[N°656] - Tribune libre : Objection

par Jean-Luc Bernette, directeur de la société Coprolib
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Questions relatives à la loi ELAN n° 2018-1021 du 23 novembre 2018 relative à l’incidence des parties communes spéciales.

Article 6-2 de la loi du 10 juillet 1965

La loi ELAN prévoit, dans l’alinéa 3 :

«Les décisions afférentes aux seules parties communes spéciales peuvent être prises soit au cours d’une assemblée spéciale, soit au cours de l’assemblée générale de tous les copropriétaires. Seuls prennent part au vote les copropriétaires à l’usage ou à l’utilité desquels sont affectées ces parties communes.»

À première vue, cet alinéa ne fait que compléter le dernier alinéa de l’article 10 (déplacé depuis le III de l’article 24) qui traitait des décisions relatives à des dépenses qui ne sont pas réparties selon les tantièmes généraux :

«Lorsque le règlement de copropriété met à la seule charge de certains copropriétaires les dépenses d’entretien d’une partie de l’immeuble ou celles d’entretien et de fonctionnement entraînées par certains services collectifs ou éléments d’équipements, il peut prévoir que ces copropriétaires prennent seuls part au vote sur les décisions qui concernent ces dépenses. Chacun d’eux dispose d’un nombre de voix proportionnel à sa participation auxdites dépenses.»

Notons d’abord que le dernier alinéa de l’article 10 a été amputé des «dépenses d’entretien d’une partie de l’immeuble», puisqu’on retrouve ces dépenses au dernier alinéa de l’article 6-2.

Mais, en fait, il y a plusieurs différences !

D’abord le dernier alinéa de l’article 10 ne s’applique que si ces dispositions sont prévues dans le règlement de copropriété, alors que le dernier alinéa de l’article 6-2 s’applique dans tous les cas. Il me semblerait logique de modifier le dernier alinéa de l’article 10 pour enlever toute référence au règlement de copropriété.

Mais surtout, le dernier alinéa de l’article 10 prévoit un mode calcul de des voix spécifique basé sur la participation de chaque copropriétaire aux dépenses votées. Dans ce cas, on applique donc la clé de répartition des charges spéciales prévue dans le règlement de copropriété pour ces dépenses. Or, cette disposition a été malencontreusement «oubliée» dans le dernier alinéa de l’article 6-2. Il aurait suffit d’ajouter à cet alinéa une phrase du même style : «Chacun d’eux dispose d’un nombre de voix correspondant à la somme des quotes-parts des parties communes spéciales concernées des lots qu’il possède». 

On pourrait penser que cela ne change pas grand-chose en pratique car les quotes-parts des parties communes spéciales suivent en général la même proportion que les quotes-parts des parties communes générales «filtrées» sur les lots concernés. Mais dès qu’un copropriétaire possède plusieurs lots dans des parties communes spéciales différentes, cela pose un gros problème et cet oubli peut entraîner des situations «anormales».

Prenons un exemple : trois bâtiments (A, B, C) de dix lots chacun, chaque lot ayant 1/30e des parties communes générales et 1/10e des parties communes spéciales du bâtiment dans lequel il est situé. Supposons que chaque lot appartient à un copropriétaire différent, sauf M. Durand qui possède un lot dans le bâtiment A et neuf lots dans le bâtiment B. Considérons enfin le cas d’une décision relative aux parties communes spéciales du bâtiment A. Seuls participent à ce vote les dix copropriétaires du bâtiment A. Mais comme aucun calcul spécifique de nombre de voix n’est prévu, on applique le nombre de voix défini par les quotes-parts des parties communes générales, à savoir dix voix pour M. Durant et une voix pour chacun des neuf autres copropriétaires du bâtiment A. Conclusion : M. Durand est majoritaire et décide tout seul !

On voit clairement dans ce cas schématique qu’il aurait été préférable de prévoir un nombre de voix défini en fonction des quotes-parts des parties communes spéciales ; M. Durand aurait alors eu un voix comme chacun des neuf autres copropriétaires du bâtiment A.

 Allons plus loin. Si on fait le même exercice avec cette fois-ci le bâtiment B, on s’aperçoit que même avec un calcul de voix spécifique, on arrive à neuf voix pour M. Durand et une voix pour l’autre copropriétaire du bâtiment B. Et c’est toujours M. Durand qui décide tout seul pour ce bâtiment !

Je pense qu’il faudrait, aussi dans ce cas, pouvoir appliquer la règle de réduction des voix du copropriétaire majoritaire prévue au 2e alinéa de l’article 22 (qui d’ailleurs ne distingue pas entre parties communes «générales» et «spéciales») :

«Chaque copropriétaire dispose d’un nombre de voix correspondant à sa quote-part dans les parties communes. Toutefois, lorsqu’un copropriétaire possède une quote-part des parties communes supérieure à la moitié, le nombre de voix dont il dispose est réduit à la somme des voix des autres copropriétaires.»

Finalement ma proposition serait d’ajouter au dernier alinéa de l’article 6-2 une phrase du style : «Chacun d’eux dispose d’un nombre de voix correspondant à la somme des quotes-parts des parties communes spéciales concernées des lots qu’il possède, après application le cas échéant de la réduction des voix prévue au 2ème alinéa de l’article 22 selon les quotes-parts de ces parties communes spéciales.»


Jean-Luc Bernette

 

Jean-Luc Bernette, directeur de la société Coprolib

 

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