La copropriété en main dominante

par David Rodrigues, Juriste à l’association Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV)
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On parle de copropriété en main dominante lorsque l’un des copropriétaires détient plus de la moitié des quotes-parts de parties communes. Or, en assemblée générale, une telle situation est problématique dans la mesure où la personne majoritaire impose alors son vote aux autres copropriétaires. Avec le risque que les décisions prises ne le soient pas dans l’intérêt du syndicat... C’est pourquoi le législateur est intervenu et a mis en place certaines règles en vue de contourner cet écueil.

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Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 695 de janvier - février 2024

Le principe de la réduction des voix du copropriétaire majoritaire.- La règle est posée par le 2e alinéa de l’article 22 de la loi du 10 juillet 1965. Ainsi, «chaque copropriétaire dispose d’un nombre de voix correspondant à sa quote-part dans les parties communes. Toutefois, lorsqu’un copropriétaire possède une quote-part des parties communes supérieure à la moitié, le nombre de voix dont il dispose est réduit à la somme des voix des autres copropriétaires».

Autrement dit, il est procédé à une diminution de la quote-part du copropriétaire majoritaire afin de la ramener au niveau de celle des autres membres du syndicat. A titre d’exemple, les voix du copropriétaire qui détient 600/1 000e sont ramenées à 400/1000e (1000-600). Aussi, dans le cadre d’une résolution relevant de la majorité de l’article 25, il est alors nécessaire qu’un ou plusieurs copropriétaires votent dans le même sens que le copropriétaire majoritaire pour qu’elle soit adoptée. Un procédé qui permet à l’assemblée générale de conserver son rôle de lieu de débats. Toutefois, les dispositions de l’article 22 n’ont pas été sans poser quelques problèmes d’interprétation.

La mise en place de la réduction des voix.- La principale difficulté relative à la réduction des voix consiste à savoir dans quelles situations elle doit s’opérer. Car, si l’article 22 fait référence au copropriétaire détenant plus de la moitié de la quote-part des parties communes, la question se pose de savoir si le caractère majoritaire s’apprécie une fois pour toute ou, au contraire, doit être déterminé pour chaque assemblée générale. 

Imaginons un copropriétaire détenant 300/1000e et une assemblée générale dont le total des voix des copropriétaires présents, représentés ou votant par correspondance serait de 500/1000e. Faut-il procéder à la réduction des voix et ramener les tantièmes de l’intéressé à 200/1 000e (500-300) ? C’est ce qu’estimait la cour d’appel de Paris qui, dans une décision en date du 23 octobre 1998, retenait que le calcul devait être fait lors de chaque assemblée générale et à l’occasion de chaque vote, en fonction des voix des copropriétaires minoritaires présents ou représentés (CA Paris, 23 oct. 1998, n° 1996/16173). Une position réitérée dans un arrêt du 19 octobre 2006 mais qui sera censurée par la Cour de cassation. En effet, pour la Haute juridiction, le nombre de voix attribuées au copropriétaire majoritaire doit être réduit à hauteur des voix de tous les copropriétaires, et non des seuls copropriétaires présents ou représentés (Cass. 3e civ., 2 juill. 2008, n° 07-14.619). De fait, le caractère majoritaire s’apprécie une fois pour toute et non assemblée générale par assemblée générale.

L’appréciation du caractère majoritaire pose également des difficultés en cas de communauté d’intérêts. A titre d’exemple, la réduction des voix ne s’applique pas au gérant d’une SCI qui a conféré, par donation à ses enfants, la nue-propriété de plusieurs lots et qui exerce un mandat de vote pour l’ensemble desdits lots (Cass. 3e civ., 25 mai 2023, n° 22-14.180). Ou encore lorsqu’un époux est seul propriétaire d’un lot et en indivision avec son conjoint pour un autre lot (CA Lyon, 19 oct. 1994, n° 93/00448). En d’autres termes, la réduction de l’article 22 ne s’applique que lorsque les voix rattachées aux lots concernés sont entre les mains d’une même personne. 

Les exceptions à la règle de réduction des voix.- Des dispositions particulières existent pour les syndicats dont le nombre de voix est réparti entre deux copropriétaires (art. 41-16, L. 10 juillet 1965). Ainsi : 

- les décisions de l’assemblée générale relevant de la majorité de l’article 24, ainsi que la désignation du syndic, peuvent être prises par le copropriétaire détenant plus de la moitié des voix ;

- les décisions de l’assemblée générale relevant de la majorité de l’article 25 sont prises par le copropriétaire détenant au moins deux tiers des voix ;

Il s‘agit ici d’éviter les situations de blocage, l’article 22 impliquant bien souvent, dans le cas des copropriétés à deux, des prises de décision à l’unanimité.

Autre exception, plus spécifique, celle de la vente HLM. La diminution des voix ne s’applique pas au bailleur social qui a cédé une partie de ses lots et qui demeure copropriétaire (art. L. 443-15, CCH). Ainsi, l’organisme HLM, qui peut également être syndic de plein droit de l’immeuble, a alors la capacité de s’auto-approuver les comptes, de s’accorder le quitus et d’imposer la réalisation de travaux, avec les risques de mise en difficulté des copropriétaires si la question de leur financement n’a pas été abordée. Une situation assez contestable…

La sanction en cas de non-diminution des voix.- Le non-respect des dispositions de l’article 22 entraîne la nullité des résolutions concernées (CA Paris, 29 nov. 2007, n° 07/03320), quand bien même l’issue du vote aurait été identique si la réduction des voix avait été opérée (CA Paris, 7 oct. 2009, n° 08/00889).

Par ailleurs, les juges peuvent sanctionner les fraudes à la loi lorsqu’il apparaît que des décisions patrimoniales ne sont prises que dans le seul objectif de contourner la règle de diminution des voix. Tel est le cas, par exemple, d’une donation faite au conjoint alors que cet acte n’était pas de nature à mettre de l’ordre dans les affaires du donateur, ni à épargner toute difficulté de gestion à l’épouse qui demeurerait propriétaire de lots au cas de prédécès du mari (Cass. 3e civ., 21 févr. 1995, n° 93-13.162).