[CCED - N°15] - Le syndic et les «marchands de sommeil»

par Jean-Marc ROUX - Directeur scientifique des Éditions Edilaix
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La gestion d’un immeuble en copropriété amène le syndic à être en contact, directement ou indirectement, avec les propriétaires de lots ou leurs occupants. À raison de cette proximité, et eu égard aux missions qu’il assure au sein des immeubles, il est l’une des personnes qui, selon les pouvoirs publics, peut aider au repérage des personnes qui se livrent à des activités connues sous l’appellation de «marchands de sommeil».
Il en est découlé pour lui une obligation particulière visant à attirer l’attention des autorités.

La loi ELAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 (JO 24 nov.) s’est attachée plus particulièrement à lutter contre l’habitat indigne et les marchands de sommeil. Cette démarche est le fruit d’un constat accablant qui reflète les conditions dans lesquelles vivent encore aujourd’hui beaucoup (trop) de nos concitoyens.

420 000 logements indignes ou dégradés
L’article 1-1 de la loi n° 90-449 du 31 mai 1990 visant à la mise en œuvre du droit au logement, dispose que «constituent un habitat indigne les locaux ou les installations utilisés aux fins d’habitation et impropres par nature à cet usage, ainsi que les logements dont l’état, ou celui du bâtiment dans lequel ils sont situés, expose les occupants à des risques manifestes pouvant porter atteinte à leur sécurité physique ou à leur santé.»
L’étude d’impact de la loi ELAN a dressé un état sommaire mais édifiant de ce fléau. Il y est mentionné qu’en France, «le parc privé potentiellement indigne (PPPI) est estimé à 420 000 logements indignes ou dégradés. Près de 52 % de ces logements appartiennent à des propriétaires bailleurs privés. Certains d’entre eux se constituent un parc locatif en achetant à bas prix des biens dégradés souvent situés dans un environnement dévalorisé. Ce sont des «marchands de sommeil» qui louent des logements indignes à des personnes vulnérables ou en situation de dépendance. L’activité des «marchands de sommeil» a pour principale motivation un intérêt économique. D’une part, ceux-ci cherchent à maximiser leur revenu en offrant à la location un bien en mauvais état qu’ils n’entretiennent pas et en tirant profit de la détresse de leurs locataires qui souvent paient leur loyer en liquide. D’autre part ces bailleurs indélicats organisent leur insolvabilité en ayant recours à des sociétés civiles immobilières (SCI) qui font écran».1

Moins de 100 condamnations par an

La loi n° 2014-366 du 24 mars 2014 (dite loi ALUR) avait pris un certain nombre de mesures à destination des «marchands de sommeil». On se souvient notamment de l’article L. 551-1 du Code de la construction et de l’habitation (CCH) destiné à empêcher la possibilité pour des personnes condamnées à ce titre de se porter acquéreur d’un bien immobilier à usage d’habitation.
Ainsi, pour l’application de la peine d’interdiction d’acheter un bien immobilier à usage d’habitation prévue au 5° bis de l’article 225-19 du Code pénal, au 3° du IV de l’article L. 1337-4 du Code de la santé publique et au 3° du VII de l’article L. 123-3 et au 3° du III de l’article L. 511-6 du CCH, le notaire chargé d’établir l’acte authentique de vente d’un bien immobilier à usage d’habitation ou d’un fonds de commerce d’un établissement recevant du public à usage total ou partiel d’hébergement, vérifie si l’acquéreur personne physique ou l’un des associés ou mandataires sociaux de la société civile immobilière ou en nom collectif se portant acquéreur a fait l’objet de l’une de ces condamnations.  
Il n’en demeure pas moins vrai que les résultats concrets de cette politique se sont avérés décevants. Ainsi, selon l’étude d’impact déjà citée, un peu moins d’une centaine de condamnations a été prononcée chaque année. En 2015, sur les 83 condamnations de personnes physiques, 9 peines d’emprisonnement ont été prononcées, dont 2 peines de prison ferme. Selon le type d’infraction sanctionnée, le montant moyen des amendes prononcées s’élève entre 1 000 euros et 10 000 euros.

L’obligation de signalement

«Les marchands de sommeil, je leur déclare la guerre ni plus ni moins, sans merci, sans relâche, avec une détermination totale». Tels étaient les mots du secrétaire d’Etat auprès du ministre de la Cohésion des territoires, Julien Denormandie, durant l’été sur les antennes de RMC et de BFMTV. Ces «propriétaires voyous» ont donc fait l’objet d’une attention toute particulière des pouvoirs publics.
La lutte contre les marchands de sommeil a ainsi pris une autre dimension avec la loi ELAN, traduisant un renforcement de l’action publique en ce domaine.
Mais, encore faut-il pouvoir identifier ceux qui se livrent à ce type d’activité délictueuse afin de mettre en œuvre les procédures administratives, judiciaires et fiscales que le gouvernement a prévu à leur encontre.
La copropriété étant l’un des terrains d’élection des marchands de sommeil, la loi nouvelle a inséré dans la loi du 10 juillet 1965 un article 18-1-1, nouveau, obligeant le syndic à signaler au procureur de la République les faits qui sont susceptibles de constituer une des infractions prévues aux articles 225 14 du Code pénal, L. 1337 4 du Code de la santé publique et L. 123 3, L. 511 6 et L. 521 4 du Code de la construction et de l’habitation. Ces dispositions visent en particulier le fait de soumettre une personne, dont la vulnérabilité ou l’état de dépendance sont apparents ou connus de l’auteur, à des conditions d’hébergement incompatibles avec la dignité humaine, la salubrité des immeubles ou encore les bâtiments menaçant ruine et les bâtiments insalubres. Il a été mentionné que ce signalement était effectué sans préjudice, le cas échéant, de la déclaration prévue à l’article L. 561 15 du Code monétaire et financier2.
Pour faite bonne mesure, la loi ELAN a amendé également la loi n° 70 9 du 2 janvier 1970, dite loi Hoguet, en créant un article 8-2-1 aux termes duquel toutes les personnes exerçant les activités désignées aux 1°, 6° et 9° de l’article 1er de la loi de 1970 signalent au procureur de la République les faits qui sont susceptibles de constituer l’une des infractions précédemment citées. L’obligation vise ainsi, outre les syndics de copropriété, les gestionnaires locatifs et les agents immobiliers. Et il y a fort à parier qu’une telle obligation pèse également sur l’administrateur provisoire de copropriété désigné par le président du tribunal de grande instance.

Affaire à suivre donc…

1 - État des lieux en page 343 de l’étude d’impact.
2 - Sur ce point, voir l’article de Soazig Ledan-Cabarroque, Les syndics et la lutte contre le blanchiment de capitaux, Inf. rap. copr. juin 2018, p. 11.