Copropriété : La passerelle de majorité est-elle compatible avec le vote par correspondance ?

par David Rodrigues, Juriste à l’association Consommation, Logement et Cadre de Vie (CLCV)
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copropriété - vote par correspondanceLe vote par correspondance a toujours déchainé les passions, entre ses opposants qui y voient un déni de démocratie et ses partisans qui, au contraire, accueillent favorablement ce nouveau mode d’expression permettant d’améliorer la participation aux assemblées générales. Cependant, nul ne peut dénier l’apport de ce dispositif au regard de la crise sanitaire puisque c’est en grande partie grâce à lui que les copropriétés ont pu continuer à fonctionner. Cependant, cette mise en lumière brutale du vote par correspondance, alors qu’il n’était censé n’être qu’un mode supplétif de participation aux assemblées générales, a entraîné de nombreuses interrogations de la part des copropriétaires et des professionnels, et ce sans que l’on n’ait un recul suffisant pour apporter des réponses satisfaisantes. Parmi les problèmes les plus fréquemment soulevés se trouvent les modalités d’utilisation des passerelles de majorité. Or, si une récente décision de justice est venue apporter des précisions bienvenues, elle ne fournit pas de solutions concrètes pour autant.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 671 de septembre 2021

Définition des passerelles de majorité

Les passerelles de majorité consistent à organiser un second vote à une majorité moindre que celle prévue initialement dès lors que certaines conditions sont remplies. Prévues par les articles 25-1 et 26-1 de la loi du 10 juillet 1965, ces derniers précisent, dans les deux cas, que l’assemblée générale doit se prononcer «en procédant immédiatement à un second vote» dès que les critères fixés par les textes pour procéder à une passerelle de majorité sont remplis. Il est possible de recourir à la passerelle de majorité de l’article 25-1 lorsque le projet de résolution a recueilli au moins le tiers des voix du syndicat et à celle de l’article 26-1 lorsque le projet de résolution projet a au moins recueilli l’approbation de la moitié des membres du syndicat des copropriétaires présents, représentés ou ayant voté par correspondance, représentant au moins le tiers des voix de tous les copropriétaires.

Il est donc clairement fait référence à l’organisation d’un second scrutin de sorte que chaque copropriétaire doit se prononcer à deux reprises sur la résolution concernée. Or, c’est précisément ce formalisme qui pose problème dans le cadre du vote par correspondance puisqu’aucun débat n’est organisé.

 

Petits arrangements de la pratique

Bon gré mal gré, les syndics ont très majoritairement contourné la problématique en reportant de façon systématique les résultats du premier scrutin sur le second. Une façon d’éviter tout blocage dans le processus décisionnel de l’assemblée générale et d’éviter ainsi que la copropriété ne se retrouve privée de gestionnaire ou de conseillers syndicaux par exemple. Pour autant, la question de la validité même des résolutions ainsi adoptées se pose. Et c’est précisément sur ce point que le tribunal judiciaire d’Orléans a été amené à se prononcer, dans un jugement en date du 5 mai 2021.

 

L’impasse du second vote

Dans cette affaire, les juges ont considéré «qu’en procédant à un second scrutin fondé sur les intentions de vote du premier, sans qu’il soit donné possibilité aux copropriétaires de connaître les résultats du premier, le syndicat a non pas fait procéder à un second vote, mais repris les votes du premier, privant ainsi les copropriétaires de leur droit d’évoluer dans la réflexion et de changer leur vote sur ces résolutions entre les deux tours, et partant d’exprimer librement leur intention de vote à l’occasion d’un nouveau scrutin».

Et les juges de poursuivre : «dès lors, en empêchant les copropriétaires d’exprimer en conscience leur voix au cours d’un réel second vote, le syndicat a agi en violation du droit de vote de chacun des copropriétaires».

Par conséquent, il convient bien d‘organiser deux scrutins. En ne faisant que reporter les résultats du premier vote sur le second, les syndics ont ainsi contrevenu au formalisme imposé par les textes. Comment procéder alors ? On pourrait imaginer d’adapter le formulaire de vote en mentionnant expressément les deux scrutins sous chaque résolution susceptible de faire l’objet d’une passerelle de majorité. Concrètement, le syndic laisserait deux lignes en indiquant, par exemple, «premier vote» et «le cas échéant, second vote en raison de la passerelle de majorité». Le GRECCO fait d’ailleurs une proposition de ce type (lire : Préconisation n° 11, “IRC” janv-févr. 2021, n° 665, p. 12). Or, le tribunal judiciaire va plus loin et ce tour de passe-passe rédactionnel permettant de mentionner deux votes au lieu d’un, pourrait ne pas suffire.

En effet, si les juges se sont basés sur l’absence d’organisation d’un second scrutin, empêchant ainsi toute évolution dans les réflexions sur un sujet donné, ils ont également mis en avant l’impossibilité faite aux copropriétaires de connaître les résultats du premier vote. Or, cela est impossible dans le cadre d’un vote par correspondance, le votant étant par définition absent de l’assemblée générale. Si l’on devait suivre à la lettre les prescriptions des juges, il faudrait que toutes les résolutions concernées par une passerelle de majorité soient abordées dans une seconde assemblée générale, organisée ultérieurement, afin que les copropriétaires puissent précisément prendre conscience des résultats du premier vote. Un formalisme qui ne sera jamais respecté, sauf éventuellement dans de petites copropriétés.

Par cette décision, le tribunal judiciaire d’Orléans a apporté des précisions importantes, bien que prévisibles, concernant l’utilisation de la passerelle de majorité dans le cadre du vote par correspondance, mais l’argumentaire utilisé risque de créer encore davantage de complexité. A voir comment statueront d’autres juridictions et si les pouvoirs publics modifieront les textes actuels ou non. A minima, il serait souhaitable que les syndics prévoient bien deux lignes de votes pour les résolutions potentiellement concernées par les passerelles de majorité, quitte à ce que cela rallonge le formulaire, le temps d’étudier les évolutions de la jurisprudence ou que les textes soient modifiés. Mais si rien n’est fait au plus vite, il est à craindre que le vote par correspondance ne soit, en dehors de tout contexte sanitaire, que peu usité du fait de sa fragilité juridique.