettons un formulaire au vendeur. Nous demandons systématiquement un état hypothécaire pour vérifier si des modificatifs au règlement de copropriété-état descriptif de division ont été établis et, dans l’affirmative, nous sollicitons sa délivrance au service de publicité foncière ou au notaire rédacteur. La transmission du «pré-état daté» par le syndic me paraît importante car la justesse de ces éléments, qui vont être transmis à l’acquéreur, conditionne la validité de la purge du délai de rétractation de ce dernier. En général, les vendeurs comprennent parfaitement l’intérêt de saisir le syndic pour obtenir le «pré état-daté» et éviter ainsi toute erreur dans la communication des éléments financiers, alors même que la délivrance du pré-état daté va générer un coût.  

 

Pensez-vous que l’acquéreur d’un lot soit davantage protégé par les renseignements et informations communiqués par le notaire ?

Je ne pense pas qu’il soit d’avantage protégé par les renseignements et documents exigés par la loi ALUR car la protection est assurée par le notaire à travers de son devoir de conseil, avant comme après la loi ALUR. Il faut reconnaître que la transmission des éléments financiers et des procès-verbaux des trois dernières assemblées assure une bonne information de l’acquéreur sur la copropriété dans laquelle il se destine à acquérir. Les acquéreurs sont d’ailleurs, en règle générale, sensibles à la lecture des procès-verbaux d’assemblées pour vérifier l’étendue des travaux votés, éventuellement reportés ou prévus dans les années à venir. Quant au règlement de copropriété et ses modificatifs, ils renferment des éléments techniques qui ne sont pas toujours appréhendés par le candidat. Il nous appartient, en tant que notaire, de sensibiliser l’acquéreur sur des clauses qui pourraient figurer dans ces actes comme par exemple, une clause d’interdiction de vendre séparément un lot accessoire du lot principal, de diviser, d’affecter à l’habitation un grenier, etc. Nous allons même au-delà de ce qui est visé par la loi ALUR car nous demandons presque systématiquement les plans des lots vendus annexés au règlement de copropriété-état descriptif de division, ce qui nous permet de vérifier d’éventuelles annexions de parties communes. 

 

Les mécanismes mis en place par la loi du 24 mars 2014 pour lutter contre les marchands de sommeil sont-ils efficaces selon vous ?

Je pense qu’ils le sont mais pour répondre précisément à votre question, il est nécessaire de décliner les principales mesures qui ont été prises. 

La première consiste en l’impossibilité pour un acquéreur d’acheter un bien immobilier (sauf à l’occuper personnellement) s’il a fait l’objet d’une condamnation définitive à une «peine d’interdiction d’acheter un bien immobilier à usage d’habitation ou un fonds de commerce d’un établissement recevant du public à usage total ou partiel d’hébergement…». En pratique, nous interrogeons le casier judiciaire B2 du candidat acquéreur par l’intermédiaire de l’Association pour le Développement du Service Notarial. La peine d’interdiction d’acheter un bien immobilier qui pourrait être révélée perdure pendant un délai de cinq ans à compter de la condamnation. La sanction est efficace car si un acquéreur a signé une promesse de vente en cachant cette condamnation, l’avant-contrat serait réputé nul et non avenu à ses torts exclusifs. En pratique, je n’ai personnellement jamais eu un dossier dans lequel l’acquéreur a fait l’objet d’une telle condamnation et je ne suis pas certain qu’il y ait beaucoup de condamnations en France mais cette mesure a le mérite de tirer une conséquence civile d’une situation pénale. 

La seconde mesure est également efficace lorsqu’on sait que les marchands de sommeil achètent souvent plusieurs lots dans une copropriété en tant que personnes physiques, par un membre de leur famille ou une société et en règle générale ne règlent pas les charges afférentes à ces lots. Nous avons l’obligation, avant la signature de l’acte authentique de vente, d’interroger le syndic en lui transmettant le nom du candidat acquéreur ou le nom des mandataires sociaux et des associes de la société civile immobilière ou de la société en nom collectif, ainsi que le nom de leurs conjoints ou partenaires liés par un PACS. C’est d’ailleurs un formalisme très lourd … Si l’une de ces personnes est déjà copropriétaire et qu’elle a fait l’objet d’une mise en demeure du syndic restée infructueuse depuis plus de quarante-cinq jours, elle aura trente jours pour s’acquitter de sa dette à compter de la notification que devra lui faire le notaire. A défaut de s’en être acquitté, l’avant-contrat deviendra également nul et non avenu.  

La troisième mesure permet aux collectivités locales ou aux établissements publics de coopération intercommunale qui le souhaitent, de délimiter des zones soumises à autorisation préalable de mise en location, en précisant éventuellement les catégories et caractéristiques de logements soumis à cette autorisation. La mesure n’ayant pas été généralisée sur tout le territoire, chaque maire jugera de l’utilité de mettre en place un tel contrôle pour combattre la location de logements insalubres et indignes dans sa commune ; c’est en cela que le dispositif est efficace et il est également assorti de sanctions pénales si la mise en location est faite sans avoir préalablement obtenu l’autorisation administrative. 

La lutte contre les marchands de sommeil a d’ailleurs été renforcée par la loi ELAN et un décret du 22 mai 2019. Les agents immobiliers qui font de la transaction, de la location, de la gestion immobilière, les syndics de copropriété ont l’obligation de signaler au procureur de la République les faits susceptibles des constituer une infraction prévue aux articles L. 225-14 du Code pénal et L. 511-22 du Code de la construction et de l’habitation. Il faut également savoir que les enchères publiques sont le moyen favori des marchands de sommeil pour acquérir des biens immobiliers et, là encore, le législateur a interdit à toute personne condamnée à certaines peines de «marchand de sommeil» de se porter enchérisseur. De même, au niveau fiscal, il a été institué une présomption de revenus issus de la location de logements indignes.