[N°643] - Entretien avec Laurent Leveneur

par Propos recueillis par Sophie Michelin-Mazeran
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 "L’assureur n’a pas d’autre choix que de respecter la décision du BCT"

Professeur à l’université Panthéon-Assas (Paris-II), Laurent LEVENEUR préside depuis plusieurs années le Bureau central de tarification (BCT). Cette autorité indépendante, tout à fait singulière dans le paysage de l’administration française, peut être saisie depuis 2014 par les syndicats de copropriétaires et les copropriétaires eux-mêmes, qui ne trouvent pas d’assureur pour couvrir leur responsabilité civile. Entretien exclusif avec son président à l’autorité incontestée.
 

Concilier l’obligation d’assurance qui pèse désormais sur la copropriété et les copropriétaires avec la liberté contractuelle de l’assureur, telle est la mission du BCT ?

Il convient de rappeler que depuis 2014, la loi ALUR impose au syndicat des copropriétaires de s’assurer contre les risques de responsabilité civile (RC) dont il doit répondre. Cette assurance couvre les dommages causés, à des copropriétaires ou à des tiers, par les bâtiments eux-mêmes (blessures dans un ascenseur vieillissant ou chute dans un escalier mal entretenu) ou par les personnes affectées au service de l’immeuble (le gardien, par exemple). Les copropriétaires (occupants ou non occupants) doivent, en outre, obligatoirement assurer leur responsabilité civile. En cas d’un ou de plusieurs refus de garantie, le syndicat ou le copropriétaire peut faire appel au BCT, chargé de fixer le montant de la prime dont l’assuré devra s’acquitter pour être couvert par l’assureur qu’il aura désigné. Et c’est un point important, le BCT n’est pas habilité à désigner une compagnie d’assurance. Sa mission exclusive : faire respecter l’obligation d’assurer et fixer le tarif en fonction des données particulières des cas concrets qui lui sont soumis. Comme l’y autorise l’article R. 250-4-3 du Code des assurances, le BCT peut, par ailleurs, décider l’application d’une franchise. Le montant maximum de la franchise est fixé réglementairement à 5 000 € pour les syndicats de copropriétaires comportant moins de 10 lots à usage de logements, de bureaux ou de commerces, et à 10 000 € par sinistre pour les autres syndicats.

En quoi la composition du BCT garantit-elle son impartialité ?

Le BCT est un organisme paritaire comprenant, à parts égales, des représentants des sociétés d’assurance et des représentants d’assujettis à l’obligation d’assurance. Pour la formation «habitation», improprement désignée comme telle dans le Code des assurances car son champ d’action est plus large, une copropriété pouvant contenir des lots autres que d’habitation, on y trouve : un à six membres représentant les assureurs et un à six membres représentant les assujettis (UNPI, CLCV, ARC, CNL, etc.). En pratique, les six membres de chacun de ces deux collèges sont tous d’excellents connaisseurs de cette responsabilité civile et du risque représenté par chaque type d’assujetti. Compte tenu du nombre croissant de saisines en matière de RC copropriétaires et syndicats des copropriétaires, nous nous réunissons en moyenne une fois par mois. En tant qu’organisme collégial, le BCT arrête ses décisions à la majorité des membres présents. En cas de partage des voix, la mienne est prépondérante. Toutefois, cette situation est marginale, le consensus prévalant dans la grande majorité des dossiers.
Comment saisir le BCT et le refus d’assurance peut-il s’entendre de manière implicite ?
La procédure pour recourir au BCT est assez minutieuse, et nous veillons à ce qu’elle soit scrupuleusement respectée. Le syndicat des copropriétaires ou le copropriétaire doit solliciter la souscription d’un contrat d’assurance par lettre recommandée avec demande d’avis de réception (LRAR) au siège de l’assureur qu’il souhaite voir garantir son risque de responsabilité civile, et non à son agence ni à un courtier. Le BCT est saisi par LRAR, au plus tard dans le délai de quinze jours, à compter de la lettre de refus de l’assureur sollicité. Ce refus peut également s’entendre de manière implicite : il résulte du silence gardé par l’assureur pendant 15 jours après réception de la demande de souscription. Le BCT, avant de statuer, demande à l’entreprise d’assurance quel tarif elle aurait appliqué si elle avait accepté le risque, et le Bureau apprécie si ce tarif est adapté, mais reste entièrement libre de sa tarification. L’instruction d’un dossier demande environ un à deux mois. La décision prise par le BCT est notifiée à l’assuré et à l’assureur dans un délai de dix jours. Il appartient ensuite au syndicat ou au copropriétaire de se rapprocher de l’assureur choisi pour que celui-ci établisse le contrat. L’assureur n’a pas d’autre choix que de respecter la décision du BCT ; à défaut, il s’exposerait au retrait de son agrément qui lui est nécessaire pour travailler en France. On peut donc parler de décisions particulièrement effectives.

Quels types de dossier sont soumis au BCT ?

En 2017, près de huit dossiers ont fait l’objet d’une décision. Plus du double sont attendues en 2018. Ainsi, les syndicats des copropriétaires et les administrateurs provisoires, en cas de difficultés financières avérées dans les copropriétés, sont de mieux en mieux informés de l’apport du BCT au bon fonctionnement de l’obligation d’assurance. Mais il n’y a pas que les copropriétés dites «fragiles» qui font appel au Bureau. Celles frappées par un arrêté de péril, avec des risques d’effondrement de planchers et de plafonds, ou de chutes de pierres de façade, peinent à trouver un assureur qui accepte de les garantir pour leur responsabilité civile. Elles recourent alors au BCT. Les dossiers ne sont pas géographiquement que franciliens ; la France entière, y compris les territoires d’outre-mer, est représentée dans les affaires pour lesquelles nous sommes saisis. Autre point important : les dossiers de la section «habitation» du bureau ne se caractérisent pas par un degré de complexité particulier. En revanche, de délicates questions se posent pour déterminer si le risque qui nous est soumis relève bien du périmètre de l’assurance de responsabilité civile ou de celui de l’assurance de dommages. Le BCT vérifie que cette condition de fond de la responsabilité civile est bien remplie, car elle est décisive de sa compétence.

En savoir plus :
www.bureaucentraldetarification.com.fr, 01 53 21 50 40, Cette adresse e-mail est protégée contre les robots spammeurs. Vous devez activer le JavaScript pour la visualiser.