[N°639] - Entretien avec Soazig Ledan-Cabarroque

par YS
Affichages : 2626

 "Les syndics sont soumis à de nouvelles obligations"

Docteur en droit, Soazig Ledan-Cabarroque, chercheur associé et chargé d’enseignements à l’université Bordeaux IV, est spécialiste de la norme LAB-FT (lutte anti-blanchiment et financement du terrorisme). La rédaction a voulu connaître le sort des professionnels de l’immobilier et particulièrement des syndics au regard de ces nouvelles obligations. Lire également "Les syndics et la lutte contre le blanchiment de capitaux".

 

 

Pouvez-vous nous expliquer en quoi consiste la déclaration de soupçon auprès de TRACFIN ?
La déclaration de soupçon est une obligation légale de révéler à TRACFIN toutes les sommes ou les opérations portant sur des sommes, dont le professionnel sait ou soupçonne, qu’elles proviennent d’une infraction punie par au moins un an d’emprisonnement.
Le champ d’application de la déclaration est particulièrement étendu. Il faut oublier la raison d’être historique du dispositif LAB-FT. A l’origine, la déclaration a été conçue pour lutter contre certaines infractions limitativement énumérées (trafic de stupéfiants, activité criminelle organisée, fraude aux intérêts financiers de l’UE, corruption et financement du terrorisme). Aujourd’hui, et ce depuis 2009, le dispositif vise à prévenir ou détecter l’utilisation de capitaux notamment issus d’une escroquerie, d’un abus de bien social, de fraudes fiscales ou sociales.
Le professionnel n’a pas à qualifier les faits pénalement pour pouvoir émettre une déclaration, ni même à déterminer l’origine exacte des fonds. A partir du moment où il n’obtient pas d’informations suffisantes et cohérentes, il doit émettre sans délai sa déclaration. Le fait générateur d’une déclaration est subjectif car il repose sur l’analyse personnelle de la situation par le professionnel. Ce dernier doit garder à l’esprit que le doute est suffisant, mais nécessaire, à l’émission de la déclaration.
Il est suffisant car la déclaration n’exige pas que le professionnel ait la certitude de l’illicéité de l’opération réalisée ou qui s’apprête à l’être.
Il est nécessaire car le professionnel doit indiquer de manière exhaustive les éléments portés à sa connaissance qui ont fait naître en lui la raison de soupçonner que la situation ne semble pas être en conformité avec la loi. Le déclarant doit justifier la raison de l’émission de sa déclaration.
Si les faits parviennent à être qualifiés pénalement, TRACFIN transmet une note d’information au procureur de la République. Il est important de souligner que ce n’est pas la déclaration remplie par le professionnel qui est transmise au procureur, mais un document faisant état des faits révélés et confirmés par l’enquête de TRACFIN. Le procureur n’a pas connaissance de l’identité des personnes signataires de la déclaration.
Mais la déclaration n’est que la conséquence d’une autre obligation qui lui est étroitement liée. Aussi, expliquer la déclaration sans mentionner l’obligation qui la précède, serait méconnaître le rôle fondamental de cette dernière. Il s’agit de l’obligation de vigilance. Elle désigne le recueil par le professionnel de données sur des personnes (physiques ou morales) ou sur des opérations, adapté au risque LAB-FT. Ainsi, la déclaration de soupçon est la conséquence de l’obtention des informations recueillies au titre de l’obligation de vigilance et de l’analyse de celles-ci par le professionnel. Ce dernier ne doit donc pas sous-estimer l’importance de cette obligation. Le risque est important puisque l’inexécution de cette obligation de vigilance, ou la mauvaise exécution de celle-ci, peut être à, elle seule, le fait générateur de sanctions.

Quelles sont les sanctions susceptibles d’être prononcées à l’encontre des contrevenants ?
L’inexécution (ou une exécution déficiente) des obligations de vigilance et de déclaration fait encourir des sanctions disciplinaires et/ou pénales.
La sanction disciplinaire est prononcée par la Commission nationale des sanctions contre un professionnel de l’immobilier. Les agents de la DGCCRF, qui ont pour mission de contrôler l’exécution des obligations, transmettent à ladite Commission les situations susceptibles d’être sanctionnées par un blâme, un avertissement, une interdiction professionnelle temporaire, le retrait de l’agrément ou de la carte professionnelle, une amende d’un montant maximal de cinq millions d’euros (ou le double de l’avantage retiré du manquement lorsqu’il est déterminable) et la publication de la sanction. A titre d’illustration, la Commission a sanctionné une agence immobilière par un blâme et une amende pour s’être contentée d’un document avec des indications générales ne répondant pas aux conditions d’une véritable cartographie des risques (CNS, rapport d’activité 2016).
La sanction pénale est encourue lorsque le professionnel se rend complice, voire coauteur, de l’infraction qu’il a dissimulée en ne la révélant pas, ou de l’infraction déclarée tardivement afin que la personne déclarée organise sa fuite et celle de ses capitaux. Elle est également encourue si le professionnel a participé à la réalisation de l’infraction en s’abstenant d’exécuter son obligation de vigilance. Bien entendu, en tous les cas, le professionnel doit avoir eu conscience de son rôle. En pratique, l’intention découle des circonstances de fait, autorisant la chambre criminelle a indiqué que «le professionnel de l’immobilier ne pouvait pas ne pas ignorer» l’origine douteuse des fonds (Cass. crim. 26 janvier 2005, n° 04-83.972).

En matière immobilière, quelles sont les professions qui sont concernées au premier chef ?
Le 8° de l’article L. 561-2 du Code monétaire et financier soumet à l’ensemble du dispositif LAB-FT «les personnes exerçant les activités mentionnées aux 1°, 2°, 4°, 5°, 8° et 9° de l’article 1er de la loi n° 70-9 du 2 janvier 1970 réglementant les conditions d’exercice des activités relatives à certaines opérations portant sur les immeubles et les fonds de commerce». Etant précisé que l’article ne renvoie pas aux critères énoncés par les articles postérieurs à l’article 1er de la loi, ce qui inclurait les activités d’entremise immobilière selon la DGCCRF et TRACFIN (cf. leurs lignes directrices).
Il est important de souligner que les agences immobilières sont soumises aux obligations LAB-FT concernant leurs mandats de ventes mais également, concernant leurs activités de location qui étaient jusqu’à présent exclues du dispositif.
Quant aux syndics de copropriété, ils doivent prendre conscience des nouvelles obligations auxquelles ils sont soumis au même titre que n’importe quel autre assujetti au dispositif LAB-FT, même si certaines dispositions doivent nécessairement être adaptées à la nature particulière de leurs missions. l