Copropriété : Le «référé-expertise»

par Pierre-Edouard Lagraulet, Avocat au barreau de paris, Docteur en droit
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Ce mois-ci dans la chronique : Le contentieux du mois

Le référé-expertise est sans doute l’une des procédures les plus fréquentes en matière de droit de la copropriété après celle du recouvrement de charges et d’annulation des décisions adoptées par l’assemblée générale. La procédure peut être utile tant en matière de dommages aux biens, par exemple, en cas de refus de prise en charge par l’assurance dommages-ouvrage, que pour faire mesurer les parties privatives d’un lot dont le métrage au moment de la vente paraît erroné. 

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 676 de mars 2022

Elle n’est toutefois pas toujours bien comprise par les copropriétaires car elle ne sert pas à trancher un litige, mais consiste «simplement» en une mesure d’instruction technique qui pourra, à terme, le permettre. En ce sens, l’expertise, qui peut être ordonnée en tout état de cause (art. 144 Cpvic.) sera utile pour obtenir des éléments permettant d’apprécier les faits «dont dépend la solution du litige» (art. 143 Cpciv.), c’est-à-dire pour conserver ou établir la preuve de faits (art. 145 Cpciv.), outre de suspendre les délais de prescription (art. 2239 C. civ.). 

L’expertise n’a toutefois pas pour objet - c’est parfois un écueil - de permettre au demandeur de prouver une simple allégation (art. 146 Cpciv.). «L’instruction ne peut être ordonnée en vue de suppléer la carence de la partie dans l’administration de la preuve» (Civ. 1re, 2 mars 2004, n° 02-15.211). La nuance est subtile mais déterminante. Elle ne peut non plus consister en une «enquête» ou en une «question d’ordre juridique» (art. 232 et 238 Cpciv.) ; le «technicien ne peut jamais porter d’appréciations juridiques». Cela signifie qu’il ne doit, en principe, pas apprécier le partage des responsabilités ou encore la responsabilité dans la survenance d’un dommage car ces questions sont d’ordre juridique et doivent être strictement différenciées de la simple origine matérielle d’un dommage. Il est parfois (trop) souvent nécessaire de le rappeler en cours d’expertise et parfois, même, en cours de procédure. 

Pour l’ensemble de ces raisons, il est toujours nécessaire de motiver suffisamment la demande d’expertise, afin d’en démontrer la légitimité, d’expliquer qu’il ne s’agit pas de créer la preuve d’une simple allégation, et plus encore, afin de permettre au juge de définir suffisamment précisément la mesure d’expertise. La décision qu’il rendra devra en effet exposer les circonstances qui rendent nécessaire l’expertise et énoncer les chefs de la mission (art. 265 CPciv.). Outre la nomination de l’expert qui devra accomplir personnellement sa mission (Civ. 2e, 27 avr. 2000, n° 98-13.361), la décision déterminera enfin la durée de la mission et fixera la provision à consigner.

Il est donc indispensable que l’assignation en référé contienne l’ensemble de ces éléments, et ce afin notamment d’éviter de devoir «revenir» devant le juge des référés pour solliciter un complément de mission, ce qui est toujours possible mais qui allonge la durée de l’expertise. Il paraît alors idéal, pour l’avocat du demandeur, de préparer l’assignation avec un technicien afin d’être le plus précis et le plus complet possible. Une demande précise et exprimée en des termes techniques permettra tant au juge de s’y appuyer, qu’après lui le technicien qui sera désigné, afin de comprendre ce qui lui est demandé.

Pierre-Edouard Lagraulet

 

 

Pierre-Edouard Lagraulet, Avocat au barreau de Paris, Docteur en droit