[N°624] - Entretien avec Hugues PÉRINET-MARQUET, professeur de droit

par YS
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Réforme du statut de la copropriété : "Réécrire et redonner de la clarté à la loi de 1965"

Hugues Périnet-Marquet, professeur de droit à l’université Panthéon-Assas, dirige les travaux du GRECCO (Groupe de RECherche en COpropriété). Le GRECCO se fixe pour objectif d’alléger et de simplifier les dispositions de plus en plus alourdies de la loi du 10 juillet 1965. Le résultat provisoire de ce groupe de travail, en l’occurrence 26 articles réécrits, a été présenté lors du congrès de la Chambre nationale des experts en copropriété, qui s’est tenu à Marseille les 1er et 2 décembre.

©Kristina Kolygo

Pouvez-vous nous présenter l’objectif poursuivi par le GRECCO ?

Le GRECCO est un groupe de travail pluridisciplinaire composé d’avocats, d’experts, de géomètres, de notaires et d’universitaires, qui s’est donné pour premier but une réécriture de la loi de 1965. En effet, ce texte, dont tous les aute  urs ont souligné la qualité d’origine, a été profondément modifié et augmenté par de nombreuses lois qui, sous certains de ses aspects, l’ont rendu méconnaissable. Il est donc apparu nécessaire, sans remettre en cause l’architecture générale et les principes de cette loi de 1965 qui continue à être appréciée, de la réécrire afin de lui redonner sa clarté et sa force juridique originelle.


Quelle a été la méthodologie suivie par le groupe de travail ?

Les membres du groupe de travail ont élaboré, d’un commun accord, tous les textes. Aucun sous-groupe n’a été constitué, ce qui fait que l’ensemble des membres a pu discuter de la totalité des articles. Cette méthode de travail suppose un investissement certain en termes de temps. La rédaction du texte dans sa forme actuelle très provisoire représente, ainsi, environ 45 heures de réunions collectives. Ce rythme lent et nécessaire explique que, en 1 an et demi de travail, le GRECCO n’ait pu revoir qu’environ la moitié des articles de la loi de 1965. Il s’est arrêté, en effet, à l’article 26 en ayant mis de côté des textes relatifs au budget et au paiement des charges qui seront traités par la suite. En cas de désaccord au sein des membres du groupe, les décisions sont prises à la majorité. Le recours à cette procédure a été, dans l’ensemble, assez rare compte tenu de ce que, sur bien des points, la rédaction adoptée, en tenant compte des diverses nécessités de la pratique rappelées par chacun des membres du groupe, a fait consensus.


Il semble que vous ayez entrepris de préciser le champ d’application tant matériel que temporel du statut ? En quel sens ?

La loi de 1965 comportait, d’origine, deux difficultés quant à son champ d’application.
Tout d’abord, l’article 1er, alinéa 2, relatif aux ensembles immobiliers n’a jamais été un modèle de clarté, mais il est vrai que son application, expressément prévue par défaut, n’était envisagée qu’exceptionnellement en 1965. Le développement de l’urbanisme sur dalle, et la multiplication des volumes rendent nécessaire une redéfinition des hypothèses dans lesquelles la loi de 1965 est susceptible de s’appliquer à ce type de montages. Comme l’avait prévu le législateur, ces hypothèses doivent rester rarissimes, la loi devant privilégier clairement le recours à des structures pérennes de gestion plus souples comme l’association syndicale libre ou l’union de syndicats.
Ensuite, la loi de 1965 ne prévoyait aucune règle d’application du statut dans le temps. Elle se contentait, pour résoudre la difficulté, d’utiliser le terme de «bâti», sous-entendant que le régime ne s’appliquait pas avant l’achèvement de l’immeuble. En réalité, cette solution est en partie fausse, dans la mesure où, souvent, des lots de copropriété sont vendus avant même le début de la construction, ce qui suppose qu’une partie de la loi de 1965, celle relative à la division de l’immeuble, s’applique alors immédiatement. Ce n’est que le fonctionnement de la personne morale qui est repoussé à l’achèvement du premier lot, comme l’a précisé la Cour de cassation.
Les articles 1 à 5 ont été réécrits. Le lot de copropriété est-il affecté dans ses composantes ?
La réponse est ici clairement négative. L’avant-projet partiel que nous présentons ne fait que reprendre l’état du droit positif qui découle tant de la loi de 1965 que de la jurisprudence qui l’a appliquée. Simplement, dans un but de clarté et de pédagogie, sont clairement distinguées les parties communes générales, les parties communes spéciales et celles qui sont à jouissance privative. L’interdiction de lots comprenant une partie privative et une partie commune à jouissance privative ne fait que reprendre une solution maintenant bien affirmée. Les seules véritables nouveautés sont la volonté de lier indissociablement partie commune spéciale et charge spéciale, ainsi que la fin de la distinction entre quotes-parts de parties communes déterminant les droits de vote et quotes-parts de parties communes déterminant les charges. Il a paru plus juste et plus clair qu’une seule catégorie de quotes-parts soit utilisée.


En outre, quels sont les mécanismes ou les notions qui ont été conservés dans leur pureté originelle ?

Nous venons de voir que la définition du lot de copropriété est restée identique, pour l’essentiel, au regard du droit positif. Il en va de même des critères de répartition des quotes-parts de partie commune, les articles 5 et 10 étant repris, ainsi que de nombreux textes sur les modalités de vote à l’assemblée générale. Certaines règles de majorité sont restées identiques, le groupe de travail n’ayant touché  ni à l’article 25-1 ni à l’article 26 dans leur rédaction actuelle. Les règles de pouvoir dans les copropriétés classiques avec conseil syndical ne sont pas modifiées, pas davantage que celles applicables au syndicat coopératif.
L’innovation majeure dans le régime de la gouvernance consiste dans l’introduction d’un nouvel organe, le conseil d’administration. Dans quel cadre s’inscrit-il dans l’organisation de la copropriété ?
Le GRECCO a été très sensible à un mouvement déjà initié dans la loi ALUR, mais de manière assez désordonnée, celui la diversification du régime en fonction du type de copropriété. Il est évident qu’il n’y a rien de commun entre l’ensemble immobilier Tour Maine Montparnasse  ou celui de Velizy II et une copropriété de 5 ou 10 lots. Le GRECCO a donc voulu une différenciation claire des modes d’administration. Les copropriétés ayant plus de 50 lots à usage d’habitation ou aucun lot à usage d’habitation seraient administrées par un conseil d’administration apte à prendre les décisions relevant normalement de l’article 24. Ce conseil d’administration pourrait établir le budget mais non approuver les comptes qui resteraient de la seule compétence de l’assemblée générale.  Pour éviter toute dérive, la comptabilité devrait être certifiée par un expert-comptable. De leur côté, les copropriétés ayant moins de 50 lots à usage d’habitation, conserveraient le système actuel avec un pouvoir identique de l’assemblée générale et du conseil syndical. Comme indiqué plus haut, dans tous les cas, la possibilité de recourir à un syndicat coopératif resterait ouverte et, même si cela ne figure pas encore dans le projet, tel qu’il a été présenté, une réflexion est engagée sur les toutes petites copropriété afin de leur permettre de bénéficier, même si elles sont à usage d’habitation, d’un régime allégé. Mais il est difficile de combiner cette simplification avec la nécessité de garantir un certain nombre de règles protectrices pour chacun des copropriétaires.


Il existe plusieurs consécrations de solutions jurisprudentielles au sein des propositions adoptées par le GRECCO. Quelles sont les plus significatives ?

Ce sont sans doute celles qui concernent les parties communes à jouissance privative dont le régime est directement inspiré de la jurisprudence et, notamment, en ce qui concerne leur incapacité à constituer la partie privative d’un lot. De même, l’application dans le temps du régime de la copropriété découle des solutions jurisprudentielles. La même réflexion peut être faite à propos du régime des clauses réputées non écrites, particulièrement en matière de charges.