Entretien : Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment durable

par Sophie Michelin-Mazeraux, Journaliste juridique
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Philippe Pelletier«La RE 2020 encadre le poids carbone des bâtiments»

Lutter contre le changement climatique en réduisant les émissions de gaz à effet de serre sur l’ensemble du cycle de vie des bâtiments, diminuer les consommations énergétiques, et mieux garantir le confort en cas de forte chaleur, telles sont les ambitions de la future réglementation environnementale dans le neuf, dite RE 2020. Il s’agit ainsi de préparer notamment les logements collectifs de demain en cohérence avec les objectifs de transition écologique du gouvernement. Philippe Pelletier, président du Plan Bâtiment Durable nous répond sur le sens de cette réglementation novatrice.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 670 de juillet-août 2021

La RE 2020 marque-elle une rupture par rapport à la RT 2012 ?

«La réponse est affirmative, mais elle ne doit pas inquiéter. Le temps est, en effet, venu de réaliser un double mouvement : rompre le cycle des réglementations thermiques (RT 2005 et 2012 notamment) et traiter de front le vrai sujet, celui de la maîtrise de nos émissions de gaz à effet de serre, que l’approche énergétique n’envisage qu’indirectement, puis prendre en compte l’impact des matériaux et des produits de construction qui est supérieur à celui des consommations d’énergie dans les bâtiments neufs.

D’où l’idée, qui s’est progressivement affermie ces dernières années, de construire avec l’ensemble des parties prenantes une réglementation environnementale, dite RE 2020, qui encadre le poids carbone des bâtiments. C’est à la fois une vraie rupture parce qu’elle nous conduit à penser autrement le bâtiment, et ce n’est pourtant qu’une approche partielle de la protection de l’environnement ; les questions, par exemple, de biodiversité, d’économie circulaire ou de santé dans le bâtiment restant extérieures à la nouvelle réglementation.

Pour autant, on doit approuver la démarche gouvernementale qui considère que mesurer le poids carbone du bâtiment est un geste suffisamment novateur pour que la RE 2020 n’aille pas au-delà. Il y a, en effet, déjà fort à faire pour réaliser collectivement l’apprentissage de la mesure du poids carbone du bâtiment au cours de son cycle de vie, étalonné sur cinquante ans, à travers ses trois phases de construction, d’exploitation et de déconstruction : tout un programme que d’apprendre à faire l’analyse du cycle de vie du bâtiment, ce qui par voie de conséquence va guider le choix des matériaux, des équipements, comme du pilotage des immeubles. Ce défi est évidemment à notre portée, la filière de la construction ayant de tous temps montré sa capacité d’adaptation au progrès.»

 

Quelles sont les incidences de la RE 2020 en termes de type de chauffage, de matériaux, ou d’isolation sur les logements ?

«Il est bien tôt pour dresser le bilan des changements induits par une réglementation qui n’est pas encore entrée en vigueur : début 2022 pour les logements, un peu plus tard pour le parc tertiaire !

On peut, toutefois, évoquer les pistes de travail qui vont être probablement celles des promoteurs et des constructeurs : du côté de l’énergie, la direction indiquée par la RE est claire. Elle nous conduit à sortir des énergies fossiles, c’est-à-dire à privilégier l’énergie nucléaire et les énergies renouvelables. Ce chemin écarte donc progressivement le chauffage au gaz, tout en ménageant la capacité de l’énergie gazière à se transformer en développant des solutions hybrides.

Du côté des matériaux, la place des matériaux bio-sourcés devrait augmenter, notamment le bois-construction, même si son développement requiert qu’on mette les bouchées doubles pour créer enfin une vigoureuse filière française du bois.

Sur le front des équipements, on peut penser que l’innovation va jouer à plein, sur le plan non seulement technique (il n’est, par exemple, pas farfelu d’imaginer que la batterie de notre véhicule électrique pourra demain alimenter en énergie notre logement à l’heure de la pointe électrique), mais aussi organisationnel, pour mutualiser entre bâtiments leur production d’énergie renouvelable (une même source pour alimenter plusieurs bâtiments), comme pour harmoniser leurs usages (l’un produit du chaud, l’autre le consomme ; l’un a besoin d’un parking de jour, l’autre la nuit, etc). Bref, à travers la question nouvelle du carbone, c’est la place du bâtiment dans son environnement que nous allons reconsidérer. Et c’est là une perspective heureuse.»

 

Pourquoi un label est-il associé à la RE 2020 ?

«Votre question est légitime. Nous avons été habitués à des labels (par exemple HQE) qui précédaient une réglementation et en assuraient ainsi l’expérimentation, et voici que nous faisons l’inverse. Puis, on peut s’interroger sur l’opportunité de “charger la barque”, alors qu’il y a déjà fort à faire pour appliquer la prochaine RE 2020.

Ces deux interrogations ont été bien sûr entendues et débattues, mais elles n’ont pas altéré le projet de sortir un label d’excellence dans la foulée même de la RE.

Trois idées, qui nous semblent décisives, guident la démarche. D’abord, et puisque la RE ne développe qu’une part des préoccupations environnementales, comme on l’a évoqué, il paraît indispensable de favoriser cette ouverture du champ thématique, au gré des acteurs, de façon à inscrire plus fermement l’immeuble dans son environnement. Ensuite, et puisque la RE porte en elle-même une courbe d’apprentissage avec des seuils triennaux (en 2022, 2025, 2028 et 2031), il est  nécessaire de permettre aux acteurs qui voudront aller plus vite, de disposer d’un signe de reconnaissance. Enfin, la méthode même d’un label qui accompagne une réglementation nouvelle est parfaitement adaptée à la volonté, largement admise, de voir la RE évoluer dans le temps, de façon progressive et concertée, et le label constitue par excellence le champ de l’expérimentation nécessaire qui autorisera, le moment venu, l’évolution alors admise.

Ce dialogue, que nous voulons installer entre la règle administrée et le label concerté, sera piloté par les acteurs eux-mêmes. En somme, ces deux dispositifs, à la fois proches et distincts, vont au cours du temps s’enrichir mutuellement, et nous pensons que c’est une bonne approche normative pour le temps d’aujourd’hui. Pour l’instant, la concertation joue à fond pour que le label qui sera mis en place traduise bien les aspirations de la filière, ainsi que celle des occupants des immeubles de demain qui aspirent à y trouver un surcroît de bien-être».