Entretien : Sylvaine Le Garrec, sociologue

par YS
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Copropriété - Sylvaine Le Garrec«Les dispositifs publics d’incitation ne sont pas adaptés à une programmation pluriannuelle»

Docteure en Urbanisme et Aménagement, Sylvaine Le Garrec est sociologue, consultante et chargée d’enseignement à l’École urbaine de Sciences Po. Deux expériences auprès de copropriétés en difficulté de Clichy-sous-Bois aux côtés de conseils syndicaux l’ont amené à s’intéresser aux enjeux urbains et sociologiques de la copropriété. Depuis cette première expérience, la sociologue a poursuivi ses travaux de recherche sur l’habitat et la copropriété et intervient sur ces sujets comme consultante indépendante auprès d’acteurs publics ou privés. 

Article paru dans les Informations Rapides de la Copropriété numéro 672 d'octobre 2021

Quels sont les profils de copropriétaires qui engagent une rénovation ?

Dans mes recherches, les copropriétés logeant des populations modestes et des petites classes moyennes étaient autant représentées que les copropriétés de «classes moyennes» et que les copropriétés habitées par des classes moyennes supérieures et des populations aisées. Mais si l’on considère les caractéristiques techniques des immeubles, une constante est frappante : les copropriétés les plus enclines à entreprendre des travaux d’amélioration énergétique sont des grandes copropriétés construites entre 1945 et 1980 et dotées d’un chauffage collectif. Plusieurs raisons l’expliquent. Construites avant les premières règlementations thermiques, ces copropriétés sont soumises à d’importantes déperditions. Elles arrivent à un âge de remise à niveau et leur relative standardisation facilite l’isolation par l’extérieur. Ces grandes copropriétés sont aussi plus favorables à l’action collective. Du fait des économies d’échelle, les quote-parts sont plus faibles que dans les petites copropriétés. Le chauffage collectif est en outre fédérateur car les problèmes d’inconfort et de surconsommation qu’il génère ne peuvent pas être résolus individuellement à l’échelle des logements. Enfin, il est plus facile sur un grand nombre de trouver des copropriétaires susceptibles de mobiliser du temps et des compétences pour s’investir au conseil syndical et jouer un rôle moteur dans le projet de rénovation. 

 

Quels sont les ressorts qui conduisent un groupe de copropriétaires à s’engager dans un programme de rénovation énergétique ?

Le ressort essentiel, c’est l’action d’un copropriétaire engagé – ou d’un groupe de copropriétaires – qui impulse et porte le projet et réussit à mobiliser les autres copropriétaires en jouant le rôle de «leader». Ces hommes et femmes de tous âges, essentiellement cadres ou professions intellectuelles supérieures, investissent des compétences issues de leur expérience professionnelle. Mais ces leaders ne doivent pas rester isolés. La constitution d’une équipe – même restreinte – est indispensable pour que les copropriétaires adhèrent au projet. Elle représente la garantie que le projet répond à un intérêt collectif et non à des intérêts particuliers. 

Le système d’acteurs professionnels qui se constitue autour de ces copropriétaires profanes est également essentiel. Les «leaders» soulignent l’importance d’avoir pu bénéficier d’un soutien neutre et gratuit de la part d’un conseiller FAIRE [service public d’information sur la rénovation énergétique - ndlr]. Les collectivités locales sont de plus en plus nombreuses à mettre en place un accompagnement visant à valoriser ces copropriétaires et à favoriser leur montée en compétences. Ces derniers sont ainsi en capacité de jouer leur rôle de maître d’ouvrage, tout en étant soutenus par des réseaux locaux de professionnels de la rénovation qui font évoluer leurs pratiques pour les adapter aux mécaniques particulières des copropriétés. 

 

Quelles sont les attentes des copropriétaires à l’égard des acteurs de la transition écologique ?

La maîtrise de l’énergie n’est souvent pas la dimension centrale des projets de rénovation. Le souhait de «diminuer les factures» est certes présent, mais ce qui motive les copropriétaires, c’est avant tout la volonté de répondre à un besoin de réparation (ravalement, étanchéité de la toiture, infiltrations, chaudière en fin de vie) ou de résoudre un problème de confort ressenti au quotidien (froid, surchauffe, humidité). La dimension énergétique est plutôt envisagée comme une plus-value et les travaux ne sont pas tous focalisés sur les économies d’énergie. On peut supposer que d’autres dimensions de la transition écologique montent en puissance, telles que les questions de confort d’été, de gestion de l’eau ou d’aménagement liés aux mobilités durables, local vélos ou bornes de recharges, par exemple. 

Il est à noter que les copropriétés sont peu favorables à mettre en œuvre une requalification complète visant à remettre l’immeuble à neuf sur une courte durée. Pour se protéger des risques et répartir les efforts, elles préfèrent échelonner les investissements et les interventions sur plusieurs années. Il s’agit davantage d’amorcer sur le temps long, un processus continu d’amélioration. Or, les dispositifs publics d’incitation ne sont pas adaptés à cette programmation pluriannuelle. 

 

Rare lieu d’expression en copropriété, l’assemblée générale semble inadéquate pour entreprendre des actions collectives. Dès lors comment engager une démarche globale ?

Mobiliser les copropriétaires en faveur d’un projet de rénovation ne revient pas à les convaincre avec une série d’arguments technico-financiers mais plutôt à impulser au sein de l’immeuble une nouvelle dynamique d’action collective. C’est là le travail indispensable exercé par les copropriétaires «leaders» qui instaurent de nouveaux circuits de communication et contribuent à créer un sentiment d’appartenance collectif. Cela passe par exemple par des réunions d’informations-débat, la création d’une newsletter ou l’organisation régulière de la fête des voisins…  

Ce travail de mobilisation nécessite du temps. Dans les copropriétés interrogées, il a fallu au moins quatre ans entre les premières réflexions du conseil syndical et le vote effectif des travaux. Le temps apparaît indispensable pour que les copropriétaires acquièrent un niveau de confiance suffisant pour consentir à un investissement financier souvent loin d’être anodin. Il est également indispensable de respecter différentes étapes nécessaires à la construction progressive du projet de travaux et d’associer les copropriétaires à chacune d’entre elles en acceptant de soumettre les orientations du programme au débat et à des modifications éventuelles.