Entretien : Gaëtan Brisepierre, Sociologue

par YS
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Gaetan Brisepierre«La menace d’ubérisation pousse les syndics à démontrer leur valeur ajoutée»

Gaëtan Brisepierre, docteur en sociologie, anime le cabinet de sociologie spécialisé sur la transition écologique et énergétique du bâtiment. Depuis plus de dix ans, ses recherches visent à éclairer et accompagner les acteurs, publics comme privés, sur les conditions sociales et organisationnelles de ces transformations.  

Pour ce sociologue «de terrain», la rénovation n’est pas un marché mais un système d’acteurs. Les intérêts économiques ou sociaux de ces acteurs peuvent être convergents ou divergents. Ainsi, malgré le «consensus unanime en faveur de la rénovation énergétique, on voit apparaître de manière pragmatique des intérêts contradictoires et des contraintes au changement». Alors comment pourrait-on concilier les intérêts économiques des principaux acteurs de la copropriété, banquiers, syndics, pouvoirs publics et syndicats de copropriétaires ? 

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 677 d'avril 2022

Quel regard le sociologue porte-t-il sur les injonctions du législateur à l’égard des syndicats des copropriétaires pour la rénovation énergétique compte tenu de l’organisation des acteurs ?

«Dans le sillage du Grenelle de l’Environnement, les pouvoirs publics ont mis en place un arsenal législatif et financier assez complet. Cela ne s’est pas fait sans peine car la copropriété est bien souvent la dernière roue du carrosse ; la décision est plus complexe à appréhender et à activer qu’en maison individuelle ou en logement social. 

«La montée en puissance est lente car, au-delà des incitations, ces rénovations questionnent profondément un mode de gouvernance sclérosé des copropriétés. Elles n’ont jamais eu à gérer un changement d’une aussi grande ampleur (montant des travaux, durée et organisation du projet…). 

«On assiste à une accélération récente mais sur un type bien particulier de copropriétés, de grande taille, issues des trente glorieuses et en chauffage collectif. Or, la copropriété moyenne en France fait moins de vingt lots et elle est en chauffage individuel. Pas certains que sa rénovation énergétique passe par des décisions d’AG, il faut plutôt regarder du côté des décisions de travaux individuels au moment des transactions.» 

 

Au-delà d’intentions pro bono des professionnels, quels seraient les arguments pour encourager les syndics à s’engager sur le terrain technique de la rénovation lors des AG ?

«Les syndics ont mis du temps à venir à la rénovation énergétique et depuis quinze ans, elles se font avant tout à l’initiative des copropriétaires. C’est un sujet très technique, donc loin de leur cœur de métier, et qui suppose de prendre des risques. Il ne s’agit pas d’une démarche obligatoire, et la plupart du travail à réaliser se situe en amont du vote, alors que le syndic ne sait pas encore s’il sera rémunéré pour cette charge de travail supplémentaire. 

«Depuis quelques années, les syndics s’y mettent sérieusement, et on peut même dire qu’ils font parties des professions immobilières les plus avancées sur le sujet, en comparaison des agents immobiliers ou des notaires. L’action de l’Etat, notamment via le Plan Bâtiment Durable, des fédérations professionnelles, mais aussi des collectivités locales porte ses fruits. 

«Les raisons sont multiples : des références en matière de rénovation énergétique constituent encore un avantage concurrentiel ; c’est un facteur d’attractivité pour les gestionnaires car cela donne du sens à leur métier. Il y a aussi la menace d’ubérisation qui poussent les syndics traditionnels à démontrer leur valeur ajoutée sur des sujets complexes comme celui-ci.»

 

Quelle est l’analyse du sociologue sur l’action des pouvoirs publics et de leurs satellites pour rendre les bâtiments économes ?

«Vaste question ! Les pouvoirs publics vont très loin sur la construction neuve car ils ont l’outil réglementaire grâce à la nouvelle réglementation environnementale 2020. Sur la rénovation, c’est beaucoup plus difficile car il y a une multitude d’acteurs à convaincre, dont les intérêts ne sont pas d’emblée, alignés et cohérents. 

«Globalement l’administration doit changer sa façon d’agir ; il est délicat de contraindre, et insuffisant d’inciter économiquement. Il faut accompagner les copropriétaires, ce qui suppose une action au niveau local, aider les professionnels qui cherchent à s’adapter, faciliter les partenariats, faire de l’innovation sociale… On est loin de la décision Jupitérienne !  

«Un autre aspect important est de ne pas raisonner uniquement sur le bâtiment, mais de regarder aussi à l’échelle de la ville et de traiter les questions d’usages. Même si l’efficacité énergétique progresse, les modes de vie restent très énergivores : surface de logement de plus en plus grands, nouveaux usages électriques… Une partie des solutions est à rechercher au niveau du quartier et des aménagements urbains.»

 

Pouvez-vous nous présenter le concept de “rénovation énergétique globale et performante” que vous encouragez ?

«Je ne suis pas un ayatollah de la rénovation globale et performante ! Même s’il y a un intérêt économique évident pour les copropriétés à traiter l’ensemble des postes en une seule et même opération. 

«Il ne faut pas négliger le fait que la décision de rénovation est avant tout un processus politique : les porteurs de projet doivent trouver une légitimité, construire la confiance, bâtir un projet qui emporte l’adhésion. Si, pour cela, il faut en passer par des étapes intermédiaires, en travaillant sur la régulation du chauffage, ou en commençant par isoler la toiture, pourquoi pas. 

«Pour susciter l’adhésion à un projet de rénovation d’ampleur, il faut savoir sortir du prisme énergétique, même si c’est l’intention de départ. Il faut plutôt regarder le projet comme une occasion de modernisation de l’immeuble visant à maintenir sa valeur patrimoniale et à améliorer sa qualité d’usage. Le programme de travaux peut alors inclure, par exemple, : la création d’un local vélo, d’une terrasse partagée… ce qui va aider à convaincre d’autres copropriétaires.»