[CCED N°8] - Le reportage : Copropriété «Canuts» à Argenteuil, un plan de sauvegarde prometteur

par Nathalie Brocard-Figuière, juriste
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L’histoire met en scène une équipe de professionnels et de copropriétaires, tous animés par une détermination hors du commun pour sauver un immeuble qui s’était engagé dans une spirale de difficultés financières.

Pour comprendre cette histoire, il faut remonter douze ans en arrière.
Le syndic Cazalières à Paris (17ème) est désigné en décembre 2005 comme gestionnaire de la copropriété située 2, place des Canuts à Argenteuil (95). Le cabinet avait déjà fait ses armes dans des copropriétés voisines du Val d’Argenteuil et son professionnalisme avait convaincu les copropriétaires de lui confier la gestion de leur immeuble.


L’état des lieux

Le dossier présente d’emblée des caractéristiques complexes. La résidence est composée d’une tour d’habitation (R+14) des années 70 divisée en 80 lots principaux (majoritairement des 4 pièces de 80 m² environ).
L’immeuble est situé sur une dalle piétonnière qui recouvre les voies de circulation, dans le périmètre d’une association syndicale libre (ASL) avec cinq autres copropriétés, dont une autre tour. L’ASL gère pour l’ensemble : une chaufferie collective, les réseaux d’eau chaude et d’eau froide (avec des compteurs difficiles à localiser).
La résidence a connu ses premières difficultés financières vers 1995, à la suite de diverses mutations et de l’occupation par des ménages plus modestes qu’à l’origine, souvent locataires. La ville a fait usage de son droit de préemption à quelques reprises, mais l’engrenage des impayés s’est mis en marche. La copropriété est desservie par de nombreux services publics et conserve une attractivité par sa situation géographique à quinze minutes de la gare St Lazare au cœur de Paris. Mais, en 2005, le montant des impayés correspond à une année de budget ; la valse des syndics a contribué à une situation d’échec. Les copropriétaires ne sont plus en mesure d’assurer les travaux de conservation de l’immeuble, alors que les équipements arrivent en fin de cycle.
Cependant, le modèle d’une copropriété voisine bénéficiaire d’un plan de sauvegarde qui s’achève en donnant des résultats prometteurs, redonne confiance aux sept membres du conseil syndical. Mme Richer, présidente du conseil et copropriétaire présente depuis 1971, mobilise alors “ses co-équipiers” afin de redresser le syndicat avec l’aide du nouveau syndic : le cabinet Cazalières.
Au vu des pièces et divers éléments fournis au moment de la succession de syndics fin 2005, la gestionnaire du cabinet s’aperçoit très vite qu’il convient d’allier son énergie à celle du conseil syndical pour sortir la copropriété de l’impasse. Aucune cotisation n’était plus payée à l’ASL, le maintien du chauffage n’était plus garanti.


Le concours des acteurs publics

Sur accord de l’assemblée générale, le syndic commence par mensualiser les provisions de charges. Cette formule lui permet d’être réactif dès le premier mois en impayé.
Courant 2006, le syndic saisit en urgence la ville d’Argenteuil pour obtenir une aide financière afin de lancer les procédures de recouvrement d’impayés avec l’aide d’un avocat. L’aide allouée permet de collecter 150 000 euros.
Un protocole est signé avec le chauffagiste dans le cadre d’une procédure judiciaire pour qu’il assure sa prestation avec un échéancier de paiement négocié sur dix ans.
À la suite de plusieurs adjudications à des prix très peu élevés, la proportion des lots détenus par des propriétaires souvent peu délicats tend à avoisiner les 40 %. Les difficultés financières s’accentuent. Les sociétés d’entretien s’investissent au maximum de leurs capacités pour maintenir la résidence dans les meilleures conditions possibles alors qu’elle se dégrade inexorablement.
Mme Richer saisit le maire de la ville afin de le sensibiliser aux difficultés particulières de sa copropriété et des immeubles adjacents. Elle informe également la sous-préfecture. Les réunions avec les pouvoirs publics, déjà saisis de la question, sont multipliées afin de trouver une solution. Mme Richer souligne que ce soutien a été «moralement déterminant pour le conseil syndical» qui s’est senti épaulé dans sa démarche.


La chasse aux impayés

Le syndic mène en parallèle une grande campagne d’information et de communication sur les risques des impayés, tant au moment de la tenue des assemblées, que par voie d’affichage. À la suite du vote de plusieurs saisies immobilières inscrites à l’ordre du jour d’assemblées générales, une prise de conscience naît chez les copropriétaires. Certains viennent spontanément demander un protocole transactionnel d’apurement de leur dette au gestionnaire. Mme Abribat, du cabinet de syndic, relève que c’est «en occupant le terrain sans relâche qu’on arrive à mobiliser les copropriétaires». Selon elle, c’est l’amorce du changement de comportement des copropriétaires qui a orienté vers le vent favorable du plan de sauvegarde (tel qu’il existait avant la loi n° 2014-366 du 24 mars 2014, dite ALUR).
Sur appel d’offre de la ville d’Argenteuil, l’opérateur Ozone est chargé par la préfecture de suivre le dossier. Un diagnostic minutieux de la résidence lui permet de recenser des informations variées et précises (typologie des occupants, état des impayés, environnement social et urbain, engagement du conseil syndical, préconisation-estimation-délai-conditions de travaux). Après présentation de la demande détaillée au préfet et audition de chaque partie prenante, le plan pluri-annuel de sauvegarde est approuvé fin 2009. Dans la résidence, sa présentation a lieu lors d’une assemblée spécialement réunie à cet effet, à laquelle tous les acteurs participent pour expliquer le processus aux copropriétaires à venir et répondre à leurs interrogations.
Un maître d’œuvre et neuf sociétés intervenantes sont retenus après appel d’offre mené par Ozone, et en concertation du conseil syndical. Un coordonnateur en matière de sécurité et de protection de la santé, un contrôleur technique (nécessaire au vu du montant important des travaux à engager) et un assureur pour la dommages-ouvrage, sont choisis eu égard à la spécificité du projet.


Un plan de financement adapté

Chistine Abribat se souvient du programme impressionnant de travaux qui devait conduire à une rénovation thermique ambitieuse : «isolation thermique et étanchéité de la toiture-terrasse, bardage des quatre façades, individualisation du chauffage, changement des fenêtres dans tous les logements», mais aussi «réfection des paliers, de l’escalier, rénovation de la VMC, sécurité électrique et incendie, sécurisation des accès de l’immeuble au niveau des portes et de l’interphonie».
Pour mener à bien le projet, Ozone mène un travail de recherche de financements auprès de la ville d’Argenteuil, de la Communauté de communes ou d’agglomération, de l’ANAH (Habiter Mieux), de l’ADEME, du Conseil régional d’Ile-de-France et du Conseil général.
En 2013, l’assemblée générale valide deux tranches de travaux très importantes sous réserve de l’obtention préalable d’accords de subventions. Le coût total de l’opération s’élève à plus de 2 220 000 euros (75 % des fonds proviennent de fonds publics, 25 % reste à la charge des copropriétaires). Ozone établit un plan de financement adapté à chaque ménage en fonction de ses conditions socio-économiques et demeure tout au long de l’opération un accompagnateur privilégié en cas de décrochage. Un crédit relais a été octroyé au syndicat des copropriétaires afin de préfinancer les subventions publiques.
Les travaux sont votés selon la clé de répartition des charges communes du règlement de copropriété. Ils ont été achevés en juin 2016. Entre temps, une cinquantaine de comptes rendus auront été rédigés par le maître d’œuvre, et le conseil syndical aura participé activement à la coordination des travaux avec le syndic.
La proportion de copropriétaires occupants est aujourd’hui quasiment équivalente à celles des locataires. Mme Richer observe que «la rénovation intérieure d’appartements préemptés, puis mis en vente par la ville grâce à une technique de portage, devrait participer à revaloriser le prix de l’immobilier local».


Un avenir serein

L’assemblée générale qui aura lieu au printemps 2017 sera chargée d’approuver le compte travaux et marquera un tournant pour le syndicat. En effet, la pérennité du succès du plan de sauvegarde appartiendra, à ce stade, aux copropriétaires, sous l’œil vigilant du syndic. La mise en place du fonds de travaux sera là pour rappeler que la gestion de la copropriété nécessite des fonds et une prévision budgétaire sur le long terme, ainsi que le souligne Mme Abribat.
À court terme, il faudra procéder à la dissolution de l’association syndicale libre devenue une coquille vide depuis l’individualisation des réseaux des immeubles compris dans son périmètre.
Selon Mme Richer, «le plan de sauvegarde a clairement permis d’améliorer l’immeuble et les économies d’énergie attendues devraient contribuer à réduire les charges». Cette combinaison de facteurs augure a priori un avenir plus serein. Pour la présidente du conseil syndical, «cette incroyable aventure technique et humaine vécue sur douze ans» est avant tout l’histoire d’un sauvetage social et restera inscrite dans les esprits des plus investis comme un modèle exemplaire. Pour conclure, le mot d’ordre de ce sauvetage est la réactivité.


Une équipe soudée et motivée : Clé de voûte de la réussite du sauvetage

Tous les acteurs le relèvent : le plan sauvegarde n’aurait pas pu être mené à bien sans une équipe extrêmement unie et réactive à toutes les étapes du projet. L’expérience “Canuts” a rassemblé :
• un conseil syndical très motivé, uni et vigilant, quand bien même ses membres, n’avaient pas, au départ de connaissances spécifiques en copropriété ;
• un gestionnaire doté d’une fibre sociale, d’empathie et de la ferme volonté de mener à bien une mission de longue haleine parfois semée d’embûches, sans autre objectif que de sortir la copropriété de l’abysse financier qui la guettait. Christine Abribat, du cabinet de syndic, indique qu’il est «indispensable qu’un lien de confiance existe entre le syndic et les copropriétaires». Cette relation lui a permis d’avoir son mandat renouvelé chaque année depuis sa désignation en 2005 ;
• un comptable aguerri et un service contentieux hors pair chez le gestionnaire, rigoureux, stricts et dédiés à cette unique mission (des dizaines de saisies immobilières peuvent, en effet, être soumises au vote de l’assemblée générale de copropriété). Deux salariés ont été affectés à cette tâche au cabinet de syndic. Dans le dossier “Canuts”, une association de copropriétaires, à laquelle la copropriété est adhérente,  a prêté main forte au syndic pour le contrôle des comptes et la gestion des impayés. Chaque trimestre, des commissions de contrôle sont réunies pour assurer un suivi efficace et régulier des dettes ;
• des pouvoirs publics réactifs, à l’écoute, maîtrisant les arcanes des copropriétés en difficulté ;
• un opérateur structuré avec lequel il est indispensable d’échanger très régulièrement. Chacun des intervenants considère avec respect le professionnalisme de l’opérateur dans cette expérience.

La rédaction tient particulièrement à remercier la présidente du conseil syndical, Mme Richer et Christine Abribat, présidente du cabinet syndic Cazalières à Paris 17ème, pour leur disponibilité, ainsi que les services de l’ANAH.