Copropriété | Parties communes et jouissance privative

par David RODRIGUES, Juriste à l'association Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV)
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David Rodrigues, auteur des Informations rapides de la copropriété
©Sébastien Dolidon / Edilaix

Le droit de jouissance privative constitue en soi une curiosité car il consiste à réserver l’usage exclusif d’une partie commune au propriétaire d’un lot. Une privatisation de parties communes en quelque sorte, alors même qu’elles font l’objet d’une propriété indivise entre l’ensemble des copropriétaires. Cependant, la partie grevée d’un droit de jouissance ne saurait être assimilée à une partie privative, avec toutes les conséquences qui en découlent, notamment en cas de travaux.

Définition.-

Il n’est pas rare qu’une partie commune soit affectée à l’usage exclusif d’un copropriétaire, une toiture terrasse ou encore le jardin attenant à un lot situé en rez-de-chaussée, par exemple. Bien que fréquent en pratique, les textes définissant le droit de jouissance privative sont relativement récents puisque le premier à traiter du sujet est la loi ELAN de 2018 (loi n° 2018-1021 du 23 novembre 2018). Cette dernière a effectivement créé au sein de la loi du 10 juillet 1965 un article 6-3 ainsi libellé : «Les parties communes à jouissance privative sont les parties communes affectées à l’usage ou à l’utilité exclusifs d’un lot. Elles appartiennent indivisément à tous les copropriétaires». Le droit de jouissance privatif ne doit pas se confondre avec la simple tolérance accordée à un copropriétaire, telle que la possibilité de stationner son véhicule sur une partie commune. Cette tolérance, par définition précaire, ne constitue en aucun cas un droit réel et perpétuel, contrairement au droit de jouissance (Cass. 3e civ., 4 mars 1992, n° 90-13.145).

Selon l’article 6-3 précité, le droit de jouissance est nécessairement accessoire au lot de copropriété auquel il est rattaché, confirmant ainsi le caractère réel de ce droit et le fait qu’il n’est pas rattaché une personne.

Par ailleurs, la partie faisant l’objet d’un droit de jouissance demeure une partie commune puisqu’elle appartient indivisément à tous les copropriétaires. Elle ne constitue donc pas une partie privative et son bénéficiaire ne peut en acquérir la propriété par usucapion. Cependant, le droit de jouissance peut être acquis via la prescription acquisitive.

 

Création du droit de jouissance privative.-

L’existence du droit de jouissance privative peut être prévue dès l’origine par le règlement de copropriété, le rattachant expressément à un lot en particulier. Il peut également être décidé par l’assemblée générale, laquelle statuera alors à la double majorité de l’article 26 (Cass. 3e civ., 26 mars 2020, n° 19-10.210). Dans une affaire, un droit de jouissance accordé à une personne a été validé, allant ainsi à l’encontre de son caractère réel. En conséquence, le droit disparaît en cas de déménagement ou de décès du bénéficiaire (Cass. 3e civ., 13 nov. 2003, n° 02-12.384). Ce droit peut également être acquis par usucapion et se transmettre lors d’une vente. La Cour de cassation a ainsi estimé que l’accomplissement par les propriétaires successifs d’actes matériels de possession d’un droit d’usage exclusif sur une partie commune, incompatibles avec une simple tolérance du syndicat des copropriétaires, et le fait que cette possession se soit poursuivie dans le temps démontraient que les propriétaires successifs, indépendamment du silence des actes de vente, avaient entendu céder ce droit d’usage exclusif à leurs acquéreurs (Cass. 3e civ., 12 déc. 2024, n° 23-12.804 et n° 23-12.968). Cependant, la prescription acquisitive ne peut être invoquée lorsque la jouissance sur la partie commune résulte d’une simple tolérance (Cass. 3e civ., 6 mai 2014, n° 13-16.790). Une fois conféré, le droit de jouissance ne peut être modifié que par une décision à l’unanimité des membres du syndicat (CA Paris, 5 févr. 1990, n° 87/4471).

S’il est créé par une décision de l’assemblée générale, cette dernière devra en parallèle procéder à la modification du règlement de copropriété, à la majorité de l’article 26.

 

Régime du droit de jouissance privative.-

La partie grevée du droit de jouissance conservant son statut de partie commune, le coût de travaux l’affectant incombe à l’ensemble des copropriétaires selon les stipulations du règlement de copropriété. L’article 6-3 indique à cet effet que le règlement de copropriété doit préciser, le cas échéant, les charges que le titulaire du droit de jouissance privative supporte. Ainsi, en l’absence de clauses particulières du règlement, l’entretien de la terrasse, partie commune à jouissance exclusive, incombe au syndicat (Cass. 3e civ., 17 nov. 1983, n° 82-13.495). Dans la pratique, le revêtement incombera au bénéficiaire du droit de jouissance tandis que les travaux lourds, touchant le gros œuvre, tels que ceux relatifs à l’étanchéité de la toiture terrasse par exemple, seront supportés par le syndicat.

Le copropriétaire qui souhaite réaliser des travaux doit solliciter au préalable l’autorisation de l’assemblée générale, laquelle statuera à la majorité de l’article 25 b. Il ne peut donc, de sa propre initiative, édifier une construction ou transformer la partie commune en question.

 

Mise à jour des règlements de copropriété.-

Selon l’article 9-4 de la loi de 1965, l’existence d’une partie commune à jouissance privative est subordonnée à sa mention expresse dans le règlement de copropriété. Cette disposition a été insérée par l’article 209 de la loi ELAN qui a connu quelques modifications. Le texte initial prévoyait l’obligation de mise à jour des règlements au plus tard jusqu’au 24 novembre 2021. La crise sanitaire ayant entrainé de nombreux retards, l’article 209 a été modifié par la loi dite 3DS du 21 février 2022 (loi n° 2022-217 du 21 février 2022).

Ainsi, pour les immeubles dont la mise en copropriété est antérieure au 1er juillet 2022, quand le règlement de copropriété ne mentionne pas les parties communes à jouissance privative existantes, la question de sa mise à jour doit être inscrite à l’ordre du jour de l’assemblée générale, laquelle statuera à la majorité de l’article 24. Toutefois, l’absence d’une telle mention dans le règlement est sans conséquence sur l’existence de ces parties communes, privant ainsi l’obligation de mise à jour de toute réelle portée.