Entretien : David Pérez, Référent copropriétés au sein d’Urbanis

par YS
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«La mise en oeuvre de l'administration provisoire souffre de plusieurs maux»David Perez

Opérateur privé au service de l’intérêt public depuis 1979, Urbanis élabore et anime des opérations de requalification de l’habitat privé. La société compte près de quatre-cents intervenants répartis dans douze agences régionales et deux filiales. Son activité s’adresse de manière importante aux copropriétés : près de deux mille résidences bénéficient d’un accompagnement. 

David Perez est référent national copropriétés au sein de l’entreprise.

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 680 de juillet août 2022

Qu’entend-on exactement par “copropriétés en difficulté” ?

On peut distinguer trois catégories. Les copropriétés fragiles, “des premiers signes”, pour lesquelles les problèmes demeurent maîtrisables (impayés en augmentation, gouvernance grippée…). Les copropriétés à redresser, en proie à des difficultés aiguës et généralisées (gouvernance et gestion défaillantes, paupérisation des occupants, lourde dégradation du bâti, effondrement des valeurs immobilières…). Les copropriétés à recycler, pour lesquelles le point de non-retour est atteint : l’ensemble des parties - à commencer par les copropriétaires, même si l’on imagine mal ce que cela représente pour eux - actent que la copropriété doit se transformer (exemple : rachat par un bailleur social) ou disparaître (démolition).

On parle parfois de “copropriétés dégradées”, ce qui s’avère réducteur : la dégradation du bâti n’est que le symptôme le plus visible de maux plus profonds (gestion, trésorerie, vie de la copropriété…). Il en ressort qu’on ne peut poser une analyse à la lumière d’un seul paramètre tiré de son contexte, aussi marquant soit-il. Ainsi, la question énergétique s’est imposée depuis plus d’une dizaine d’années et la copropriété ne déroge pas à la règle : l’amélioration de sa situation d’ensemble passe immanquablement par une diminution de son empreinte environnementale… mais ne se résume pas à cela. Contrairement à une idée reçue, France Rénov’ est le service public de la rénovation de l’habitat, intégrant une forte dimension énergétique… mais portant également sur l’adaptation, la sécurité et la salubrité du bâti.

 

Le droit spécial des copropriétés en difficulté vous paraît-il adapté à la résolution des problèmes rencontrés en pratique ?

Beaucoup est fait pour identifier les problématiques et les traiter. Depuis trente ans, les acquis sont incontestables : de nombreux outils, aides et procédures sont désormais à la disposition des pouvoirs publics pour soutenir les copropriétés, partout en France. Le Plan Initiative Copropriétés (PIC), lancé en octobre 2018, en constitue une excellente illustration. Doté de 2,5 Md€ sur dix ans et mobilisant activement l’ensemble des parties prenantes (Procivis, ANRU -agence nationale pour la rénovation urbaine-, CDC Habitat -Caisse des dépôts de consignations-, Action logement, ADEME…), le PIC est à l’origine d’évolutions essentielles : majoration des aides aux travaux -notamment en situation d’urgence-, aide à la gestion venant financer le travail supplémentaire demandé aux syndics dans le cadre des dispositifs publics, aides au portage immobilier ou à la gestion urbaine de proximité...

 

Bien sûr, des améliorations sont toujours possibles. Le recours à la procédure d’alerte prévu à l’article 29-1 A de la loi du 10 juillet 1965 reste marginal, face au nombre de situations susceptibles d’en relever. Sans doute mériterait-elle certaines adaptations, visant à dépasser le simple stade du constat partagé. La mise en œuvre de l’administration provisoire de l’article 29-1 souffre de plusieurs maux, à commencer par la faible disponibilité de civilistes compétents. Le maquis juridique des appellations n’est d’ailleurs pas fait pour faciliter les choses : mandataire ad hoc, syndic judiciaire, administrateur provisoire, administrateur ad hoc… Le droit commun pourrait également bénéficier de nouvelles évolutions. Un débiteur mal intentionné peut parfaitement profiter des failles de la réglementation pour “jouer la montre” et accentuer les difficultés d’un syndicat tenu d’avancer les frais engagés pour récupérer son dû. Il serait donc judicieux de faire évoluer la définition des frais nécessaires exposés par le syndicat pour le recouvrement (article 10-1,L.1965), et mieux solvabiliser les copropriétés ayant suivi les règles (article 700 du Code de procédure civile). On constate dans la pratique que la balance penche assez peu du côté des syndicats.

Par ailleurs, le travail partenarial à conduire reste considérable, notamment pour favoriser la montée en compétences de syndics de redressement via des associations comme QualiSR. Les enjeux sont énormes, inscrits dans une temporalité dépassant assez largement celle du mandat politique et a fortiori celle d’habitants dans l’attente de voir leur quotidien s’améliorer. 

 

Parmi les réformes récentes du statut de la copropriété, quelles sont celles qui ont apporté une amélioration notable de la gestion des immeubles ?

La loi ELAN a, par exemple, consacré l’extension de l’objet du syndicat. C’est une avancée majeure, qui porte en germe le dépassement du couple loi de 1965 / décret de 1967 comme simple cadre de gestion, pour approcher la notion de cadre de projet indispensable à l’adaptation des copropriétés aux enjeux de notre époque. La suppression de l’effet immédiat de la révocation du contrat de syndic en cours lors d’une nouvelle désignation constitue également un progrès : on cesse ainsi d’entretenir une forme de confusion chez les copropriétaires, tout en limitant l’alimentation du contentieux. Le fait que la passerelle de l’article 25-1 s’applique désormais non seulement aux résolutions votées en application de l’article 25 mais également en vertu d’une autre disposition, vient aussi faciliter la prise de décisions… qui en a grandement besoin. 

De la même manière, le plan pluriannuel de travaux prévu par la loi Climat et résilience facilitera la nécessaire anticipation des copropriétaires, même s’il faudra sans doute davantage clarifier les relations entre DPE, audit, DTG et PPT…

D’autres dispositions laissent davantage songeur. C’est le cas notamment de l’hybridation des formats - présentiel, distanciel par visio-conférence ou vote par correspondance : ne court-on pas le risque de complexifier une co-gestion déjà délicate ? Est-ce que nous nous donnons véritablement le temps et les moyens pour que les avantages l’emportent sur les inconvénients ?