Entretien : Eva Simon, chargée du programme PUCA

par YS
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Eva Simon«La copropriété est aussi une organisation humaine au sein de nos villes»

Placé sous la tutelle de quatre ministères : Transition écologique, Cohésion des territoires, Culture et Recherche, le Plan Urbanisme Construction Architecture (PUCA) a vocation à produire des contenus à caractère technique et scientifique en vue d’éclairer les politiques et pratiques urbaines, architecturales et constructives.

Constatant que «l’action publique sur les copropriétés s’étoffe et s’élargit à grande vitesse», le PUCA a lancé le 10 juin 2021 un appel à projets intitulé (re)gé(né)rer les copropriétés ; il s’agit de «connaître et comprendre les copropriétés et les mobiliser pour la ville durable». Avis aux chercheurs en sciences sociales et aux acteurs de la copropriété : l’appel d’offre sera clos le 30 septembre.

Ingénieure diplômée de Polytechnique, docteure sur les politiques de Logement, Eva Simon, chargée de programmes de recherches au PUCA, en est le maître d’œuvre.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 670 de juillet-août 2021

Quelles motivations président à cet appel d’offre ?

«Les copropriétés représentent un tiers des logements français, mais restent, pour de nombreuses raisons, mal connues des spécialistes de la ville. Or, si l’on veut concevoir une ville durable, avec des bâtiments éco-rénovés, des logements dignes et accessibles, une plus grande biodiversité, il faut prendre en compte comment, concrètement, les espaces privés se transforment. Or, en ville, le logement “privé” est souvent en copropriété.

Concrètement, au fil d’entretiens avec divers spécialistes de l’urbain, j’ai remarqué combien les copropriétés apparaissent comme des organisations compliquées, mal connues, sur lesquelles les acteurs demandent à pouvoir prendre du recul… Il y a un vrai besoin de connaissances sur leur fonctionnement et les leviers pour les mobiliser dans le cadre de projets d’intérêt collectif. Ce qui est la force des recherches en sciences sociales ! »

 

Comment pourrait-on “regénérer” la copropriété grâce à une nouvelle approche de la gestion ?

«La gestion a longtemps été absente, ou invisible, pour les acteurs urbains - et en particulier les acteurs publics. Les enjeux qui émergeaient - produire des logements, les rénover, lutter contre l’habitat indigne - laissaient largement de côté la question de la manière dont les copropriétés étaient, au jour le jour, gérées. Or, les recherches sont formelles sur ce plan : on sait que c’est la gestion qui est au cœur des processus de dégradation des copropriétés ; et qu’inversement, on ne sort d’un phénomène de dégradation qu’à condition que la gestion soit saine. On connaît l’importance de la gestion dans l’entrée dans une rénovation ambitieuse. Bref, la gestion est centrale pour atteindre les objectifs des politiques publiques sur “l’existant”!»

Or, aujourd’hui, il n’existe aucune recherche sur ce qu’est, concrètement, le métier de syndic (qui sont les syndics, comment ils travaillent, s’approprient les textes, travaillent avec les copropriétaires, …) – ce qui n’aide pas à concevoir leur place dans le quotidien des villes ! On sait aussi très peu de choses sur la manière dont fonctionnent de l’intérieur les copropriétés construites ces trente dernières années, ni avant-guerre (modalités de prises de décisions, relations entre locataires et propriétaires occupants, rôle réel du conseil syndical, application concrète – ou non - du cadre réglementaire …).

Bref, on ne sait pas, donc on n’enseigne pas et on intègre peu, ou pas, dans la conception des lieux et des politiques, la gestion des copropriétés.»

 

Quels sont les partenaires du PUCA ? Quelle place est réservée aux expérimentations de terrain ?

«Seize partenaires nous ont rejoint : des professionnels de l’immobilier (la FNAIM, Procivis, Foncia, Nexity, bientôt l’ANGC), des acteurs publics (l’ANAH, l’ADCF, la DHUP), des associations spécialisées (QualiSR, l’ARC, la CLCV), des fondations (Leroy Merlin Source, Fondation de France), des experts de l’habitat (la FNAU, l’ANIL, Urbanis, l’USH).

Outre, pour certains, une participation financière, notre but est de faciliter l’entrée sur les terrains de recherche : nous voulons étudier ce qui se passe, concrètement, dans des copropriétés aussi diverses que possibles, repérer des phénomènes peu visibles, des difficultés et des richesses cachées… Pour cela, il nous faut des partenaires qui ouvrent leur carnet d’adresses aux chercheurs, convainquent leurs collaborateurs de confier des informations parfois sensibles, mais aussi qui soient capables de discuter avec les chercheurs de leurs résultats intermédiaires, pour s’assurer qu’aucune dimension, aucun sujet n’a été oublié.»

 

Quels ont été les apports des précédents appels d’offre à la réflexion du PUCA ?

«Le PUCA a depuis longtemps été le fer de lance des recherches en sciences sociales sur les copropriétés : une large part des recherches existantes sont issues de financements du PUCA ! Les deux précédents programmes ont permis de mieux comprendre comment se jouait une rénovation en copropriété, avec des conséquences législatives, techniques, et en termes de politiques publiques.

Grâce à eux, on sait relativement bien ce qui se joue dans les grandes copropriétés des années 1960/1970 ; comment faire pour qu’une rénovation se passe bien ; l’importance de l’implication des copropriétaires dans le fonctionnement de l’immeuble.»

 

La copropriété est vue «comme une structure juridique», le ministère de la Justice sera-t-il associé aux réflexions issues de cette initiative ?

«Cet appel à recherches est orienté sur les liens entre les copropriétés et les villes. Il n’a pas vocation a priori à entraîner des changements législatifs, mais plutôt à permettre aux acteurs de la ville (acteurs publics, bailleurs sociaux, bureaux d’étude, etc.) de mieux comprendre ce qui se joue dans les copropriétés, et à les intégrer dans leurs modes de faire, en lien avec la transformation des villes françaises.

Si, au cours de nos travaux, certains résultats pouvaient soulever des questions juridiques - cela reste possible, nous associerons les ministères concernés, notamment la Chancellerie, comme c’est déjà le cas du ministère en charge du logement.

A ce stade, notre pari est plutôt de convaincre les spécialistes de l’urbain que la copropriété est, certes, une structure juridique (ce qui les concerne peu), mais aussi une organisation humaine au sein de nos villes et de quartiers.» 


En savoir plus : http://www.urbanisme-puca.gouv.fr/appel-a-projet-de-recherche-re-ge-ne-rer-les-a2309.html